Le demandeur n’est pas considéré comme un investisseur du fait de l’interprétation du « siège » au titre du TBI Chypre-Monténégro

CEAC Holdings Limited c. Monténégro, Affaire CIRDI n° ARB(AF)/14/8

Un tribunal du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) a conclu à la majorité que le demandeur n’avait pas de « siège » à Chypre en vertu du Traité bilatéral d’investissement (TBI) Chypre-Monténégro, et donc qu’il n’était pas un « investisseur » au titre du TBI. Le tribunal a donc décidé de décliner sa compétence dans l’affaire.

 Le contexte et les recours

L’affaire concerne une fabrique d’aluminium (KAP) au Monténégro, détenue et gérée par CEAC, une entreprise établie au titre du droit chypriote. En 2003, CEAC acquit environ 65 % des parts de KAP auprès du Gouvernement du Monténégro. Afin d’améliorer KAP et d’en faire une entreprise rentable, CEAC acquit également une part minoritaire du principal fournisseur de matières premières de KAP, RBN. En outre, l’entreprise mère de CEAC acquit, dans le cadre d’un appel d’offre, toutes les parts d’une usine à charbon, entreprise d’État du Monténégro, pour garantir l’approvisionnement de KAP en électricité.

En 2006, CEAC commença à connaitre des problèmes lorsqu’elle apprit que le Monténégro avait présenté des états financiers inexacts pour KAP et RBN dans le cadre de l’appel d’offre, qui sous-estimaient les dettes et obligations de KAP de 10 millions d’euros. Cela conduisit le parlement monténégrin à mettre fin à la privatisation de l’usine à charbon « sur la base d’un raisonnement discutable », compromettant l’approvisionnement de KAP en électricité à un prix compétitif.

CEAC lança un arbitrage contre les vendeurs et contre le Monténégro en vertu de l’accord d’achat-vente afin de résoudre ces problèmes, mais celui-ci fut interrompu après la conclusion d’un accord à l’amiable en novembre 2007. Conformément à cet accord, CEAC transféra 50 % de ses parts dans KAP au Monténégro, qui s’engagea en échange à subventionner l’approvisionnement en électricité de KAP et à émettre des garanties d’État à KAP.

En 2014, CEAC lança un arbitrage contre le Monténégro sous l’égide du CIRDI, arguant que le gouvernement avait bloqué ses tentatives de restructurer et de moderniser KAP par différentes actions, conduisant l’entreprise à un défaut de paiement de ses dettes. D’après CEAC, ces actions incluaient le refus d’accorder à KAP les subventions accordées au titre de l’accord amiable, le refus du représentant monténégrin au Conseil de direction de KAP d’approuver les états financiers et le plan commercial, et le refus de donner son consentement écrit de garant dans un accord de prêt.

CEAC argua que le Monténégro avait violé plusieurs de ses obligations au titre du TBI, notamment la norme de traitement juste et équitable (TJE), les clauses relatives au traitement national et à la nation la plus favorisée, et l’interdiction de réaliser des expropriations abusives, requérant une indemnisation monétaire.

 La question du « siège »

CEAC souhaitait une décision concluant qu’elle disposait d’un siège à Chypre, et donc qu’elle était considérée comme un « investisseur » au titre de l’article 1(3)(b) du TBI. De son côté, le Monténégro exigea une déclaration selon laquelle CEAC n’avait pas de siège à Chypre.

Les extraits pertinents de l’article 1 du TBI stipulent : « 3. Le terme « investisseur » désignera […] (b) une entité juridique, dûment enregistrée, constituée ou autrement organisée conformément aux lois et réglementations de l’une des parties contractantes, dont le siège se trouve sur le territoire de cette même partie, et qui réalise des investissements dans le territoire de l’autre partie contractante ».

