Comprendre les traités de commerce et d’investissement pour développer l’industrie indonésienne des véhicules électriques durables grâce au transfert de technologie

1. Les défis liés au développement de l’industrie indonésienne des batteries et des véhicules électriques

Les abondantes ressources en nickel de l’Indonésie font de ce pays un acteur clé potentiel de l’industrie mondiale des véhicules électriques (VE), en particulier pour la production de batteries de VE (Tundang, s.d.). Toutefois, la réalisation de ce potentiel n’est pas sans difficultés. Le pays doit résoudre les problèmes liés à sa capacité industrielle, à la technologie et à la concurrence internationale.

  1. Chang affirme qu’une industrialisation réussie implique souvent de protéger et de soutenir les industries naissantes jusqu’à ce qu’elles puissent être compétitives sur les marchés internationaux (Chang, 2003). Il a analysé les expériences historiques de nations industrialisées prospères telles que les États-Unis, la Grande-Bretagne et l’Allemagne. Il a montré la manière dont ces pays ont utilisé diverses formes de protectionnisme et d’intervention étatique pour développer leurs industries jusqu’à ce qu’elles deviennent compétitives au niveau mondial et adoptent le libre-échange. Les accords de libre-échange et les traités d’investissement restreignent souvent les options politiques dont disposent les pays en développement, limitant leur capacité à recourir à des mesures protectionnistes et à des politiques industrielles susceptibles de soutenir leurs industries.
  2. Bhagwati (2008) soutient le principe de l’avantage comparatif, selon lequel les pays se spécialisent dans la production de biens et de services pour lesquels ils disposent d’un avantage relatif en termes de coûts. Il affirme que la libéralisation des échanges et la spécialisation conduisent à une allocation plus efficace des ressources, à une augmentation de la productivité et à une croissance économique générale. En revanche, la position protectionniste avancée par M. Chang appuie l’idée de soutenir les industries naissantes, qui peuvent ne pas avoir d’avantage comparatif au départ.

La critique de M. Bhagwati ne s’applique peut-être pas à l’Indonésie, car le pays dispose d’importantes réserves de nickel, qui sont essentielles à la production de batteries lithium-ion pour les VE et d’autres applications. En utilisant ses ressources nationales en nickel, l’Indonésie peut réduire les coûts liés à l’importation de matières premières, ce qui lui confère un avantage concurrentiel par rapport aux pays qui dépendent des importations pour produire des batteries. L’Indonésie dispose d’une main-d’œuvre importante et relativement bon marché, ce qui peut contribuer à réduire les coûts de production dans l’industrie des batteries. Des coûts de main-d’œuvre plus faibles peuvent la rendre plus compétitive que les pays où les coûts de main-d’œuvre sont plus élevés. Au fur et à mesure que croît la population indonésienne de plus de 270 millions d’habitants, la demande de VE et de solutions de stockage d’énergie devrait augmenter, créant ainsi un marché intérieur potentiellement important pour les batteries. Un marché intérieur important peut aider l’industrie des batteries à augmenter sa production, à réduire ses coûts et à améliorer sa compétitivité.

Cependant, l’Indonésie doit également relever certains défis pour exploiter pleinement son avantage comparatif dans l’industrie des batteries. L’Indonésie manque d’expertise technologique avancée dans la fabrication de batteries, en particulier dans la production de batteries lithium-ion de haute qualité. Le développement d’une industrie des batteries compétitive nécessite des investissements importants dans les installations de fabrication, la recherche et le développement (R&D) et les infrastructures telles que l’alimentation électrique et les réseaux de transport. Pour surmonter cette difficulté, l’Indonésie devra peut-être former des partenariats avec des entreprises étrangères ou investir dans la R&D afin d’acquérir la technologie nécessaire. L’Indonésie doit attirer des investissements nationaux et étrangers pour financer ces développements. Par ailleurs, l’extraction minière et le traitement du nickel peuvent avoir des effets négatifs sur l’environnement, tels que la déforestation, la pollution de l’eau et les émissions de gaz à effet de serre, et l’Indonésie doit relever ces défis environnementaux pour assurer un développement durable en mettant en œuvre et en appliquant des réglementations appropriées et en investissant dans des technologies plus propres.

L’Indonésie a mis en œuvre des exigences de contenu local (ECL) dans divers secteurs afin d’encourager le développement de l’industrie nationale et la création d’emplois. Dans le contexte du développement des batteries, l’Indonésie a introduit le règlement présidentiel n° 55 en 2019 sur l’accélération des programmes de véhicules électriques à batterie pour le transport routier, qui définit des directives pour le développement de l’industrie des VE. Ce règlement exige un minimum de 35 % de contenu local pour les voitures hybrides et de 40 % de contenu local pour les VE à batterie afin de pouvoir bénéficier d’incitations fiscales. L’Indonésie a mis en œuvre des politiques visant à encourager la transformation au niveau national de ses abondantes ressources en nickel, un composant essentiel des batteries lithium-ion. En 2014, le gouvernement a interdit l’exportation de minerais non transformés afin de stimuler les investissements dans l’industrie nationale du raffinage du nickel. Bien qu’il ne s’agisse pas d’une ECL à proprement parler, cette interdiction vise à valoriser les ressources indonésiennes et à créer des opportunités pour la fabrication de batteries et les industries connexes.

