Un tribunal du CIRDI accepte partiellement des objections à sa compétence au titre de l’Accord concernant l’encouragement et la protection des investissements Autriche-Pologne et rejette l’applicabilité de la décision sur Achmea

Strabag SE, Raiffeisen Centrobank AG et Syrena Immobilien Holding AG c. Pologne, Affaire CIRDI n° ADHOC/15/1

Dans une sentence du 4 avril 2020, un tribunal au titre du Règlement du mécanisme supplémentaire du CIRDI rejetait presque toutes les objections à sa compétence sur des recours contre la Pologne lancés par trois entreprises autrichiennes, Strabag SE, Raiffeisen Centrobank AG et Syrena Immobilien Holding AG (ensemble, les « investisseurs »). Les parties ont convenu d’établir le siège de l’arbitrage à Paris, en France.

Le contexte et les recours

Raiffeisen Centrobank et Strabag étaient les sociétés mères conjointes de Syrena Immobilien Holding, qui détenait la totalité d’une société écran enregistrée à Chypre. Cette société écran chypriote détenait 99,6 % de Syrena Hotels, une entreprise polonaise. Syrena Hotels détenait et gérait deux hôtels à Varsovie. Ces hôtels furent vendus à Strabag par le gouvernement polonais local au titre d’un accord d’achat de parts dans le cadre du processus de privatisation lancé après la chute du régime communiste en Pologne.

Les investisseurs alléguaient que diverses actions du gouvernement polonais menaçaient leurs droits permanents sur le terrain et la propriété des hôtels. Selon eux, ces actions violaient l’article 2(1) sur le TJE, l’article 2(2) sur la protection intégrale, l’article 3 sur le traitement des investissements, l’article 4 sur l’expropriation, l’article 5 sur les transferts, l’article 7(1) sur d’autres obligations, l’article 7(2) sur la clause parapluie, et l’article 8 sur le règlement des différends relatifs à l’investissement de l’Accord Autriche-Pologne concernant l’encouragement et la protection des investissements (le « traité »).

La Pologne contestait la compétence du tribunal sur les recours de l’investisseur, sur la base de quatre motifs : (i) les investisseurs n’avaient pas démontré que leur recours relevait prima facie des dispositions du traité puisque ces recours étaient fondamentalement de nature contractuelle, et en aucun cas n’étaient suffisamment étayés pour appuyer la violation des dispositions du traité, (ii) l’invocation du traité par les investisseurs constitue une abus de procédure, (iii) les investisseurs ne sont pas des « investisseurs » au titre du traité, et (iv) la décision sur Achmea invalidait l’article 8 du traité.

Les investisseurs ont démontré prima facie que leur recours relevaient des dispositions pertinentes du traité

Le tribunal s’appuya sur le test formulé par la juge Rosalyn Higgins de la CIJ dans son avis sur l’affaire concernant les plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. États-Unis d’Amérique)[1] pour déterminer sa position sur les objections liminaires à sa compétence. Il détermina que les investisseurs étaient seulement tenus de démontrer si les faits tels que présentés par eux, et supposés exacts, pourraient entraîner une violation des dispositions du traité.

Selon le tribunal, la possibilité que les recours des investisseurs donnent lieu à des recours contractuels n’altéraient pas la nature des recours mis en avant dans l’arbitrage. Il conclut que les recours portaient sur les obligations de fond de la Pologne au titre du traité, et non pas sur des recours contractuels.

Le tribunal conclut que les recours portant sur la violation des articles 2(1), 2(2), 3 et 4 satisfaisaient la norme prima facie. Toutefois, il jugea que les recours relatifs à la violation des articles 5, 7(1) et 8 n’étaient pas suffisamment étayés et ne satisfaisaient pas le seuil prima facie.

Le recours des investisseurs fondé sur la violation de la clause parapluie à l’article 7(2) était fondé sur les violations des dispositions de l’accord d’achat des parts. La Pologne s’opposait à ce recours pour deux raisons : premièrement, Raiffeisen Centrobank et Syrena Immobilien ne pouvaient lancer de recours portant sur cet accord puisqu’elles n’en étaient pas signataires, et deuxièmement, les violations de l’accord ne pouvaient être attribuées à la Pologne puisque le droit international relatif à la responsabilité des États ne s’applique qu’aux violations du droit international, et non pas aux violations d’un contrat de droit national. Le tribunal ne détermina pas ces objections et les renvoya à l’examen quant au fond.

La Pologne ne peut établir que l’invocation du traité par les investisseurs constitue un abus de procédure

La Pologne arguait que les investisseurs avaient commis un abus de procédure en renvoyant leurs recours contractuels à l’arbitrage international après avoir lancé certains recours auprès des tribunaux polonais et autrichiens. Elle alléguait également que les investisseurs utilisaient l’arbitrage international pour faire pression sur le pays et l’inciter à priver des tiers de leurs droits découlant du régime juridique en vigueur à l’époque où les investisseurs avaient réalisé leur investissement.

