De l’importance d’avoir un système d’arbitrage « centré sur l’Afrique », et la réforme de la loi tanzanienne sur l’arbitrage

Ces dernières années, le gouvernement tanzanien a promulgué des modifications profondes de la législation régissant les investissements étrangers dans le secteur des ressources naturelles, ainsi que ses mécanismes de règlement des différends, dans le but de débarrasser le secteur des vestiges des relations « colonialistes ». Avant d’aborder ces changements, et dans le but de mieux comprendre leur logique, cet article présente, en premier lieu, le contexte historique de l’arbitrage international en Afrique.

L’investissement étranger en Afrique et le régime de l’arbitrage international des investissements

Depuis la décolonisation et l’obtention de leur indépendance politique, bon nombre de pays d’Afrique subsaharienne dépend largement des échanges internationaux et de leur intégration dans l’économie mondiale[1]. Dans l’espoir de promouvoir le développement socio-économique, de nombreux gouvernements africains se sont appuyés sur les accords internationaux conclus avec des gouvernements étrangers, des institutions internationales et des entreprises multinationales, que ce soit pour les investissements, la technologie, les instruments de la dette ou les marchés publics de biens et de services. Ces accords s’accompagnent souvent de plusieurs conditions, et les mécanismes de règlement des différends, notamment l’arbitrage international, figurent parmi les plus importantes.

Les investisseurs étrangers apprécient l’arbitrage international car il donne une impression de neutralité, de stabilité, de prévisibilité et d’indépendance vis-à-vis de toutes considérations de politique nationale dans son application du droit « international ». Mais la nature internationale des normes du droit international a été contestée, tant par les universitaires que par les gouvernements de pays en développement, car bon nombre de ces normes a été élaboré avec une participation limitée, voire nulle, des gouvernements africains.

La participation limitée des pays africains dans l’élaboration du régime international de protection des investissements ne fait pas exception[2]. Si des représentants africains ont pris part aux réunions préparatoires de la Banque mondiale pour la négociation et l’élaboration de la Convention du CIRDI de 1965, et, dans une moindre mesure, à l’élaboration des Règlements d’arbitrage et de conciliation de la CNUDCI, et de la Loi type de la CNUDCI, ils n’étaient pas représentés dans la conception et la création originales de la CPA, ni dans celle des forums commerciaux traditionnels tels que la Cour internationale d’arbitrage de la CCI et la Cour d’arbitrage international de Londres.

À la lumière de ce contexte, nous pouvons mieux comprendre les changements entrepris par la Tanzanie en matière d’arbitrage international, qui visent tous à poursuivre le programme de décolonisation des investissements étrangers en Afrique. Cet article examine les modifications apportées au régime juridique de la Tanzanie s’agissant du règlement des différends dans le contexte des ressources naturelles.

Origines et réformes du cadre juridique tanzanien régissant l’arbitrage international

Depuis plusieurs décennies, les investisseurs internationaux ont pris l’habitude de conduire l’arbitrage de leurs différends avec un pays africain en dehors de l’Afrique. Dans les années 1980 et 1990, alors que la Tanzanie commençait à libéraliser son économie et à s’intégrer dans l’économie mondiale, les dirigeants du pays pensaient que pour attirer l’investissement étranger, ils devaient donner aux investisseurs étrangers accès aux mécanismes internationaux de règlement des différends.

La Tanzanie se plia à cette exigence en ratifiant la Convention du CIRDI de 1965 au moyen de la Loi tanzanienne sur l’investissement[3]. L’accès aux mécanismes de règlement du CIRDI est garanti aux investisseurs étrangers en Tanzanie par le biais de dispositions clé contenues dans les TBI tanzaniens[4], ainsi que par le biais de la section 23(2) de la Loi tanzanienne sur l’investissement de 2002, qui autorise l’arbitrage investisseur-État au titre du CIRDI et d’autres règlements et mécanismes d’arbitrage internationaux, conformément aux termes des traités bilatéraux ou multilatéraux, ou des contrats.

Toutefois, depuis 2007, la Tanzanie a réexaminé plusieurs accords de développement minier, conclus avec Acacia Mining, et promulgué une série de changements politiques et législatifs[5], par le biais de la Loi sur la souveraineté[6] et de la Loi sur le réexamen des contrats[7], et d’amendements à la Loi sur les partenariats publics-privés (PPP)[8]. Ces révisions visent à donner à la Tanzanie le contrôle sur ses ressources naturelles et à rétablir la souveraineté du pays dans des domaines clés de sa politique économique.

