Un tribunal de la CPA considère que les actions de l’Agence polonaise de la propriété agricole ne sont pas attribuables à la Pologne
Kristian Almås et M. Geir Almås c. la République de Pologne, Affaire CPA n° 2015-13
Dans une affaire administrée par la Cour permanente d’arbitrage (CPA), un tribunal a déterminé que les actes de l’Agence polonaise de la propriété agricole n’étaient pas attribuables à la Pologne, et a rejeté l’affaire au fond lancée par des demandeurs norvégiens, Kristian Almås et Geir Almås.
Le contexte et les recours
Les demandeurs étaient les seuls actionnaires de Pol Farm Sp. z oo (Pol Farm). En 1997, Pol Farm et l’Agence polonaise pour la propriété agricole (l’ANR d’après son acronyme polonais) ont conclu un bail couvrant 4 200 hectares de terres situés dans la commune de Świdwin en Pologne (le contrat de bail).
Après avoir mené une série d’enquêtes et découvert plusieurs irrégularités chez Pol Farm, l’ANR résilia le contrat de bail en juillet 2009. En octobre 2009, un tribunal de district polonais lança une procédure de faillite contre Pol Farm et liquida l’entreprise. En outre, en octobre 2015, un tribunal pénal polonais déclara les demandeurs coupables de détournement et de plusieurs autres délits. Cette décision fait actuellement l’objet d’un appel.
En novembre 2013, les demandeurs lancèrent un arbitrage contre la Pologne, arguant que les actions de l’ANR violaient le Traité bilatéral d’investissement (TBI) Norvège-Pologne en expropriant leur investissement sans indemnisation adéquate, en ne leur accordant pas un traitement et une protection raisonnables et équitables, et en les soumettant à des mesures déraisonnables et discriminatoires. Ils avançaient également que la résiliation par la Pologne du contrat de bail violait la clause parapluie du TBI. Ils réclamaient une indemnisation de 23 millions d’euros, en plus des intérêts et des frais de représentation. Les demandeurs n’inclurent pas dans leurs recours les charges pénales à leur encontre ni l’ordonnance de faillite contre Pol Farm.
La portée de l’affaire des demandeurs est déterminée par l’attribution des actions de l’ANR à la Pologne
Le principal argument des demandeurs était que la résiliation du contrat de bail par l’ANR constituait une expropriation indirecte. Le tribunal examina donc d’abord si la conduite de l’ANR était attribuable à la Pologne, soulignant que l’absence d’attribution saperait tous les recours. À la suggestion des deux parties, le tribunal s’appuya sur les Articles de 2001 de la Commission du droit international sur la responsabilité des États pour fait internationalement illicite (les Articles de la CDI) pour analyser la question.
Article 4 de la CDI : l’ANR est-elle une agence étatique ?
L’Article 4 de la CDI affirme que la conduite d’un organe étatique – notamment de toute personne ou entité possédant ce statut au titre du droit interne de l’État – est considérée comme un acte de l’État. Le tribunal remarqua qu’au titre du droit polonais, l’ANR est dotée d’une personnalité juridique distincte, et qu’elle opère en toute autonomie. Il conclut donc que l’ANR ne pouvait être considérée comme un organe étatique de jure au titre du droit polonais.
Le tribunal remarqua également que l’observation relative à l’Article 4 de la CDI précise qu’une entité peut également être considérée comme un organe étatique de facto. À cet égard, les demandeurs arguèrent que l’ANR exerce des pouvoirs exécutifs de l’État car elle a la capacité de gérer, de vendre et de louer la propriété agricole de l’État. Le tribunal contesta l’opinion des demandeurs, considérant qu’un contrat de bail agricole est une transaction commerciale, même s’il est conclu avec une entité étatique et même s’il implique des terres détenues par l’État.
En outre, pour analyser l’autonomie de l’ANR, le tribunal s’est intéressé à deux autres affaires, Hamester c. Ghanaet Jan de Nul c. Égypte. Compte tenu des caractéristiques communes entre les entités dans ces affaires et l’ANR, le tribunal conclut que l’ANR ne pouvait être considéré comme un organe d’État de factopuisqu’elle jouit d’une autonomie de gestion et financière.
