La décision du tribunal CIRDI dans BSG Resources c. Guinée conclut que les licences minières ont été obtenues par la corruption

 

BSG Resources Limited (en administration), BSG Resources (Guinea) Limited et BSG Resources (Guinea) SÀRL c. la République de Guinée (I), Affaire CIRDI n° ARB/14/22

Résumé

BSG Resources Limited (en administration), BSG Resources (Guinea) Limited et BSG Resources (Guinea) SÀRL (ensemble « BSG » ou « les demandeurs ») ont initié deux procédures d’arbitrage distinctes, par la suite consolidées, contre la République de Guinée (« la Guinée » ou « le défendeur ») (ensemble les « parties ») conformément à la législation nationale guinéenne en matière d’investissement et en vertu des articles 25 et 36 de la Convention du CIRDI. Les procédures ont été lancées suite à l’expropriation (prétendument) illégale de l’investissement des demandeurs en relation avec la révocation de licences d’exploitation minière en Guinée.

Cependant, après avoir déterminé que les licences minières avaient été obtenues par le biais de la corruption, le tribunal chargé de l’affaire BSG a établi que ces recours, ainsi que les demandes reconventionnelles de la Guinée, étaient irrecevables.  De plus, suite à la soumission des parties relative aux coûts, le tribunal a ordonné aux demandeurs de payer 80 % des coûts totaux de la procédure et des dépenses respectives des parties, y compris la rémunération au résultat de l’avocat de la Guinée.

Le contexte

Les différends concernent les gisements de minerai de fer de Simandou et de Zogota, dans le sud-est de la Guinée, pour lesquels BSG a obtenu des permis d’exploitation minière. En 2011, dans le but de lutter contre la corruption, la Guinée a adopté un nouveau code minier et a entamé un processus de révision des droits et projets miniers existants en Guinée.

Ce processus de révision a révélé que BSG était impliquée dans des activités de corruption, ce qui a conduit à la résiliation et à la révocation de ses concessions minières en avril 2014. BSG a contesté ces allégations et a déposé des recours auprès du CIRDI pour expropriation illégale et discrimination à l’encontre de la Guinée.

L’irrecevabilité des recours de BSG

Le défendeur a fait valoir que les allégations de corruption n’affectent pas la compétence du tribunal sur le différend (para. 269). En fait, la Guinée a soutenu que la question de la corruption était au cœur du différend, influençant soit la recevabilité soit, à titre subsidiaire, le bien-fondé des recours. Par conséquent, la Guinée n’a pas soulevé d’objections juridictionnelles fondées sur les activités de corruption des demandeurs. En revanche, elle a soulevé des objections juridictionnelles fondées sur la rationae personae et la rationae materiae, qui ont toutes deux été rejetées par le tribunal. Le tribunal a donc confirmé sa compétence sur le recours principal.

S’agissant du fond du différend, le tribunal a d’abord établi que l’interdiction de la corruption est une question d’ordre public international.  

S’appuyant sur l’affaire World Duty Free, le tribunal a affirmé que la corruption est contraire à l’ordre public international de la plupart des États, voire de tous, ou, à défaut, à l’ordre public transnational (para. 472). Bien que les deux parties aient souscrit à cette approche, les demandeurs ont exprimé leur perplexité quant à la question de savoir si la corruption en droit international englobait le trafic d’influence actif visant à obtenir une concession gouvernementale (para. 474). Après avoir examiné les conventions internationales applicables, le tribunal a affirmé que l’ordre public international contre la corruption interdit « les formes passives et actives du trafic d’influence, dans la mesure où ce dernier est exercé pour obtenir directement ou indirectement un avantage indu de la part d’un agent public » (para. 485).

Le tribunal a ensuite procédé à l’évaluation de la norme applicable pour prouver la corruption en vertu du droit international. Reconnaissant l’absence d’une norme uniforme en droit international, le tribunal a refusé d’appliquer une norme de preuve plus élevée comme le demandaient les demandeurs (para. 493). Cette décision était fondée sur la reconnaissance du fait que la corruption est, par nature, difficile à prouver et que la norme de droit pénal « hors de toute doute raisonnable » ne s’applique pas à l’arbitrage international (para. 493). Par conséquent, le tribunal a opté pour la norme plus souple de la certitude raisonnable ou de l’intime conviction du juge, déterminée après avoir examiné l’ensemble des preuves de corruption potentielle indiquées par les signaux d’alerte figurant dans le dossier. Ces signaux d’alerte sont « des faits qui … dénotent une conduite potentiellement préoccupante » et dont l’accumulation « peut constituer une preuve de corruption » (para. 496).

Après avoir évalué les preuves au dossier, le tribunal a identifié plusieurs signaux d’alerte, notamment (i) le paiement de BSG à un intermédiaire lié au gouvernement, qui n’avait aucune qualification spécifique et n’a fourni aucun service tangible aux demandeurs autre que l’obtention des droits miniers grâce à son influence illicite ; (ii) les tentatives de BSG de détruire ou d’altérer les preuves montrant son implication dans ce stratagème et, enfin, (iii) l’absence de diligence raisonnable de BSG (para. 1000). Au vu de l’importance cumulée de ces signaux d’alerte, le tribunal était donc raisonnablement certain que les droits miniers au cœur du recours de BSG avaient été obtenus par le biais de la corruption. En conséquence, il a déclaré les recours de BSG irrecevables car les tribunaux arbitraux ne peuvent pas donner effet à des contrats qui contreviennent au droit guinéen et à l’ordre public international (para. 1085).