Par exemple, la Loi sur la souveraineté présente le règlement national des différends comme un élément fondamental de la protection de la souveraineté permanente sur les ressources naturelles. La section 11 de la Loi sur la souveraineté[9] précise :

« (1) Conformément à l’article 27(1) de la Constitution, la souveraineté permanente sur la richesse et les ressources naturelles ne peut faire l’objet d’une procédure dans une cour ou un tribunal étranger.

(2) Aux fins de l’alinéa (1), les différends relatifs à l’extraction, l’exploitation ou l’acquisition et l’utilisation de la richesse et des ressources naturelles sont réglés par les organes judiciaires et autres organes établis dans la République unie et conformément aux lois nationales de la Tanzanie.

(3) Aux fins de la mise en œuvre de l’alinéa (2), les organes judiciaires et autres organes établis dans la République unie et l’application des lois de la Tanzanie sont acceptés et incorporés dans tout arrangement ou accord ».

Ce libellé reflète l’avis, largement partagé parmi les représentants de gouvernements, les avocats et le secteur privé de pays d’Afrique subsaharienne, selon lequel « l’arbitrage international est essentiellement un système lointain et étranger, situé dans un pays étranger, régi par des experts étrangers et appliquant un droit étranger, et qui fait peu cas des résultats que les parties africaines ne peuvent influencer »[10].

La Tanzanie a répondu à ces développements notamment en adoptant la Loi sur l’arbitrage de 2020. Celle-ci remplace la Loi sur l’arbitrage de 2002, considérée comme n’étant plus appropriée pour gérer les différends d’investissement modernes[11]. La Loi sur l’arbitrage de 2020 couvre l’arbitrage commercial national et international. L’arbitrage national est défini à la section 3A de la Loi sur l’arbitrage de 2020 comme un accord d’arbitrage qui mentionne expressément l’arbitrage en Tanzanie métropolitaine et où les parties concernées sont considérées comme des ressortissants tanzaniens s’il s’agit de personnes physiques, ou, dans le cas des entreprises, dont le contrôle est opéré en Tanzanie et l’entreprise est enregistrée en Tanzanie. Par ailleurs, pour pouvoir faire l’objet d’un arbitrage national, la performance des obligations contractuelles doit être réalisée en Tanzanie, ou le sujet du différend doit être situé en Tanzanie. Cette nouvelle loi aborde également la question de l’exécution des sentences arbitrales nationales et étrangères et prévoit des dispositions obligatoires pour chacune des parties, qu’elles aient ou non un accord d’arbitrage. La Loi sur l’arbitrage de 2020 porte également création d’un centre d’arbitrage.

Les investisseurs se féliciteront de la suppression, dans la Loi sur l’arbitrage, de la différence dans le degré d’exécution des sentences arbitrales nationales et étrangères, leur attribuant maintenant un pied d’égalité[12]. La loi établit également le Centre tanzanien d’arbitrage, qui pourrait s’avérer particulièrement utile à l’heure de régler les différends commerciaux et techniques entre les investisseurs et l’État. Ce centre prêtera assistance s’agissant des aspects de la procédure d’arbitrage, notamment en proposant l’appui administratif pour l’enregistrement des requêtes, la gestion d’une liste d’arbitres accrédités et l’élaboration d’un code de conduite[13]. Toutefois, malgré la création d’un centre d’arbitrage national, le pays doit encore renforcer ses capacités d’offrir un cadre d’arbitrage cohérent. Le centre d’arbitrage devra fonctionner avec le plus haut niveau d’exigence pour veiller à ce que les investisseurs tanzaniens et étrangers utilisent pleinement ses ressources et compétences.

Le règlement Barrick Gold : l’évolution de la Tanzanie vers un arbitrage « centré sur l’Afrique »

Alors que le gouvernement menait des réformes législatives et politiques concernant les investissements étrangers, un différend très médiatisé éclata avec Acacia Mining : le gouvernement accusait l’entreprise d’évasion fiscale, de violations des normes environnementales, d’opérer de manière illégale et d’avoir saisi des chargements de concentrés de cuivre et d’or. La procédure dura plusieurs années, au cours desquelles le géant minier Barrick Gold dû intervenir en tant que médiateur.