Article 5 de la CDI : la résiliation du contrat de bail a-t-elle été réalisée dans l’exercice de fonctions gouvernementales ?
Au titre de l’Article 5 de la CDI, la conduite d’une entité non-étatique peut quand même être attribuée à l’État lorsque cette entité peut exercer une prérogative de puissance publique et exercer dans les faits cette prérogative à l’heure de réaliser la conduite en question.
En analysant cet article, le tribunal s’est basé sur le test à deux volets de l’affaire Jan de Nul, qui affirme que les actes doivent être menés par une entité habilité à exercer une prérogative de puissance publique, et que l’acte lui-même doit impliquer l’exercice de cette prérogative gouvernementale.
Le tribunal nota que même si l’ANR avait conclut un contrat de bail en exerçant son pouvoir statutaire de gestion de la propriété agricole de l’État, elle n’exerçait pas une prérogative de puissance publique lorsqu’elle l’a résilié. Il conclut donc que cette action ne pouvait être attribuée à la Pologne.
Pour contrecarrer ce raisonnement, les demandeurs arguèrent que la résiliation n’était pas autorisée par le contrat de bail, et qu’elle résultait d’une motivation politique sous-jacente, qui faisait de cet acte un exercice de prérogative de puissance publique au titre de l’Article 5 de la CDI.
Le tribunal n’a pas suivi les demandeurs, tout en précisant qu’il n’avait pas atteint une « conclusion définitive quant à la légalité de la résiliation par l’ANR du contrat de bail au titre du droit polonais » (para. 251). Il souligna qu’il ne lui restait plus qu’à examiner, comme il l’avait déjà fait, si la résiliation relevait de l’exercice d’un pouvoir contractuel.
S’agissant de savoir si la résiliation était motivée par une politique sous-jacente, le tribunal analysa la décision de l’affaire Vigotop c. Hongrie sur laquelle s’appuyaient les demandeurs. Le tribunal dans cette affaire détermina que la Hongrie avait exproprié l’investissement de Vigotop en appliquant la disposition relative à la résiliation contenue dans un contrat signé par la filiale de Vigotop avec la Hongrie.
Le tribunal fit d’abord remarquer que l’affaire Vigotop concernait la résiliation d’un contrat avec l’État lui-même, et non avec une entité distincte dotée de pouvoirs contractuels. Il examina ensuite si les conditions avancées par le tribunal de l’affaire Vigotop étaient satisfaites, et conclut que ce n’était pas le cas.
Article 8 de la CDI : la résiliation du contrat de bail a-t-elle été réalisée sur instructions du gouvernement polonais ?
Le tribunal étudia également l’Article 8 de la CDI, au titre duquel la conduite d’une entité peut être considérée comme un acte de l’État si l’entité agit en réalité sur instructions ou sous la direction ou le contrôle de l’État à l’heure de réaliser la conduite.
S’appuyant sur l’observation relative à l’Article 8 de la CDI et sur les décisions des affaires Jan de Nul c. Égypteet White Industries c. Inde, le tribunal indiqua que pour déterminer si l’acte d’une entité pouvait être attribué à un État, celui-ci devait contrôler à la fois l’entité et l’acte en question.
Ne trouvant aucun élément attestant du fait que l’ANR ait agi sur instructions ou sous la direction ou le contrôle du gouvernement polonais, le tribunal conclut que l’acte ne pouvait être attribué à l’État au titre de l’Article 8 de la CDI.
Remarques : Le tribunal était composé de James R. Crawford (président-arbitre, nommé par les coarbitres, de nationalité australienne), d’Ola Mestad (nommé par les demandeurs, de nationalité norvégienne) et d’August Reinisch (nommé par le défendeur, de nationalité autrichienne). La décision datée du 27 juin 2016 est disponible sur http://www.pcacases.com/web/sendAttach/1872.
Claudia María Arietti López est étudiante à la faculté de droit international financier de l’Université de New York, et est stagiaire boursier au programme Investissement pour le développement durable de IISD.