Le tribunal a également jugé irrecevables les demandes reconventionnelles de la Guinée. Toutefois, cette irrecevabilité n’était pas une conséquence automatique de l’irrecevabilité des recours principaux, comme l’a précisé le tribunal (para. 1104). Au contraire, l’irrecevabilité des demandes reconventionnelles de la Guinée était fondée sur le fait que les dommages allégués découlent directement d’un comportement contraire au droit guinéen et au droit international de la part des fonctionnaires de son propre gouvernement à l’époque (para. 1110).

La décision relative aux coûts

Dans leur soumission relative aux coûts, les demandeurs ont demandé que la Guinée paie leurs frais et honoraires juridiques pour un montant d’environ 7,2 millions USD ainsi que les frais du CIRDI, pour un montant total d’environ 9,9 millions USD. La Guinée a quant à elle demandé que BSG prenne en charge l’intégralité des frais d’arbitrage et des frais et honoraires juridique de la Guinée, y compris la rémunération au résultat d’environ 1,3 millions USD, pour un montant total d’environ 7,6 millions USD.

BSG a contesté l’inclusion par la Guinée de la rémunération au résultat dans son calcul des honoraires et frais juridiques, estimant qu’elle était déraisonnable. Plus précisément, BSG a soutenu que la Guinée avait sciemment assumé le risque associé à la rémunération au résultat et qu’un tel risque ne devrait pas être transféré aux demandeurs (para. 1113). En revanche, la position de la Guinée était que la rémunération de son avocat dans le cadre de la convention d’honoraires alternative (c’est-à-dire la rémunération au résultat) n’était pas déraisonnable, arguant que (i) la rémunération au résultat est recouvrable pour tenir compte d’une convention d’honoraires conditionnels et que (ii) le taux de 25 % établi n’est pas déraisonnable dans le contexte du différend (para. 1114).  

S’agissant des soumissions des parties relatives aux coûts, le tribunal a d’abord affirmé son pouvoir discrétionnaire en matière de répartition des coûts, y compris les coûts du CIRDI et les honoraires et frais de justice des parties, conformément à l’article 61, paragraphe 2, de la Convention du CIRDI. Comme l’a noté le tribunal en se référant à l’affaire Orascom c. Algérie, le pouvoir discrétionnaire de répartition des frais de procédure a été exercé par les tribunaux arbitraux selon deux méthodes : en les répartissant de manière égale entre les parties ou en adhérant au principe « les dépens suivront l’issue de l’instance » (para. 1119). Ce dernier principe pourrait être appliqué soit pour attribuer la totalité des frais, y compris ceux encourus par l’autre partie, à la partie perdante, soit pour attribuer les frais aux parties proportionnellement à leur succès ou à leur échec (para. 1119).

En l’espèce, et comme détaillé ci-dessus, le tribunal a noté que les objections juridictionnelles et les demandes reconventionnelles de BSG avaient été partiellement couronnées de succès, tandis que ses recours avaient été jugés irrecevables puisqu’elle a utilisé la corruption pour obtenir les concessions minières. En conséquence, le tribunal a rejeté l’argument de BSG contre l’inclusion de la rémunération au résultat, estimant que ces honoraires (i) faisaient partie d’un arrangement alternatif avec l’avocat de la Guinée plutôt que d’une récompense et (ii) étaient raisonnables, en particulier si l’on considère les dépenses globales presque identiques des deux parties lorsque l’on inclut la rémunération au résultat (para. 1123). Par conséquent, en appliquant le principe « les dépens suivront l’issue de l’instance », le tribunal a décidé que BSG devait payer 80 % des frais du CIRDI, ainsi que 80 % des frais juridiques de la Guinée.

Conclusion

La sentence dans l’affaire BSG est conforme à la jurisprudence existante, qui suggère que les recours fondés sur des investissements entachés de corruption peuvent être considérés comme irrecevables en vertu du droit international. Cette sentence confirme également la tendance des tribunaux arbitraux à répartir les frais de procédure de manière proportionnelle en fonction du succès ou de l’échec des parties concernant les questions soulevées.

La composition du tribunal

Gabrielle Kaufmann-Kohler (de nationalité suisse) – présidente ; Albert Jan van den Berg (de nationalité néerlandaise) – arbitre nommé par le demandeur ; Pierre Mayer (de nationalité française) – arbitre nommé par le défendeur. 

 

Les auteurs

Letizia Ceccarelli, associée chez Squire Patton Boggs (Royaume-Uni) LLP ; Hoda Ghassabian et Lorenzo Poggi, avocats stagiaires chez Squire Patton Boggs (Royaume-Uni) LLP.

Pour éviter toute ambiguïté, les déclarations contenues dans cet article sont uniquement de nature descriptive et n’expriment aucune opinion sur le caractère correct ou incorrect des décisions ou des arguments décrits ici. Les opinions exprimées sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement les opinions ou les positions des entités qu’ils représentent.