La Déclaration interprétative conjointe de l’Inde pour les TBI : une tentative pour faire taire les fantômes du passé

L’Inde dispose de Traités bilatéraux d’investissement (TBI) ou d’Accords bilatéraux de promotion des investissements (API) en vigueur avec 72 pays[1]. La durée initiale de ces accords avec 25 pays n’a pas encore expiré[2]. Le Gouvernement indien (le Gouvernement) a récemment lancé des négociations avec ces pays pour leur proposer une déclaration interprétative conjointe (la Déclaration)[3]contenant des précisions similaires à celles apportées par le texte du nouveau modèle de TBI de l’Inde[4]. Nous présentons ci-dessous neuf des principales précisions contenues dans la Déclaration.

  1. La définition de « l’investisseur »

D’après la Déclaration (paragraphe 2), la définition de « l’investisseur » ne couvre que les personnes morales établies au titre du droit du pays d’origine et dont le siège se trouve sur le territoire du pays d’origine.  Elle ajoute par ailleurs que ces personnes morales doivent se livrer à des « opérations commerciales substantielles » excluant expressément les arrangements visant l’évasion fiscale et la détention passive d’actifs tels que les stock, les titres et les terres (paragraphe 2.1(a)). Afin de souligner l’importance des « liens directs, réels et transparents » avec l’économie des États parties, la Déclaration affirme que le terme « investisseur » ne couvre pas les entités nationales ou celles investissant par le biais d’une entité relevant d’un État non-partie (paragraphe 2.2).

  1. La définition de « l’investissement »

Le paragraphe 4.1 précise que « l’investissement » n’inclut pas les activités pré-établissement. La Déclaration présente également le test utilisé pour déterminer ce que constitue un « investissement », basé sur le test de Salini(paragraphe 4.3)[5]. Tirant des leçons du jugement défavorable rendu dans l’affaire White Industries c. l’Inde[6], le paragraphe 4.3 exclut de la portée de « l’investissement » les ordonnances ou les jugements recherchés ou obtenus par le biais d’une procédure judiciaire, administrative ou arbitrale.

Finalement, pour répondre aux nombreux recours de grandes entreprises comme Vodafone ou Cairn Energy auxquels l’Inde fait face du fait de ses revendications fiscales rétroactives, le paragraphe 5.1 précise que les mesures fiscales ne sont pas protégées par les TBI.

  1. Le traitement juste et équitable (TJE)

La Déclaration précise que les obligations du pays au titre de la norme de traitement juste et équitable ne couvrent que la norme de traitement minimal du droit international coutumier (paragraphe 6.1). Le Gouvernement cherche ici à restreindre la large interprétation de la norme TJE[7].

Au titre de son paragraphe 6.2, la Déclaration prévoit également que la violation d’une disposition du TBI, ou de celle d’un autre accord international distinct, ne constitue par une violation du TJE ; elle réaffirme ainsi le caractère autonome de cette norme distincte des autres. Dans Philip Morris c. l’Australie, Philip Morris arguait que les violations supposées par l’Australie de ses obligations au titre de certains accords de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) constituaient également des violations du TBI Australie-Hong-Kong par le biais de sa clause parapluie. Grâce à cette précision, le Gouvernement vise à se protéger contre ce type d’argument[8].

Au titre du paragraphe 6.3, les mesures prises pour protéger ou améliorer les éléments suivants ne constitueront pas une violation du TJE : (a) les ressources naturelles et l’environnement ; (b) la vie ou la santé humaine, animale ou végétale ; (c) le capital humain, les conditions de travail et les droits de l’homme ; (d) les conditions économiques et l’intégrité du système financier ; et (e) la mise en œuvre de mesures de la politique budgétaire, notamment fiscales.

La Déclaration précise également que le TJE ne rend pas les représentations et promesses contractuelles exécutoires au titre des TBI. Leur poids juridique doit être déterminé en vertu du droit applicable mentionné dans le contrat d’investissement ou en vertu du droit interne de l’État hôte (paragraphe 6.5(a)).

  1. L’obligation des moyens efficaces

Dans l’affaire White Industries, bien que le TBI Inde-Australie ne prévît pas une obligation d’accorder à White Industries « les moyens efficaces de présenter des demandes et de réclamer des droits »[9], le tribunal s’était appuyé sur la clause de la Nation la plus favorisée (NPF) du traité pour emprunter la disposition sur « les moyens efficaces » du TBI Inde-Koweït et pour conclure que l’Inde était responsable d’un retard judiciaire.

