Un tribunal CIRDI rejette la clause NPF de l’AGCS de l’OMC comme moyen d’importer de TBI tiers le consentement du Sénégal à l’arbitrage

Menzies Middle East and Africa S.A. et Aviation Handling Services International Ltd. c.République du Sénégal,Affaire CIRDI ARB/15/21

Dans une sentence rendue le 5 août 2016, un tribunal du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) a rejeté sa compétence pour connaître d’une requête d’arbitrage contre le Sénégal. Le tribunal a notamment accepté l’objection d’incompétence du Sénégal, tout en rejetant l’invocation de la clause de la nation la plus favorisée (NPF) de l’Accord général sur le commerce des services (AGCS) de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) pour importer un consentement du Sénégal à l’arbitrage international.

Les faits et le recours

La plainte a été déposée le 17 avril 2015 par Menzies Middle East and Africa S.A. (Menzies), une société enregistrée au Luxembourg, et Aviation Handling Services International Limited (AHSI), une société enregistrée aux îles vierges Britanniques.

En novembre 2003, les demanderesses ont acquis AHS SA, une société de droit sénégalais créée pour l’exercice des activités d’assistance en escale dans les aéroports du Sénégal.

Selon les demanderesses, Mamadou Pouye et les frères Ibrahim et Karim Aboukhalil seraient les bénéficiaires économiques des deux sociétés contrôlant AHS SA. Le Sénégal soutenait au contraire qu’il s’agissait en réalité de Karim Wade, fils de l’ancien président du Sénégal et ancien ministre sénégalais des Transports aériens.

AHS SA a mené ses activités jusqu’en 2013, date à laquelle une enquête fut ouverte contre M. Wade, M. Pouye et les frères Aboukhalil pour enrichissement illicite et complicité d’enrichissement illicite par la Cour de Répression de l’Enrichissement illicite (CREI). Dans le cadre de cette procédure, AHS SA fut placée sur administration provisoire par le CREI à titre de mesure conservatoire.

En mars 2015, M. Wade sera reconnu coupable d’enrichissement illicite, et M. Pouye et les frères Aboukhalil de complicité d’enrichissement illicite. Sur ordonnance de la CREI, tous leurs biens seront confisqués, y compris leurs parts sociales dans AHS SA. La décision sera confirmée en cassation par la Cour suprême du Sénégal en août 2015.

Dans leur recours devant le tribunal CIRDI, les demanderesses alléguaient que le placement sous administration provisoire de AHS SA et la gestion désastreuse qui s’en est suivi étaient non seulement illégaux au regard du droit sénégalais, en particulier le code des investissements, mais constituaient également une expropriation indirecte et une mesure discriminatoire au titre du droit international général et des traités bilatéraux d’investissement du Sénégal avec les Pays-Bas et le Royaume-Uni. Elles alléguaient également que la décision de la Cour suprême était arbitraire. Menzieset ASHI demandaient au total €41.633.169 de dommages-intérêts.

Le Sénégal, tout en rejetant les allégations, a soulevé trois objections d’incompétence : l’absence de son consentement à l’arbitrage (absence de compétence ratione voluntatis) ;l’inexistence d’un investissement réalisé au Sénégal (absence de compétence ratione materiae) ; et la nationalité sénégalaise des demanderesses (absence de compétence ratione personae).

L’analyse de la compétence ratione voluntatis par le tribunal

La question soulevée par la première objection était de savoir si l’État avait donné son consentement à l’arbitrage. Pour ce faire, les arbitres ont examiné les normes invoqués :

(a) L’article II de l’AGCS, qui prévoit que « chaque Membre accordera immédiatement et sans condition aux services et fournisseurs de services de tout autre Membre un traitement non moins favorable que celui qu’il accorde aux services similaires et fournisseurs de services similaires de tout autre pays ».

(b) L’article 12.2 du code des investissements du Sénégal, qui prévoit que « les différends entre personne physique ou morale étrangère et la République du Sénégal […] sont réglés conformément à la procédure […] d’arbitrage découlant […]d’accords et traités relatifs à la protection des investissements conclus entre la République du Sénégal et l’État dont l’investisseur est ressortissant ».

(c) Les dispositions sur le règlement des différends des TBI Sénégal-Pays-Bas (article 10) et Sénégal-Royaume-Uni (article 8).

Le tribunal a examiné en premier lieu le cas de Menzies (A), avant de se pencher sur celui de AHSI (B).

  1. Le cas de Menzies

Les demanderesses arguaient que la clause NPF de l’AGCS permettait d’importer le consentement à l’arbitrage que le Sénégal avait accordé dans les deux TBI. Le Sénégal arguait, entre autre, au contraire que les demanderesses ne pouvaient pas invoquer l’AGCS, car les personnes privées ne peuvent se prévaloir des accords de l’OMC.

