Un tribunal du CIRDI fait droit à l’objection préliminaire du Guatemala contre l’importation de dix clauses parapluies par le biais d’une clause NPF, tout en rejetant et en renvoyant au fond les autres objections préliminaires soulevées par l’État.

Grupo Energía Bogotá S.A. E.S.P. et Transportadora de Energía de Centroamérica S.A. c. la République du Guatemala, Affaire CIRDI n° ARB/20/48, Décision sur les objections préliminaires, 24 novembre 2023

Résumé

Les sociétés Grupo Energía Bogotá S.A. E.S.P., constituée en Colombie, et Transportadora de Energía de Centroamérica S.A., constituée au Guatemala (« les demandeurs »), ont déposé une demande d’ouverture d’une procédure au CIRDI à l’encontre du Guatemala. Les demandeurs ont invoqué l’ALE entre la Colombie et le Salvador, le Guatemala et le Honduras, qui est entré en vigueur pour le Guatemala le 12 novembre 2009.

Dans sa décision, rendue le 24 novembre 2023, le tribunal a retenu l’objection préliminaire du Guatemala contre l’importation de clauses parapluies d’autres traités par le biais de la clause NPF de l’ALE, tout en rejetant deux des autres objections préliminaires et en renvoyant les autres à la phase de l’examen sur le fond.

Le différend

À la suite d’une crise du secteur de l’électricité dans les années 1990, le Guatemala a mis en œuvre des réformes réglementaires pour encourager les investissements étrangers dans les segments stratégiques du secteur de l’électricité afin de répondre à la demande d’électricité. Ces mesures s’étant avérées insuffisantes, en 2007, le Guatemala a adopté de nouvelles réformes comprenant un projet d’expansion du système de transmission de l’électricité et a lancé un appel d’offres pour la fourniture du service de transport en 2009, que les demandeurs ont remporté.

Les demandeurs ont allégué que, tout au long des années suivantes, le Guatemala a porté atteinte à leur investissement par le biais d’actions de ses organes municipaux, judiciaires et administratifs, à la suite de quoi les demandeurs ont entamé la procédure d’arbitrage (para. 30-32).

Le Guatemala a soulevé quatre objections préliminaires liées à l’absence de compétence du tribunal pour statuer sur des recours qui (i) ne constituaient pas des violations du traité, (ii) sont prescrits en vertu de l’ALE, (iii) ont déjà été soumis aux cours nationales et (iv) sont irrecevables parce que les voies de recours internes n’ont pas été épuisées. S’agissant de la première objection préliminaire, le tribunal a divisé son analyse entre (i) les recours de nature contractuelle et les recours liés à la conduite de la Cour constitutionnelle du Guatemala et (ii) les recours liés à des violations présumées des clauses parapluies importées par le biais de la clause NPF de l’ALE.

Le tribunal a retenu l’objection préliminaire du Guatemala relative aux clauses parapluie et a conclu qu’il n’était pas compétent pour statuer sur la violation alléguée du traité en ce qui concerne ces dispositions. Il a ensuite décidé de renvoyer le reste de la première objection préliminaire et la deuxième à la phase de l’examen sur le fond, tout en rejetant les troisième et quatrième objections préliminaires.

L’analyse du tribunal

L’obligation du tribunal de se prononcer sur l’objection préliminaire avant de passer à l’examen sur le fond

Le tribunal a estimé qu’en vertu de l’article 12.23.5 de l’ALE, il avait l’obligation de prendre une décision concernant les objections préliminaires avant d’entamer l’examen du fond de la procédure. Il a interprété le libellé de la disposition conformément à l’article 31 de la CVDT, notant que les parties au traité ont effectivement cherché à imposer une obligation au tribunal lors de la rédaction de cet article en incorporant un libellé spécifique (deberá decidir, qui se traduit par « devra décider ») à cet égard. En outre, il a estimé que le fait que l’ALE prévoit la suspension de la procédure lorsqu’une objection préliminaire est soulevée et permet de demander des décisions accélérées est également une indication que les parties au traité avaient l’intention de traiter toute objection préliminaire avant la phase du fond.

Le tribunal a néanmoins précisé que cette obligation n’implique que l’obligation d’adopter une décision sur les objections préliminaires et non une décision finale. Par conséquent, le tribunal a estimé qu’il s’est  conformé à l’obligation de l’ALE en adoptant une décision confirmant les objections préliminaires, en les rejetant ou même en les renvoyant au fond, si leur détermination est étroitement liée à celui-ci et nécessite une analyse plus approfondie des faits et du droit (para. 252-269).