Cette intervention donna finalement lieu à un accord de règlement entre Barrick Gold et le gouvernement tanzanien[14], qui entraîna la création d’une nouvelle entreprise, Twiga Minerals, dans laquelle le gouvernement détient une participation non diluable de 16 % des capitaux propres et des prêts. S’agissant du règlement des différends, le gouvernement a convenu, malgré les changements législatifs abordés plus haut, d’autoriser l’application des Règlements de Conciliation[15] et d’arbitrage[16] de la CNUDCI à tout différend. La Tanzanie, ainsi que les autres membres de la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC en anglais), le Canada, le Royaume-Uni et les États-Unis ne peuvent être choisis comme siège de la procédure d’arbitrage. Même si l’on supposait à l’origine que les mécanismes d’arbitrage de la Cour de justice est-africaine seraient désignés comme étant le mode privilégié de règlement des différends[17], l’interdiction de mener la procédure dans l’EAC exclut plusieurs mécanismes d’arbitrage notamment le Cour de justice est-africaine, le Centre international de Kigali pour l’arbitrage (KIAC) et le Centre de Nairobi pour l’arbitrage international (NCIA). Notons que l’inclusion du recours à l’arbitrage international est contraire à la Loi sur la souveraineté permanente. Cela risque de créer un précédent, et d’autres entreprises disposant d’un accord de développement minier conclu avant l’adoption de la Loi pourraient l’utiliser pour bénéficier à leur tour de ces conditions.

Toutefois, dans un communiqué de presse du 20 octobre 2019, Barrick Gold précisait que le cadre du règlement des différends s’appliquant à son investissement en Tanzanie était un « mécanisme de règlement des différends internationaux centré sur l’Afrique »[18]. La hausse de l’investissement étranger direct dans les pays d’Afrique a renforcé la demande pour un arbitrage tourné vers l’Afrique, doté de centres créés et situés en Afrique, et qui tiennent compte des niveaux actuels de développement socio-économique des États africains, ce que les centres internationaux d’arbitrage ne font pas toujours[19]. Une utilisation accrue de l’arbitrage tourné vers l’Afrique par les investisseurs étrangers devrait renforcer le climat des affaires et permettre de résoudre les différends commerciaux nationaux et internationaux. Cela permettra également de renforcer les compétences des arbitres locaux et de réduire la dépendance sur les organes d’arbitrage situés en dehors de l’Afrique[20].

Conclusion

Alors que la Tanzanie continue de développer sa politique de l’investissement international et suspend la négociation de TBI[21], le gouvernement pourrait saisir cette occasion pour réexaminer les divers mécanismes de règlement des différends disponibles, et voir lesquels sont plus indiqués pour tel ou tel type de différend. En gardant à l’esprit la nécessité d’« africaniser » le règlement des différends, les options disponibles pourraient inclure les alternatives juridiques et non juridiques, régionales et nationales. La Loi sur l’arbitrage de 2020 jouera certainement un rôle dans la modernisation par la Tanzanie de son système national d’arbitrage, modernisation plus que nécessaire pour s’écarter du patrimoine colonial entériné dans la loi de 2002. Alors que la Tanzanie envisage d’adopter des mécanismes d’arbitrage africains, il est peut-être temps de balayer devant sa propre porte et de comprendre pourquoi la Cour de justice est-africaine, dotée d’un règlement d’arbitrage depuis 2004, n’a jamais été utilisée comme mécanisme de règlement des différends par l’un de ses membres, y compris la Tanzanie. Voilà une opportunité d’avenir.


Auteure

Amne Suedi est conseillère et avocate internationale, spécialisée dans les investissements internationaux, et les marchés africains. Elle est la directrice et fondatrice de Shikana Law Group.


Notes

[1] Patrick Osakwe et al ,’Trade dependence, liberalization, and exports diversification in developing countries’ (2018) 5 Journal of African Trade, 19

[2] Amazu A. Asouzu ‘International Commercial Arbitration and African States: Practice, Participation and Institutional Development’, Novembre 2001, Cambridge University Press

[3] Loi tanzanienne sur l’investissement n° 26 de 1997, telle qu’amendée périodiquement.

