La Conférence 2016 de la CNUCED sur les Accords internationaux d’investissement : une étape de plus dans la réforme des AII

Dans le cadre du Forum mondial de l’investissement 2016 (WIF)[1], les négociateurs d’Accords internationaux sur l’investissement (AII) et plusieurs parties-prenantes se sont réunies le 19 juillet 2016 à la Conférence de haut niveau sur les AII à Nairobi au Kenya. Une cinquantaine de représentants de pays, de parlementaires, et de représentants d’organisations internationales et de la société civile ont abordé la première étape de la réforme des AII et la façon de passer à l’étape suivante.

La première étape fait référence au processus de réforme des AII qui a commencé il y a quelques années et qui constitue maintenant la manière normale d’élaborer des politiques internationales en matière d’investissement : bon nombre de pays ont révisé leurs réseaux d’AII, développé des modèles de traités contenant des dispositions affinées, et négocié des traités plus favorables au développement durable ; d’autres ont lancé ces processus. D’après le Rapport sur l’investissement dans le monde 2016, plus de 100 pays ont lancé une réforme de leurs AII, utilisant souvent le Cadre pour les politiques d’investissement au service du développement durable et la Feuille de route pour la réforme des AII élaborés par la Conférence des Nations Unies pour le commerce et le développement (CNUCED) à titre d’orientation. S’appuyant sur les enseignements tirés jusqu’à présent, la deuxième étape vise une réforme complète, mais également à aborder la question du nombre importants d’AII.

Si le degré d’engagement dans la réforme des AII et les approches adoptées continuent de varier entre les pays et les régions, la première étape a vu l’émergence d’un consensus quant à la nécessité de réformer les AII. Lors de la conférence, les intervenants ont appuyé sans équivoque la réforme des AII, et ont adressé un message commun en faveur de la promotion des objectifs de développement durable, de la sauvegarde du droit à réglementer et à rechercher une approche équilibrée, tout en protégeant et en promouvant l’investissement étranger[2]. Un autre message récurrent portait sur la nécessité d’adopter une approche plus coordonnée de la réforme des traités d’investissement et du règlement des différends, notamment par le biais de l’intensification du dialogue sur le plan multilatéral. Plusieurs orateurs considéraient que la deuxième étape devait aborder la nature fragmentée des réponses actuelles à la réforme.

La Conférence sur les AII a été marquée par une grande volonté d’examiner différentes options et nouvelles suggestions relatives à la deuxième étape de la réforme des AII. Plusieurs intervenants ont considéré qu’il y avait des possibilités de collaboration à long terme, par exemple s’agissant d’un tribunal multilatéral des investissements, d’un mécanisme d’appel ou de lignes directrices pour l’élaboration de politiques sur l’investissement. Dans le même temps, des avertissements en lien avec certaines approches innovantes du règlement des différends relatifs aux investissements se sont faites entendre.

Les principes directeurs du G20 relatifs à l’élaboration de la politique mondiale d’investissement

Les représentants de pays membres du G20 qui se sont exprimés lors de la Conférence sur les AII se sont félicités des principes directeurs du G20 relatifs à l’élaboration de la politique mondiale d’investissement et salué la contribution de la CNUCED à leur élaboration. Ces principes directeurs non-contraignantsont été acceptés lors d’un Sommet ministériel du G20 à Shanghai en juillet, et adoptés par les dirigeants des pays du G20 lors du Sommet de Hangzhou en septembre. Quelques déclarations ont fait référence au développement de principes sud-sud sur l’investissement international au service du développement durable, sujet d’un événement parallèle organisé par l’Institut international du développement durable (IISD) et des autorités kényanes pour l’investissement (KenInvest) pendant le WIF. Cet événement parallèle a abordé la nécessité et la faisabilité de développer des principes de développement pour renforcer la coopération sud-sud pour une réforme complète du régime des investissements.

La facilitation des investissements dans les AII et au-delà

Bon nombre d’intervenants considéraient que la facilitation des investissements faisait partie des questions les plus pressantes du programme de réforme au titre de la deuxième étape, s’appuyant également sur le Menu d’action globale de la CNUCED pour la facilitation des investissements[3]. Compte tenu qu’il manque plusieurs billions de dollars pour financer les Objectifs du développement durable (ODD), ils ont suggéré que les mesures de facilitation prennent la forme d’un outil permettant de mobiliser l’investissement en faveur du développement durable, notamment dans les infrastructures de développement.

Les participants ont observé que les dispositions relatives à la facilitation des investissements étaient largement absentes des AII. Notant que le Menu d’action de la CNUCED incluait des mesures visant à renforcer les aspects relatifs à la facilitation des investissements dans les AII, plusieurs intervenants ont soutenu l’inclusion de telles dispositions. Un délégué a ajouté que son pays utilisait un nouveau modèle incluant des dispositions sur la facilitation des investissements et reflétaient les éléments proposés dans le Menu d’action de la CNUCED.