Pour éviter que ce type de situation ne se reproduise, la Déclaration précise que l’obligation des « moyens efficaces » n’est qu’une simple obligation de ne pas nier « l’accès aux procédures judiciaires ou administratives conformément à la loi » et ne crée pas d’autres obligations substantives (paragraphe 7.1). Elle indique en outre expressément que la durée normale d’une procédure judiciaire ou administrative ne viole pas l’obligation des « moyens efficaces ». De plus, une violation de cette disposition ne peut être établie que si l’investisseur a épuisé toutes les voies de recours internes (paragraphe 7.2).

  1. Les clauses parapluie

La Déclaration précise que les obligations contractuelles spécifiques réclamées au titre d’un TBI ne peuvent inclure que les obligations spécifiques conclues dans un contrat écrit et ne peuvent inclure « les actes réalisés par une autorité gouvernementale, administrative ou judiciaire en sa capacité régulatrice exclusive ou un décret ou une ordonnance administrative ou judiciaire » (paragraphe 8.1). Elle stipule également que toute interprétation de ces obligations contractuelles devra être conforme au droit applicable indiqué dans le contrat (paragraphe 8.2). Toutefois, pour établir une violation de la clause parapluie, l’investisseur devra se tourner vers le mécanisme de règlement des différends prévu par le contrat. Le recours au mécanisme du TBI n’est accessible que si le contrat ne prévoit aucune procédure spécifique (paragraphe 8.3). Nous pensons que cela pourrait réduire la portée de la clause parapluie, car cela souligne la distinction entre l’arbitrage commercial et l’arbitrage de l’investissement, que les clauses parapluie atténuent.

  1. Le Traitement national (TN) et la Nation la plus favorisée (NPF)

Le tribunal de l’affaire White Industriesaffirmait que la disposition NPF pouvait être utilisée pour emprunter des dispositions plus importantes – mais pas celles relatives au règlement des différends – de traités de tiers.La Déclaration affirme que la clause NPF ne permet pas de sélectionner les dispositions d’autres traités (paragraphe 9.2(a)). Elle réaffirme également la position du tribunal selon laquelle la clause NPF ne s’applique pas au mécanisme de règlement des différents contenu dans les TBI ou à « d’autres questions de procédure ou de compétence, quelles que soient les circonstances » (paragraphe 9.2(b)).

La Déclaration précise également que l’exercice légitime du pouvoir discrétionnaire de poursuivre, y compris le pouvoir d’appliquer une loi ou une réglementation, ne pourra constituer une violation de la clause NPF ou TN, tant que la loi sous-jacente n’est pas contraire au TBI (paragraphe 9.4)[10].

Au titre de la Déclaration, le test des « circonstances similaires » utilisé dans les analyse NPF et TN doit « s’appuyer sur des faits précis en tenant dûment compte du contexte ». À cette fin, la Déclaration propose une liste de facteurs pertinents devant être pris en compte, tels que les effets potentiels et réels des investissements dans la communauté locale, et l’objectif des politiques ou mesures concernées (paragraphe 9.3(b)).

  1. L’expropriation

La Déclaration affirme que pour déterminer si une mesure constitue une expropriation directe ou indirecte, il faut mener une analyse au cas par cas, fondée sur les faits. Elle précise également que les tribunaux devront tenir compte de facteurs tels que la destruction permanente totale ou quasi-totale de la valeur de l’investissement, et la privation des droits de gestion et de contrôle de l’investissement, pour déterminer s’il y a EU ou non expropriation (paragraphe 10.2). Elle précise en outre que l’ingérence dans la gestion ou le contrôle, lorsque menée de bonne foi et conformément à la législation du pays hôte, par exemple les lois financières ou sur les faillites, ne constitueront pas une expropriation (paragraphe 10.2(b)). Copiant les précisions apportées à la portée du TJE, la Déclaration précise que les mesures prises pour la réalisation d’objectifs spécifiques de politique publique ne constitueront pas une expropriation (paragraphe 10.3).

  1. Les intérêts essentiels de sécurité

Afin de limiter la portée de l’examen des tribunaux dans les cas où la défense fondée sur les « intérêts essentiels de sécurité » serait invoquée, la Déclaration prévoit que dans ces cas, aucun tribunal n’aura la possibilité « d’examiner le bien-fondé d’une quelconque décision, même lorsque la procédure arbitrale concerne l’évaluation d’un recours pour dommages et/ou indemnisation, ou d’une quelconque décision portant sur une question renvoyée devant le tribunal » (paragraphe 11.1).