[4] Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED). Investment Policy Hub, République unie de Tanzanie. https://investmentpolicy.UNCTAD.org/international-investment-agreements/countries/222/tanzania-united-republic-of

[5] Masamba, M.( 2017). L’espace réglementaire gouvernemental dans l’ombre des TBI : l’exemple de la réforme par la Tanzanie de sa réglementation en matière de ressources naturelles. Investment Treaty News.

https://www.IISD.org/ITN/fr/2017/12/21/governmentregulatory-space-in-the-shadow-of-bits-the-case-of-tanzanias-natural-resource-regulatory-reform-magalie-masamba/

[6] Loi sur la richesse et les ressources naturelles (souveraineté permanente) n° 3 de 2017, http://www.tcme.or.tz/uploads/NATURAL_WEALTH_AND_RESOURCES__PERMANENT_SOVEREIGNITY__ACT_2017.pdf

[7] Loi sur la richesse et les ressources naturelles (réexamen et renégociation des conditions déraisonnables) n° 6 de 2017, http://www.tcme.or.tz/uploads/NATURAL_WEALTH_AND_RESOURCES__REVIEW_AND_RE-NEGOTIATION_OF_UNCONSCIONABLE_TERMS__ACT_2017.pdf

[8] Loi sur les Partenariats publics-privés (amendement) n° 9 de 2018

[9] Loi sur la richesse et les ressources naturelles (souveraineté permanente) n° 3 de 2017

[10] Asante, S. (1993). The Perspectives of African Countries on International Commercial Arbitration, Leiden Journal of International Law, 6, page 338

[11] Cosmas J. (2015). The State of International Commercial Arbitration in Tanzania: A Comparative Critique and Call for the Reform. US-China Law Review 12(6) , 513

[12] Loi sur l’arbitrage de 2020, s.78

[13] Loi sur l’arbitrage de 2020, s.77

[14] Offre finale pour Acacia Mining Plc recommandée par Barrick Gold Corporation datée du 19 juillet 2019

[15] Règlement de conciliation du 23 juillet 1980 de la Commission des Nations unies sur le droit commercial international

[16] Règlement d’arbitrage de la Commission des Nations unies sur le droit commercial international, édition révisée de 2010 et édition de 2013

[17] Règlement d’arbitrage de 2012 de la Cour de justice est-africaine

[18] Barrick Gold. 2019.The Launch of Twiga Minerals Heralds Partnership Between Tanzanian Government and Barrick. https://www.globenewswire.com/news-release/2019/10/20/1932172/0/en/The-Launch-of-Twiga-Minerals-Heralds-Partnership-Between-Tanzanian-Government-and-Barrick.html

[19] D’autres institutions d’arbitrage en Afrique incluent le Centre régional d’arbitrage commercial international du Caire (CRCICA), créé en 1979 par l’Organisation juridique consultative Asie-Afrique, et classée par la Banque africaine de développement comme l’un des principaux centres d’arbitrages en Afrique. Une autre option pourrait être le Centre de médiation et d’arbitrage international de Casablanca CIMAC), créé en 2014, et doté d’un règlement en 2018.

Finalement, Maurice a lourdement investi pour renforcer les compétences de ses membres, des représentants gouvernementaux et des juges en matière d’arbitrage international afin de s’afficher comme un mode privilégié de règlement des différends en Afrique. En 2008, Maurice a adopté sa loi sur l’arbitrage, fondée sur la Loi modèle de la CNUDCI, et conclut un accord en 2011 portant création de la Cour d’arbitrage international de Londres-Centre d’arbitrage international de Maurice (LCIA-MIAC).

[20] Rubin Mukkam-Owuor ‘Africa, Stand up for Africa’ Kluwer Arbitration Blog, http://arbitrationblog.kluwerarbitration.com/2018/03/10/africa-stand-africa/

[21] Actuellement, la Tanzanie a choisi de ne pas renouveler ses TBI, ce qu’elle a démontré récemment en envoyant une notification de son intention de mettre un terme au TBI avec les Pays-Bas. Voir Sadaff Habib ‘Tanzania Faces a New ICSID Claim under the Terminated Netherlands BIT’, Kluwer Arbitration Blog, http://arbitrationblog.kluwerarbitration.com/2019/06/21/tanzania-faces-a-new-icsid-claim-under-the-terminated-netherlands-bit-2/, visité le 13 février 2020