Le rôle des mesures de facilitation des investissements prises au niveau national et par les institutions compétentes – telles que les agences de promotion de l’investissement, les guichets uniques et les comités interministériels – a également été souligné. Plusieurs participants ont suggéré que l’on étudie plus avant la possibilité de faciliter les investissements par le biais de politiques nationales et internationales, sur la base du Menu d’action de la CNUCED.

Le droit de réglementer et l’investissement responsable

Bon nombre d’intervenants ont considéré que la sauvegarde du droit de réglementer et l’équilibre des droits et des obligations des États et des investisseurs étaient les principaux objectifs de la réforme des AII. Plusieurs d’entre eux ont également suggéré que les AII tiennent compte des normes promouvant les droits de l’homme ainsi que la protection de la santé, l’environnement et le droit du travail. Certains ont fait remarquer que leurs AII incluaient déjà des dispositions sur ces points. L’Accord économique et commercial global (AECG) Canada-Union européenne, qui contient un article réaffirmant le droit de réglementer, ainsi qu’une clause de « non-stabilisation », a été cité à titre d’exemple récent. Plusieurs orateurs se sont dits favorables à la promotion d’un investissement responsable. Une partie-prenante a suggéré que la CNUCED et d’autres organisations travaillent davantage sur les obligations contraignantes pour les investisseurs au titre des AII, et sur le lien entre investissement et développement durable.

S’agissant du fond des AII, les participants ont identifié les définitions de l’investissement et de l’investisseur, du traitement juste et équitable, de l’expropriation indirecte, de la clause parapluie, du refus des avantages et de la clause de survie comme étant des dispositions devant être abordées dans le cadre des efforts de réforme. Il a été suggéré, entre autres, de mener à bien d’autres recherches sur la définition du portefeuille d’investissement, du terme « activités commerciales substantielles » et sur la portée du droit de réglementer.

La réforme de l’arbitrage investisseur-État : système judiciaire, mécanismes d’appel et mécanismes alternatifs de règlement des différends

Dans le cadre de la deuxième étape de la réforme, l’on a considéré qu’il fallait continuer d’étudier les alternatives de réforme de l’arbitrage investisseur-État. Bon nombre d’intervenants ont salué la proposition européenne visant à créer un système judiciaire international, composé d’un tribunal de première instance et d’un tribunal d’appel, ainsi que son incorporation dans les accords signés par l’UE avec le Canada et le Vietnam. Cette proposition a été considérée comme une option innovante permettant de répondre aux préoccupations relatives à la légitimité et à d’autres aspects du mécanisme actuel de règlement des différends investisseur-État (RDIE).

Le représentant de l’UE et plusieurs États membres européens ont suggéré que l’inclusion de systèmes de tribunaux des investissements dans les traités individuels pourraient constituer une étape vers la création d’une cour des investissements multilatérale. Un participant a ajouté qu’un traité multilatéral pourrait établir une telle instance pour remplacer les tribunaux arbitraux au titre des traités actuels. Un autre intervenant a averti qu’il n’était pas certain qu’un tribunal des investissements permettrait de renforcer l’équité et l’impartialité et que cette approche pourrait comporter des risques.

Plusieurs intervenants ont suggéré de renforcer les mécanismes de prévention des différends et de règlementsalternatifs. Certains représentants ont présenté les mesures prises par leurs États dans le cadre de la législation nationale et des traités d’investissement pour encourager le règlement des différends par d’autres voies que l’arbitrage. Ils ont par exemple créé des comités conjoints chargés de la médiation des différends, ou des ombudsmans chargés de faciliter les relations entre les investisseurs et le gouvernement.

Certains intervenants ont également suggéré d’envisager d’utiliser les cours nationales et régionales comme alternatives à l’arbitrage. L’un des orateurs a fait référence au nouveau traité modèle de son pays, qui exige l’épuisement des recours locaux avant de se tourner vers l’arbitrage. Le représentant d’un autre pays a présenté l’idée d’un traité incluant l’arbitrage entre États plutôt qu’entre investisseurs et États. Deux autres personnes ont fait remarquer que le RDIE était un composant nécessaire des AII.

Pour aider les pays aux ressources et à l’expertise limitées, le représentant d’un pays a proposé de créer une agence juridique consultative pour le règlement des différends relatifs aux investissements, par exemple sur le modèle du Centre consultatif sur la législation de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).