  1. Le règlement des différends

Pour établir l’existence d’un différend, un investisseur devra démontrer qu’il a subit des pertes réelles et non-spéculatives résultant directement, de manière prévisible, de la violation et que ses recours peuvent être examinés au titre du TBI (paragraphe 12.1). Au titre du paragraphe 12.1(c), un recours peut être examiné seulement s’il concerne une conduite du gouvernement, (b) que la conduite du gouvernement est finale et suivie d’effets, et (c) la conduite du gouvernement inflige un dommage définitif et concret qu’il est possible d’évaluer en tant que violation.

Conclusion

La Déclaration recherche l’équilibre parfait entre la protection des investisseurs et des investissements étrangers face à certains comportements gouvernementaux, et le maintien de la capacité des États à adopter des mesures dans l’intérêt public. Les précisions apportées au TJE et à l’expropriation traduisent notamment la volonté de l’Inde de ne pas entraver son droit à réglementer. La Déclaration cherche également à faire des TBI un outil de promotion des pratiques commerciales éthiques. Elle soulève des questions importantes auxquelles il faudra répondre dans le cadre de la réforme par l’Inde de son régime de l’investissement étranger, et pourrait encourager d’autres pays en développement à mener à bien des réformes similaires.

Auteur

Sarthak Malhotra est étudiant en dernière année de droit à l’Université nationale de droit de Gujarat, en Inde.

Notes

[1] Conférence des Nations Unies pour le commerce et le développement (CNUCED). (2016). International investment agreements navigator (IIA navigator).Tiré de http://investmentpolicyhub.UNCTAD.org/IIA/CountryBits/96#iiaInnerMenu.

[2] Ces pays sont l’Arabie Saoudite, Bahreïn, le Bangladesh, la Bosnie-Herzégovine, Brunei, la Chine, la Colombie, la Finlande, l’Islande, la Jordanie, le Koweït, le Laos, la Lettonie, la Libye, la Lituanie, la Macédoine, le Mexique, le Mozambique, le Myanmar, le Sénégal, la Serbie, le Soudan, la Syrie, Trinidad et Tobago, et la Turquie.

[3] Déclaration interprétative conjointe consolidée de l’Inde (2016, février 8). Tiré de http://indiainbusiness.nic.in/newdesign/upload/Consolidated_Interpretive-Statement.pdf.

[4] Gouvernement de l’Inde. (2015). Texte modèle du traité bilatéral d’investissement indien.Tiré de http://indiainbusiness.nic.in/newdesign/upload/Model_BIT.pdf.

[5] Pour une réflexion détaillée, voir Grabowski, A. (2014). The definition of investment under the ICSID Convention:A defense of Salini.Chicago Journal of International Law, 15(1), 287–309. Tiré de http://chicagounbound.uchicago.edu/cjil/vol15/iss1/13.

[6] White Industries c. l’Inde, Décision finale, 30 novembre 2011. Tiré de http://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/ita0906.pdf.

[7] Nous pensons que les effets réels pourraient en fait être différents puisque d’après l’interprétation de plusieurs tribunaux arbitraux, la norme minimale de protection au titre du droit international coutumier a évolué compte tenu des effets des TBI sur la protection des propriétés étrangères. Voir par exemple Chemtura c. le Canada, Décision finale, 2 octobre 2010, para.121. Tiré de http://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/ita0149_0.pdf; Mondev c. les États-Unis, Affaire CIRDI n° ARB(AF)/99/2, Décision, 11 octobre 2002, paras.116–117. Tiré de http://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/ita1076.pdf.

[8] Voir S.D. Myers c. le Canada, Première décision partielle, 13 novembre 2000. Tiré de http://www.italaw.com/documents/SDMeyers-1stPartialAward.pdf.

[9] White Industries, supra note 6, paras.11.4.19–20.

[10] Dans Apotex c. les États-Unis, le tribunal conclut que la décision de la Federal Drug Administration des États-Unis d’imposer une « alerte à l’importation » sur certains médicaments fabriqués par Apotex mais pas sur ceux d’autres fabricants présentant des problèmes similaires constituait une discrimination de facto. Au final, il conclut toutefois que la discrimination avait un objectif légitime et qu’elle était donc justifiée au titre de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA).Apotex c. les États-Unis d’Amérique,Affaire CIRDI n° ARB(AF)/12/1, Décision, 25 août 2014. Tiré de http://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw3324.pdf.