D’après CEAC, le sens de « siège » ne peut être interprété de manière autonome au titre du traité, mais devrait être déterminé par le biais d’un renvoiau droit municipal. Dans ce contexte, CEAC maintenait que le terme « siège » signifie « siège social », et non pas « siège réel », et qu’il s’agit de l’interprétation soutenue par le Règlement du Parlement européen et par la pratique fondée sur les traités de Chypre et du Monténégro. Elle affirma avoir établi son siège social à Chypre et que les certificats connexes relatifs à son siège social constituaient des preuves concluantes en ce sens.

Selon le Monténégro, le « siège » est le lieu où l’entité juridique est effectivement gérée et financièrement contrôlée, là où elle mène ses activités commerciales. Le pays affirma également que l’objet et le but du TBI ne prévoyait pas un renvoi1au droit municipal puisque le test du « siège » devait être mené sur la base de critères identiques et réciproques.

Selon le Monténégro, le terme « siège » interprété indépendamment du TBI exigeait « plus que le siège social », et même au titre du droit chypriote, le terme « siège » ne peut être considéré comme un « siège social ».

Le Monténégro considérait que, indépendamment de l’interprétation du terme, CEAC n’avait pas de siège à Chypre, et que l’adresse fournie pour le soi-disant siège ne pouvait être considérée comme un siège social au sens du droit chypriote. Il contestait le fait que les certificats produits constituaient des preuves concluantes, indiquant que ces certificats sont émis sans vérification indépendante. Il affirma également que par trois fois il n’avait pas réussi à faire livrer un paquet par messagerie à l’adresse de CEAC à Chypre car l’entreprise n’était pas connue à cette adresse.

L’analyse du tribunal

La majorité considéra qu’aux fins de l’examen, il n’était pas nécessaire de déterminer le sens précis du terme « siège » tel qu’utilisé dans le TBI, puisque les preuves au dossier ne démontraient pas que CEAC avait un siège social à Chypre à l’époque pertinente.

La majorité considéra également que, même au titre du droit municipal chypriote, les certificats de siège social ne sont pas des preuves concluantes de l’existence des bureaux. Il remarqua que CEAC n’avait fourni aucun élément contestant les affirmations du Monténégro que les bureaux paraissaient vides et inaccessibles au public, et n’avait pas indiqué non plus d’autre adresse à Chypre. Il conclut donc que CEAC n’avait pas de siège social à Chypre au moment de déposer la demande d’arbitrage.

CEAC avait présenté un autre argument, alléguant avoir la résidence fiscale à Chypre, mais le tribunal conclut qu’au titre du droit chypriote, le « siège » ne peut équivaloir à la « résidence fiscale ».

La décision et les coûts

La majorité décida que CEAC n’avait pas de « siège » à Chypre et donc qu’elle ne pouvait être considérée comme un « investisseur » au titre du TBI. Aussi, la majorité détermina que le tribunal n’avait pas compétence sur l’affaire et rejeta tous les autres recours. Elle ordonna également à CEAC de payer l’intégralité des coûts et dépenses relatifs à la procédure, sauf ceux liés aux objections préliminaires du Monténégro en vertu du principe selon lequel les coûts sont réglés après l’instance, compte tenu du fait que ces objections préliminaires du Monténégro avaient été rejetées.

L’opinion distincte de William Park

William Park, l’arbitre nommé par CEAC, émit une opinion divergente distincte portant sur la question centrale du siège. Park contestait la conclusion de la majorité selon laquelle le critère du « siège » exige plus que le « siège social », affirmant que le terme reste essentiellement un concept de droit municipal dérivé des systèmes continentaux. Selon lui, le sens ordinaire de « siège social » correspond à celui de « siège » à Chypre, tel qu’utilisé dans le TBI. Selon cette norme, Park souligna que CEAC semblait avoir un siège à Chypre.

Remarques : le tribunal du CIRDI était composé du Professeur Bernard Hanotiau (président nommé sur accord des parties, de nationalité belge), du Professeur William Park (nommé par le demandeur, de nationalités suisse et étasunienne), et de Brigitte Stern (nommée par le défendeur, de nationalité française). La décision est disponible en anglais sur http://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw7456.pdf.

Maria Florencia Sarmiento est assistante d’enseignement et de recherche à l’Université catholique d’Argentine.