Intensification de la collaboration et de la coordination lors de la deuxième étape de la réforme des AII

 Plusieurs intervenants ont discuté de la manière de faire face à la fragmentation des efforts de réforme des AII et d’élaboration des traités. Certains ont suggéré qu’il était souhaitable d’avoir plus de dialogues et d’échanges au niveau multilatéral. Parmi les possibilités d’engagement multilatéral, les intervenants ont proposé d’intensifier les discussions sur la création d’un tribunal des investissements multilatéral ou d’un mécanisme d’appel mondial, et de dégager des consensus sur la portée des dispositions clé. Ce dernier point pourrait être soutenu par le partage de bonnes pratiques.

Le dégagement de consensus, et l’intensification de la collaboration et de la coordination entre les pays pourraient également contribuer à surmonter les faiblesses des traités existants. Plus spécifiquement, un intervenant a suggéré de voir si la Convention des Nations Unies sur la transparence dans l’arbitrage entre investisseurs et États fondé sur des traités (la Convention de Maurice) pourrait servir de modèle pour réformer l’énorme quantité de traités d’investissement ne contenant aucune sauvegarde ainsi que pour préciser le libellé de traités plus récents.

Plusieurs intervenants ont souligné leur volonté de tirer les enseignements d’autres approches, et suggéré que la flexibilité, le pragmatisme, l’ouverture et la créativité pourraient faciliter la réforme des AII. Un participant a souligné le rôle de la société civile dans ces efforts.

Bon nombre d’orateurs ont appelé à un développement des activités de renforcement des compétences et d’assistance technique par la CNUCED et d’autres parties-prenantes, en vue de soutenir les efforts de réforme des réseaux complexes d’AII, notamment des pays en développement et les moins avancés. Plusieurs intervenants représentants de pays en développement ont attiré l’attention sur les difficultés dans les négociations et renégociations des traités. L’on a fait remarquer que le Cadre pour les politiques d’investissement et la Feuille de route pour la réforme des AII de la CNUCED offraient des conseils utiles sur ces points. L’on a demandé à la CNUCED qu’elle développe d’autres outils politiques pour soutenir les processus de réforme des AII, par exemple une liste de points de contrôle ou un plan d’action pour la deuxième étape de la réforme.

De nombreux intervenants ont demandé à la CNUCED et à d’autres organisations telles que l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international (CNUDCI) de continuer d’offrir une plateforme de dialogue politique sur la réforme des AII et du RDIE.

Renouvèlement du mandat sur les AII et le développement durable

En parallèle du WIF, les 194 États membres de la CNUCED se sont rencontrés à Nairobi pour la 14èmesession de la CNUCED et ont atteint un consensus sur le programme de travail de la CNUCED pour les quatre années à venir. Le document final – le Maafikiano de Nairobi – donne à la CNUCED un rôle central dans la réalisation des ODD et aborde un large éventail d’activités dans les domaines du commerce, de l’investissement et du développement. Il affirme également que la CNUCED devrait « poursuivre son programme de réunions et de consultations avec les États membres sur les [AII] conformément au Programme d’action d’Addis-Abeba, continuer de servir de cadre au débat international dans ce domaine, et aider les États membres à renforcer l’optique du développement, s’il y a lieu » (paragraphe 38(l)). La CNUCED devrait également continuer de « promouvoir une meilleure connaissance des questions relatives aux [AII] et à leur contribution au développement » (paragraphe 55 (hh)). Cela représente un cadre solide pour le travail de la CNUCED sur la réforme des AII dans les années à venir.

Les enregistrements vidéo et les déclarations de la Conférence sur les AII sont disponibles sur http://UNCTAD-worldinvestmentforum.org/programme2016/international-investment-agreements-conference-2016.


Auteurs

James Zhan est directeur de la division de l’investissement et des entreprises de la CNUCED et rédacteur en chef du Rapport sur l’investissement dans le monde. Diana Rosert est associée aux affaires juridiques à la Section sur les Accords internationaux d’investissement de la CNUCED. Les opinions exprimées dans cet article sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement celles de la CNUCED.


Notes

[1] Le WIF de la CNUCED est une réunion biennale multipartite de haut-niveau conçue pour faciliter le dialogue et les actions autour des principaux défis émergents en matière d’investissement. Voir http://unctad-worldinvestmentforum.org.

[2] Le cadre pour les politiques d’investissement au service du développement durable de la CNUCED a été utilisé comme référence.

[3] Le Menu d’action globale de la CNUCED pour la facilitation des investissements était au cœur des débats du WIF 2016. Plusieurs événements individuels ont fait référence à la nécessité de soutenir la facilitation des investissements par le biais d’un plan d’action concret mondial. Le Menu d’action globale de la CNUCED mis à jour en septembre 2016 est disponible sur http://investmentpolicyhub.unctad.org/Upload/Documents/UNCTAD.GlobalActionMenuForInvestmentFacilitation.2016.French.pdf.