Une partie de la première objection préliminaire ainsi que la seconde sont renvoyées à l’examen sur le fond

Dans sa première objection préliminaire, le Guatemala a soutenu que le tribunal n’était pas compétent puisque, en vertu de l’article 12.18.4 de l’ALE, le demandeur ne pouvait soumettre à l’arbitrage que les différends liés à des violations présumées du chapitre sur l’investissement de l’ALE. De l’avis du Guatemala, les recours des demandeurs ne relevaient pas de violations du traité, mais relevaient de prétendues violations de contrat soumises à la compétence exclusive des tribunaux guatémaltèques, étant donné qu’ils concernaient des mesures émises par le Marché de gros de l’électricité (« MGE ») agissant en tant que partie privée exerçant ses droits contractuels et non en tant qu’État souverain (para. 46-57). Au contraire, les demandeurs ont affirmé que les dispositions de l’ALE ne limitaient pas la possibilité que des recours conventionnels coexistent avec des recours contractuels, que les actions du MGE étaient effectivement souveraines puisqu’elles incluaient, par exemple, l’imposition de sanctions, et qu’en tout état de cause, le tribunal n’était pas tenu de se prononcer sur cette question à ce stade de la procédure (para. 143-185).

Le tribunal a estimé qu’il ne pouvait pas se prononcer sur sa compétence à l’égard de l’entité étatique qui était partie au contrat, car il devait d’abord déterminer si cette entité avait agi à titre privé ou souverain et, pour cela, il avait besoin d’autres éléments factuels et juridiques. Il n’a donc pas pu établir à ce stade si ces recours étaient contractuels ou s’ils constituaient des violations du traité (para. 270-306).

Le Guatemala a également soutenu que le tribunal n’était pas compétent en ce qui concerne les recours relatifs à la conduite de la Cour constitutionnelle, car ils n’impliquaient pas de recours pour déni de justice ou d’erreurs procédurales graves pouvant constituer une violation du traité (para. 80-83). Quant aux demandeurs, ils ont affirmé qu’ils avaient effectivement soumis un recours pour déni de justice sur lequel le tribunal était compétent (para. 205-215).

Sur ce point, le tribunal a estimé que l’analyse des arguments des demandeurs et de la preuve du prétendu déni de justice commis par la Cour constitutionnelle devait être menée au stade du fond de la procédure (para. 307-310).

S’agissant de la deuxième objection préliminaire du Guatemala selon laquelle certains recours étaient prescrits, le tribunal a considéré qu’il s’agissait d’une objection d’admissibilité plutôt que d’une objection de compétence. Selon l’article 12.22.1 de l’ALE, l’investisseur disposait de trois ans pour présenter son recours à compter de la date à laquelle il a EU connaissance de la violation alléguée, du dommage ou des pertes subis. Compte tenu de ces éléments, le tribunal a conclu qu’il ne pouvait pas statuer sur cette objection avant de déterminer si et pour lesquelles des mesures contestées le Guatemala était internationalement responsable. Il a expliqué que pour ce faire, il avait devait mener d’autres analyses et examiner des preuves supplémentaires, car ce n’est qu’alors qu’il serait en mesure de déterminer la date de la violation et si le demandeur en avait connaissance aux fins de la prescription (para. 319-338).

L’objection préliminaire relative à la clause parapluie est retenue

Le Guatemala a fait valoir que l’ALE et la réserve qu’il avait émise à son égard empêchaient les demandeurs d’importer des normes par le biais de la clause NPF, comme les clauses parapluies, de traités entrés en vigueur avant l’ALE (para. 58-79). Les demandeurs ont nié que la réserve empêchait les investisseurs d’invoquer les clauses parapluie d’autres traités. Ils ont soutenu que la réserve était conçue pour permettre au Guatemala « d’adopter ou de maintenir des mesures » et non pour empêcher les investisseurs de demander l’application de normes provenant d’autres traités. Les demandeurs ont également affirmé que la portée des clauses parapluies devait être déterminée dans le cadre de l’analyse du fond (para. 186-204).

Le tribunal a fait droit à cette objection préliminaire. Il a interprété l’article 12.6 de l’ALE, qui contient la clause NPF, ainsi que l’article 12.12.2, qui établit que la clause NPF ne s’appliquera pas au traitement accordé par une partie conformément à un traité international tel que détaillé dans l’annexe III. Cette annexe contient la réserve du Guatemala concernant le droit d’adopter ou de maintenir des mesures accordant un traitement différent à d’autres États sur la base de traités en vigueur ou conclus avant l’ALE. Le tribunal a estimé que ces trois dispositions prouvaient l’intention sans équivoque du Guatemala de se réserver le droit d’étendre le traitement NPF à tout traité antérieur à l’ALE.