Le tribunal refusa de suivre la position des demanderesses, en estimant que leur argumentaire était basé sur un « mécanisme complexe et très équivoque » (para. 131). Il invoqua trois éléments principaux à l’appui de sa décision.

  1. L’AGCS ne contient pas de consentement à l’arbitrage

Selon le tribunal, « aucun consentement à l’arbitrage, sous quelle forme que ce soit, ne figure dans l’article II de l’AGCS » (para. 139). Partant du constat que cet article ne se réfère pas à l’arbitrage, ni même au règlement des différends, le tribunal arrive à la conclusion qu’il ne peut en extraire un consentement exprès, clair et univoque du Sénégal à l’arbitrage pour les ressortissants du Luxembourg comme Menzies, tel que requis par le droit international général et l’arbitrage d’investissement. 

  1. La clause NPF de l’article II de l’AGCS n’est pas applicable à l’arbitrage d’investissement

Selon les demanderesses, la clause NPF de l’AGCS s’appliquant « aux mesures […] qui affectent le commerce des services», (para. 115) ce qui inclurait « les offres d’arbitrage » (para. 117). De ce fait, les offres d’arbitrage contenues dans les deux TBI seraient un « traitement» plus favorable au sens de l’AGCS, au profit de fournisseurs de services similaires à Menzies.

Le tribunal n’a pas été convaincu que l’article II de l’AGCS soit applicable à l’arbitrage d’investissement. Se basant sur les discussions lors des négociations de l’AGCS, le tribunal est arrivé à la conclusion que les États membres n’avaient pas donné « leur consentement éclairé et non-équivoque à l’application des clauses arbitrales contenues dans les TBIs » (para. 149). Cette conclusion est confirmée, selon le tribunal, par la pratique ultérieure des États, qui ont préféré octroyer l’accès à l’arbitrage international aux fournisseurs de services dans les TBI et non via l’AGCS.

Le tribunal estima également que même s’il avait été démontré que l’article II de l’AGCS s’appliquait à l’arbitrage d’investissement, il ne constitue pas un consentement à l’arbitrage ou l’extension d’une offre d’arbitrage. Les conséquences d’une interprétation contraire seraient « considérables » selon le tribunal (para. 145).

  1. Les demanderesses invoquent des TBI conclus par le Sénégal avec des États tiers à l’arbitrage

Selon les demanderesses, Menzies était en droit de se prévaloir de la clause NPF de l’AGCS pour prétendre avoir accès à l’arbitrage international, sur base des deux TBI tiers (Sénégal-Pays-Bas et Sénégal-Royaume Uni). De fait, Menzies demandait au tribunal de considérer l’AGCS comme le « traité de base » dans le jeu de la clause NPF, pour importer un traitement plus favorable accordé dans ces deux TBI ; ce traitement plus favorable étant ici l’offre d’arbitrage.

Le tribunal rejeta ces arguments et se refusa à  « « composer » un consentement en « collant » des pièces disparates à la suite […] d’une analyse de « jeu »entre la clause NPF et les offres d’arbitrage adressées à des investisseurs d’États tiers » (para. 135).

     2. Le cas de AHSI

En ce qui concerne AHSI, le tribunal a suivi la position du Sénégal selon laquelle l’article 12 du code des investissements ne constituait pas une offre d’arbitrage autonome ou un engagement juridictionnel unilatéral. Il a également constaté, comme l’affirmait le défendeur, que AHSI, enregistrée aux îles vierges Britanniques, ne bénéficiait pas de la protection du TBI Sénégal-Royaume-Uni. AHSI ne pouvait donc pas se prévaloir d’une offre d’arbitrage.

Ayant accepté la première objection d’incompétence du Sénégal, le tribunal décida qu’il n’y avait pas lieu d’examiner les autres objections, et se déclara donc incompétent pour connaître de l’affaire.

Suivant le principe du « costs follow the event », le tribunal a décidé que les demanderesses supporteront l’intégralité des frais de l’arbitrage ainsi que des frais de conseil du Sénégal.

 Remarques : le tribunal était composé de Bernard Hanotiau (Président, nommé par les parties, de nationalité belge), Hamid Gharavi (nommé par les demandeurs, de nationalité franco-iranienne),etPierre Mayer (nommé par le défendeur, de nationalité française). La sentence est disponible uniquement en français sur http://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw7483.pdf.

Suzy Nikièma est Conseillère en droit international au Programme Investissement et Développement Durable de IISD; et enseigne à l’Université Saint Thomas d’Acquin et l’Université Aube Nouvelle au Burkina Faso.