2. Aperçu des règles en matière de commerce et d’investissement et de leur impact sur les politiques nationales

Newmont Mining Corporation, une multinationale minière étasunienne, a déposé une demande d’arbitrage contre le gouvernement indonésien en 2014 en vertu du TBI entre l’Indonésie et les Pays-Bas, où sa filiale était enregistrée (van der Pas & Damanik, 2014). Newmont affirmait que l’interdiction d’exporter constituait une violation du TBI, en particulier des dispositions relatives au TJE et à l’expropriation des investissements.

En réponse à la demande d’arbitrage, le gouvernement indonésien et Newmont ont négocié et sont finalement parvenus à un accord en septembre 2014. Dans le cadre de cet accord, Newmont s’est engagé à construire une fonderie de cuivre en Indonésie et a reçu une licence d’exportation temporaire lui permettant de continuer à exporter du concentré de cuivre pendant la construction de la fonderie. En 2016, Newmont a vendu ses parts à un consortium indonésien appelé PT Amman Mineral Nusa Tenggara (PTAMNT). Dans le cadre de cette cession, PTAMNT a repris la responsabilité de la construction de la fonderie de cuivre. La construction de la fonderie de cuivre a débuté en 2018. À la date d’avril 2023, la fonderie est toujours en construction, la phase de mise en service étant prévue pour 2024.

L’affaire Newmont met en évidence les risques potentiels et les contentieux qui peuvent survenir lorsque les gouvernements mettent en œuvre des politiques qui ont un impact sur les investisseurs étrangers, telle que l’interdiction d’exporter des minéraux non transformés. Actuellement, le gouvernement indonésien met en œuvre une interdiction d’exporter du nickel. Cette interdiction a fait l’objet d’une procédure de règlement des différends à l’OMC impliquant l’Union européenne (OMC, 2022).

Les traités de commerce et d’investissement, tels que les TBI et les ALE, régissent les relations internationales en matière de commerce et d’investissement entre les pays. Ces accords contiennent souvent des dispositions restreignant ou interdisant les politiques nationales, y compris les ECL. L’Indonésie est partie à plusieurs TBI et ALE qui imposent de telles restrictions.

Par exemple, l’Accord de l’OMC sur les mesures concernant les investissements et liées au commerce interdit effectivement les ECL, comme le montre l’expérience de l’Indonésie avec son programme automobile national (OMC, 1999). Ce programme, qui exigeait des constructeurs automobiles qu’ils utilisent un certain pourcentage de contenu local, a été révoqué après que l’Indonésie ait perdu un différend contre le Japon devant l’OMC. Cette affaire illustre les risques potentiels et les limites que les accords de libre-échange peuvent imposer aux politiques nationales.

Outre les restrictions imposées par les traités d’investissement, les lois nationales ayant une portée extraterritoriale, telles que les dispositions IRA VE des États-Unis (Internal Revenue Service, 2023) et le Pacte vert de l’UE (Commission européenne, s.d.), peuvent également avoir un impact sur l’industrie indonésienne des batteries et des VE. Ces réglementations peuvent exiger la conformité avec des normes et standards étrangers, ce qui pourrait affecter la compétitivité et l’attractivité du marché indonésien des batteries et des VE pour les investisseurs internationaux.

3. Les stratégies permettant de s’affranchir des traités de commerce et d’investissement : le transfert de technologie

Compte tenu des défis posés par les traités d’investissement et les règles commerciales, l’Indonésie doit adopter des stratégies alternatives pour encourager la croissance et l’innovation dans son industrie des batteries et des VE sans violer ses obligations internationales. Les stratégies potentielles incluent le transfert de technologie et les coentreprises, les subventions à la R&D, les systèmes de crédit carbone et les zones économiques spéciales.

Le transfert de technologie est le processus de partage ou d’échange de connaissances, de compétences et d’innovations technologiques entre différentes entités, telles que des pays, des organisations ou des individus. Dans le contexte de l’industrie des véhicules électriques et des batteries, le transfert de technologie peut être crucial pour aider les pays en développement comme l’Indonésie à accéder à l’expertise et aux technologies avancées dont ils ont besoin pour établir une industrie nationale compétitive et durable. Le transfert de technologie peut être réalisé de diverses manières, notamment par le biais des accords de licence, des coentreprises, d’une collaboration en matière de recherche et une assistance technique.