De l’avis du tribunal, les demandeurs n’ont pas expliqué en quoi leur tentative d’importer des clauses de traités antérieurs à l’ALE ne relevait pas de la réserve du Guatemala. De plus, ils n’ont pas fourni de raisons satisfaisantes pour soutenir que lorsque la réserve mentionne le traitement par rapport à « un autre État », elle ne fait pas référence aux investisseurs ou aux investissements, malgré le fait que l’article 12.6.2 indique expressément qu’elle les inclut. En outre, le tribunal a déclaré que le fondement de l’affirmation des demandeurs selon laquelle la protection d’une clause parapluie contenue dans un autre traité leur serait automatiquement étendue sans même vérifier si les investisseurs ou l’investissement se trouvaient « dans des circonstances similaires », comme le prescrit l’article 12.6.2, n’était pas clair. En conséquence, il s’est déclaré incompétent pour statuer sur la violation alléguée des clauses parapluies (para. 311-318).

Les troisième et quatrième objections préliminaires sont rejetées

S’agissant de la troisième objection préliminaire relative à la clause de bifurcation de l’ALE, le Guatemala a soutenu qu’au moins quatre mesures contestées par les demandeurs avaient déjà été soumises aux cours nationales du Guatemala et que, par conséquent, le tribunal n’était pas compétent à leur égard (para. 97-109). Les demandeurs ont fait valoir que la question de savoir si une telle disposition était applicable en l’espèce devait être évaluée selon le triple critère de l’identité, c’est-à-dire s’il y avait l’identité des parties, l’objet du différend et la cause de l’action entre les recours internes et les recours conventionnels présentés. Comme ce n’était pas le cas, le tribunal a affirmé que la disposition n’était pas applicable (para. 235 à 241).

Le tribunal a rejeté l’objection préliminaire. Il a interprété que la disposition relative à la bifurcation se référait aux différends liés à des violations du traité et non à tout type de recours pouvant être introduit dans le cadre d’une procédure nationale. Par conséquent, pour que cette disposition soit applicable, les recours soumis aux cours nationales doivent avoir la « même identité » que ceux soumis à l’arbitrage. Le tribunal n’ayant pas trouvé une telle identité, il a conclu que l’engagement de la procédure interne n’empêchait pas les demandeurs de recourir à l’arbitrage international pour la violation alléguée du chapitre sur l’investissement de l’ALE (para. 339-351).

S’agissant de la quatrième objection préliminaire, le Guatemala a affirmé que les recours fondés sur 18 actes administratifs étaient irrecevables car les demandeurs n’avaient pas épuisé les voies de recours internes prévues par la législation guatémaltèque (para. 110-117). Les demandeurs ont fait valoir qu’une telle obligation n’existait pas en vertu de la législation guatémaltèque et que, en tout état de cause, il était vain de recourir aux voies de recours administratives (para. 242-251).

Le tribunal a également rejeté cette objection préliminaire. Il a considéré que l’article 12.18.1 prescrivait l’épuisement préalable des voies de recours internes lorsque les mesures en cause étaient de nature administrative et que la législation guatémaltèque l’exigeait (exija). Même si les mesures alléguées par les demandeurs étaient de nature administrative, le tribunal a conclu qu’aucune des dispositions guatémaltèques citées par le défendeur ne comportait d’obligation explicite exigeant l’épuisement des voies de recours internes. Par ailleurs, il a estimé que l’argument du Guatemala se heurtait à son objection antérieure concernant la disposition de bifurcation, puisque le fait d’exiger des demandeurs qu’ils épuisent les voies de recours internes pouvait être interprété comme les obligeant à choisir l’option de la juridiction nationale, les empêchant ainsi de recourir à l’arbitrage (para. 352-360).

Conclusion

En interprétant l’obligation contenue dans l’ALE de statuer sur les objections préliminaires avant la phase du fond comme lui permettant de retenir, de rejeter, voire de renvoyer les objections à l’examen quant au fond, le tribunal a été en mesure de résoudre plusieurs questions soulevées par les parties à ce stade précoce de la procédure. Toutefois, le tribunal a opté pour une évaluation prudente des éléments disponibles dans cette phase préliminaire. Cela l’a amené à conclure qu’il devait mener une analyse plus approfondie pour trancher certaines questions qui, étant liées à une décision sur la responsabilité internationale du Guatemala, relèvent de la phase du fond.

La composition du tribunal

Eduardo Siqueiros (de nationalité mexicaine) – président (nommé sur accord des parties) ; Alexis Mourre (de nationalité française) – arbitre nommé par le demandeur ; Prof. Ricardo Ramírez Hernández (de nationalité mexicaine) – arbitre nommé par le défendeur.

 

Auteure

María Rosario Tejada suit une licence dans le cadre du programme sur le règlement des différends internationaux de Genève (MIDS).