Le tribunal rejeta les objections de la Pologne. Il détermina que le seuil d’un abus de procédure était élevé et que la seule mauvaise foi n’implique pas nécessairement un abus de procédure. Il remarqua que les recours des investisseurs se fondaient sur des violations des dispositions du traités, et que de tels recours ne pouvaient être renvoyés à un autre for que celui indiqué à l’article 8 du traité.

La restructuration des entreprises des investisseurs ne les empêche pas d’invoquer les bénéfices du traité

La Pologne alléguait que les investisseurs ne pouvaient se réclamer de la protection du traité puisqu’ils avaient transféré leur investissement dans Syrena Hotels à l’entreprise chypriote. Selon le pays, c’était le TBI Chypre-Pologne qui s’appliquait potentiellement au différend, et le traité ne s’appliquait plus aux recours des investisseurs. Il arguait également que l’application éventuelle des deux traités pourrait aussi donner lieu à un abus de procédure et que le tribunal devait donc déterminer lequel des traités s’appliquait le mieux à l’investissement des investisseurs.

Le tribunal détermina que l’objection de la Pologne était prématurée. Selon lui, la question de l’abus peut seulement être mise en avant et abordée si, et lorsque les investisseurs invoquent la protection du TBI Chypre-Pologne. Il tint compte de la déclaration des investisseurs selon laquelle l’entreprise chypriote ne lancerait pas de procédure au titre du TBI Chypre-Pologne, et détermina qu’il n’existait aucun conflit entre les traités exigeant une solution.

Le tribunal détermina également que le traité ne contenait pas d’obligation de démontrer la propriété directe et continue de l’investissement au-delà de la date de la violation alléguée par l’État d’accueil. Aussi, la création d’une société écran comme intermédiaire après la survenue des différends n’empêchait pas les investisseurs d’invoquer la protection au titre du traité pour les violations survenues avant cette restructuration.

L’applicabilité de la décision sur Achmea

Selon la Pologne, la décision sur Achmea affirmait que les dispositions relatives au règlement des différends investisseur-État contenues dans les TBI intra-UE étaient contraires au droit de l’UE. La Pologne arguait que l’article 8 du traité, sur le règlement des différends, en devenait invalide.

Le tribunal examina le droit du siège de l’arbitrage, c’est-à-dire le droit français, et détermina que la question de l’existence et de la validité d’un accord d’arbitrage était régie par les principes du droit international qui satisfont aux prescriptions fondamentales de justice dans le commerce international. Sur cette base, il détermina que le droit de l’UE ne pouvait faire partie du droit applicable aux questions de la compétence du tribunal. Puisqu’il avait rejeté l’applicabilité du droit de l’UE, le tribunal considéra qu’il n’était pas utile qu’il examine les effets de la décision sur Achmea sur sa compétence.

Le tribunal appliqua également l’article 31 de la Convention de Vienne sur le droit des traités (CVDT) pour affirmer que des facteurs extérieurs tels que le droit de l’UE ou la décision sur Achmea ne pouvait prévaloir sur le sens ordinaire du texte du traité. Il conclut que le sens ordinaire de l’article 8 était clair et sans ambigüité, et constituait le consentement de la Pologne à l’arbitrage des différends découlant du traité.

La Pologne arguait également, sur la base de la décision sur Achmea, et des articles 59(1) et 30(3) CVDT, que le traité devait être considéré comme éteint suite à l’accession subséquente de la Pologne au TUE et TFUE, ou, alternativement, appliqué seulement dans la mesure où ses dispositions étaient compatibles avec les TUE et TFUE.

Le tribunal rejeta l’objection de la Pologne au motif que la précondition de « la même matière » au titre des articles 59(1) et 30(3) CVDT n’était pas satisfaite. Le tribunal détermina que le traité et le TFUE ne relevaient pas de la même matière puisque le TFUE n’aborde pas la question du règlement des différends investisseur-État, ni même de l’arbitrage. Selon le tribunal, la décision sur Achmea n’affectait pas ses conclusions puisque celle-ci se limitait aux principes du droit de l’UE et ne changeait pas cette relation de droit public international entre le TFUE et les TBI intra-UE aux fins des articles 59 et 30 CVDT.

Remarques : le tribunal était composé de V.V. Veeder (président nommé par les arbitres nommés par les parties, d’Angleterre), de Karl-Heinz Böckstiegel (nommé par les demandeurs, d’Allemagne) et d’Albert Jan van den Berg (nommé par le défendeur, de Belgique). La décision est disponible sur https://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw11770.pdf.

Sarthak Malhotra est un avocat indien, basé à New Delhi, Inde.

[1] Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. États-Unis d’Amérique) disponible sur https://www.icj-cij.org/fr/affaire/90