Les droits de propriété intellectuelle (DPI) sont au cœur du débat sur le transfert de technologie. L’objectif premier des DPI est d’inciter les inventeurs et les créateurs à innover en leur accordant des droits exclusifs temporaires d’utilisation et de commercialisation de leurs créations. Toutefois, cette exclusivité peut également créer des obstacles au transfert de technologie, principalement lorsque les détenteurs de DPI refusent de partager leur technologie ou exigent des droits de licence exorbitants (Tundang, 2020).

Les DPI sont un obstacle en ce sens qu’ils peuvent limiter l’accès à la connaissance et à la technologie, en particulier pour les pays en développement qui ne disposent pas toujours des ressources financières ou des capacités techniques nécessaires pour développer leurs technologies de pointe. Dans certains cas, les DPI peuvent également entraver la diffusion d’innovations qui pourraient profiter à la société, telles que les technologies respectueuses de l’environnement.

Voici quelques approches possibles pour atténuer les obstacles créés par les DPI :

  1. Les licences obligatoires : les gouvernements peuvent accorder des licences obligatoires qui permettent à des tiers d’utiliser une technologie brevetée sans le consentement du titulaire du brevet dans certaines circonstances. Cette mesure peut s’avérer particulièrement utile lorsque le détenteur de la propriété intellectuelle refuse de partager sa technologie ou exige des frais déraisonnablement élevés. Les licences obligatoires peuvent contribuer à garantir l’accès aux technologies essentielles, telles que les technologies vertes.
  2. Les regroupements de technologies et les centres d’échange : les regroupements de technologies ou les centres d’échange peuvent faciliter le partage des technologies protégées par la propriété intellectuelle en fournissant une plateforme permettant aux détenteurs de la propriété intellectuelle et aux licenciés potentiels de négocier les conditions et d’accéder aux technologies. Ces mécanismes peuvent contribuer à réduire les coûts de transaction et à améliorer l’accès aux technologies protégées, en particulier pour les petites et moyennes entreprises qui ne disposent pas nécessairement des ressources requises pour négocier des accords de licence individuels.
  3. Les subventions à la R&D : les subventions à la R&D sont une forme d’aide gouvernementale accordée aux entreprises ou aux industries pour encourager l’innovation et les progrès technologiques. Il existe plusieurs exemples de subventions à la R&D fructueuses dans les secteurs des VE et des batteries à l’échelle mondiale :
  4. Advanced Research Projects Agency-Energy (ARPA-E) aux États-Unis : l’ARPA-E est une agence gouvernementale qui finance des projets de recherche à haut risque et à haut rendement dans le secteur de l’énergie. Elle a soutenu plusieurs technologies révolutionnaires dans les secteurs des VE et des batteries, notamment les batteries lithium-ion à haute densité énergétique et les nouvelles compositions chimiques des batteries.
  5. Le programme Horizon 2020 de l’UE : le programme Horizon 2020 est le plus vaste programme de financement de la recherche et de l’innovation de l’UE, avec un budget de près de 80 milliards EUR pour 2014-2020. Le programme a soutenu divers projets dans les secteurs des VE et des batteries, notamment la recherche sur les matériaux avancés pour les batteries, les systèmes de stockage de l’énergie et les infrastructures de recharge.

L’Indonésie doit encourager l’innovation pour devenir une économie davantage orientée vers les services et la fabrication (Mercurio & Tundang, 2023). Le pays devrait donner la priorité à l’accumulation de connaissances par le biais de l’enseignement supérieur, et à l’acquisition de compétences ciblées afin de devancer la courbe d’apprentissage. Dans ce contexte, l’Indonésie doit développer un système intégré encourageant l’innovation et l’invention, en se concentrant sur la création d’une base industrielle solide en amont, puis des industries en aval. Cette perspective est pertinente car elle souligne la nécessité d’une approche équilibrée qui respecte les DPI tout en promouvant l’innovation à l’échelon national dans des secteurs tels que les batteries et les VE.


Auteur

Ronald Eberhard Tundang est conseiller en droit international à l’IISD.


Bibliographie

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Chang, H.-J. (2003). Kicking away the ladder: Infant industry promotion in historical perspective. Oxford Development Studies, 31(1), 21-32. https://doi.org/10.1080/1360081032000047168

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Mercurio, B. et Tundang, R. (2023). Jump-starting Indonesia’s transition to an innovative economy. East Asia Forum. https://www.eastasiaforum.org/2023/02/24/jump-starting-indonesias-transition-to-an-innovative-economy/

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van der Pas, H. & Damanik, R. (2014). Netherlands – Indonesia Bilateral Investment Treaty

rolls back implementation of new Indonesian mining law: The case of Newmont Mining vs Indonesia. EU-ASEAN FTA Network. https://www.tni.org/files/download/newmont-indonesia-case-4.pdf