Entretien avec Luis Guillermo Vélez, Directeur-général de l’Agence nationale de Colombie pour la défense juridique de l’État

L’Institut international pour le développement durable (IISD), L’Autorité kényane pour l’investissement (KenInvest) et le Centre Sud ont tenu le 11ème Forum annuel des négociateurs d’investissement des pays en développement à Nairobi, au Kenya, du 7 au 9 février 2018. L’événement a rassemblé 141 participants, notamment les représentants de 65 gouvernements de pays en développement et de 11 organisations régionales et internationales. Les discussions ont mis l’accent sur les tendances et les défis dans la conception des traités d’investissement ainsi que dans la réforme du règlement des différends investisseur-État (RDIE) du point de vue du développement durable.

Au cours de cet événement, IISD s’est entretenu avec les représentants de pays en développement au sujet de leur expérience des négociations d’investissement et des différends en la matière, de leurs attentes des processus de réforme et de leurs opinions sur l’intérêt du Forum. ITN publie ici l’entretien avec Luis Guillermo Vélez Cabrera, le Directeur-général de l’Agence nationale de Colombie pour la défense juridique de l’État (ANDJE). L’agence coordonne, entre autres, la défense de la Colombie dans les différends internationaux en matière d’investissement et appuie le ministère colombien du Commerce, de l’Industrie et du Tourisme (MinCIT) dans les négociations de traités d’investissement.

IISD : Votre pays a-t-il connu des conséquences négatives suite à des traités ou accords d’investissement ? Avez-vous été poursuivi ? Avez-vous connu un gel réglementaire ?

En fait, dans une certaine mesure, les trois. Nous sommes actuellement impliqués dans au moins sept arbitrages découlant principalement de Traités bilatéraux d’investissement (TBI), dont certains ont été signés il y a de très nombreuses années.

La Colombie respecte et se félicite de l’arrivée d’investissements étrangers. Pour notre pays, l’investissement est très important. Mais il est également très important pour le gouvernement de jouer son rôle, celui de réglementer et de gouverner. Lorsque le gouvernement respecte l’état de droit, il semble vraiment injuste de voir un litige survenir alors que le gouvernement ne fait que s’acquitter de son mandat. Un régime d’investissement qui permet cela doit être modifié.

La Colombie n’a jamais contrevenu à ses réglementations internes, au droit international ou à ses obligations internationales, ni même agi contre un investisseur, de quelque manière que ce soit. Et pourtant l’on nous adresse ce que nous considérons comme des recours injustes, que nous allons régler, mais qui, à bien des égards, ne devraient pas avoir lieu.

IISD : Quel(s) changement(s) aimeriez-vous voir dans la manière dont les traités et accords d’investissement sont négociés et dont les différends sont réglés ?

Ce problème devrait être abordé de deux points de vue : le fond et la procédure.

Il faut attacher une plus grande importance au libellé des obligations de fond des États dans les TBI. Les États devraient être prudents et conscients de ce sur quoi ils s’engagent. Les pays n’ont pas toujours conscience des détails et des conséquences de ce qu’ils ont signé. Le Forum de Nairobi est très utile car il permet d’identifier la manière d’élaborer de meilleurs TBI, si un pays décide qu’il souhaite poursuivre cette voie.

L’autre problème est le règlement des différends. Le fond et la procédure sont liés bien sûr, et devraient être examinés en parallèle, mais ils sont différents. Le RDIE sont les armes des TBI. Et ce sont précisément ces armes qui rendent les TBI dangereux et nuisibles. Il y a beaucoup à faire sur le RDIE, qui connait actuellement une crise grave. La Commission des Nations Unies sur le droit commercial international (CNUDCI) a entrepris des travaux à l’échelle multilatérale en vue d’en réformer certains aspects. Tout comme le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI). Ces efforts de réforme en cours démontrent qu’à n’en pas douter, une réforme urgente de certains aspects est nécessaire.

Par exemple, le système n’a pas de règles claires concernant les conflits d’intérêts. La question des « doubles casquettes », c’est-à-dire lorsque des juristes de cabinet internationaux agissent comme conseil auprès des demandeurs, auprès des défendeurs mais également en tant qu’arbitres, ne peut plus être tolérée tel quel. Il y a également le problème des arbitres qui tranchent des différends en ne se fondant pas sur les traités ou sur le droit public international. Nous avons des preuves que certains arbitres, qui viennent principalement du monde de l’arbitrage commercial, ne sont pas toujours familiers du droit public international. Ils entreprennent souvent leur mission sans tenir compte des réalités spécifiques d’un pays, de ses objectifs et de son mandat, et considèrent les différends en matière d’investissement comme n’importe quel litige commercial entre deux entreprises, ce qui n’est pas du tout le cas. Enfin, le RDIE est également la source d’incongruité dans les décisions rendues par les tribunaux arbitraux, et l’absence de prévisibilité du système qui en découle. Voilà au moins trois volets du RDIE qui doivent être examinés en urgence.

IISD : Le Forum annuel vous a-t-il aidé à vous préparer à ces conséquences négatives, et à les éviter ?

Le Forum est vraiment très important. Il permet aux négociateurs d’échanger sur leurs expériences et leurs idées, d’apprendre des erreurs des uns et des succès des autres. Il trace une voie claire pour les relations futures avec les investisseurs, mais également pour la révision de politiques que certains pays ont par le passé appliqué et qui ont donné lieu à de terribles situations.

De nombreux autres forums connaissent une plus grande participation d’investisseurs et de pays exportateurs de capital, dont les intérêts ne sont pas le mêmes que ceux d’un pays en développement. Ce Forum permet des discussions très franches entre les participants, qui viennent de contextes similaires, et qui ont des intérêts semblables et communs.

IISD : Comment IISD peut-il contribuer aux réformes nécessaires dont vous avez parlé ?

Maintenant que la réforme est réclamée et sérieusement engagée, IISD peut jouer un rôle fondamental en tant que source d’idées et d’informations, mais également comme point de convergence pour de nombreuses nations qui connaissent les mêmes situations et problèmes, et qui ont besoin de conseils.