Percée dans les négociations en vue d’un traité contraignant sur les entreprises et les droits humains, mais le reste du chemin sera semé d’embûches

Le Groupe de travail intergouvernemental à composition non limitée sur les entreprises transnationales et autres entreprises et les droits de l’homme a tenu sa septième session du 25 au 29 octobre dernier, conformément au mandat reçu au moyen de la résolution 26/9 du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, consistant à élaborer un instrument international juridiquement contraignant pour réglementer, dans le cadre du droit international des droits de l’homme, les activités des entreprises transnationales et autres entreprises et les droits de l’homme.

Grâce au travail diligent et sous la direction compétente du président du Groupe de travail, l’Ambassadeur Emilio Rafael Izquierdo Miño d’Équateur, le projet d’Instrument juridiquement contraignant (IJC) sur les entreprises et les droits humains fait enfin l’objet de négociations substantives fondées sur le texte par les États membres des Nations Unies après six années de discussions.

Au cours d’une session hybride d’une semaine intense mais constructive, et sur la base des textes préparés dans le cadre du troisième projet d’IJC par le président et distribués avant la session, les délégués des gouvernements, des organisations internationales et des organisations non gouvernementales ont échangé leurs points de vue et fait des propositions concrètes de libellé, article par article, disposition par disposition, dans le but d’améliorer encore le fond d’un futur IJC. Grâce au travail méticuleux des collègues du secrétariat du Haut-commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, pour la première fois en six ans, les changements de fond et les propositions concrètes de textes émanant des États membres étaient affichés en temps réel à l’écran des négociateurs et observateurs participant du monde entier, facilitant un peu plus les discussions et l’échange de vues malgré les défis posés par la pandémie. 

Toutefois, au-delà de cette évolution remarquable et d’apparence prometteuse, d’importants défis continuent de menacer le futur de ce processus essentiel. Parmi les 70 États qui ont pris part à la session, seul un quart d’entre eux a fait part de propositions de texte concrètes ou de réserves vis-à-vis du texte de négociation. Les autres sont soit restés silencieux ou ont fait part, en début de session, de leur refus de prendre part aux négociations sur la base des textes actuels. 

Par exemple, les États-Unis, qui ont pris part aux travaux du Groupe pour la première fois depuis sa création il y a 6 ans, ont suggéré qu’au lieu de se concentrer sur des obligations et sanctions contraignantes en cas d’abus des droits humains causés par les multinationales, le Groupe de travail devrait explorer une approche alternative, telle qu’un accord-cadre contraignant s’inspirant des Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme, et que toutes les parties-prenantes, notamment le secteur privé, pourraient soutenir. Les délégués du Japon et du Royaume-Uni ont également indiqué la nécessité de trouver une approche alternative. Cette proposition a reçu des objections majeures de la part des organisations de la société civile, préoccupées par le gaspillage des énormes ressources investies par les parties-prenantes en faveur des progrès de l’IJC, qu’une telle marche arrière entraînerait, risquant l’effondrement catastrophique de tout le processus.

D’autres États étaient davantage préoccupés par la qualité du projet actuel. Par exemple, la Suisse et la Russie ont indiqué clairement qu’elles n’étaient pas disposées à prendre part aux négociations fondées sur le texte compte tenu de l’ambiguïté et des lacunes que présente la mouture actuelle. De même, bien que l’Union européenne et ses États membres aient indiqué leur intention de travailler avec le président pour élaborer un IJC consensuel, le bloc a limité ses interventions à des demandes de précisions, sans réaliser de propositions concrètes.

Par ailleurs, bien que de nombreux États (principalement d’Amérique latine et d’Afrique, mais aussi quelques États d’Asie, notamment la Chine, l’Indonésie, l’Iran, la Palestine et le Pakistan) aient présenté des propositions textuelles concrètes visant à améliorer le texte actuel pendant la session, ces propositions couvraient un large éventail de points de vue, apparaissant souvent comme ne laissant que peu de place au compromis. À l’instar des sessions précédentes, il existe encore de profonds désaccords entre les États quant au champ d’application de l’IJC (sa portée devrait-elle être étendue aux entreprises nationales également ?) ; quant au fait que l’instrument impose ou non des obligations internationales directement aux entreprises (et quant au fait de savoir si les obligations de diligence devraient être étendues pour couvrir toute la chaîne d’approvisionnement) ; quant aux types de responsabilités couverts (administrative, civile, pénale) ; pour déterminer si l’IJC devrait imposer la juridiction extraterritoriale des tribunaux nationaux en cas d’allégations d’abus des droits humains ; et si l’IJC devrait établir la primauté des droits humains sur d’autres domaines du droit international.

Il est évident, aux yeux de ceux qui ont suivi les sessions précédentes, que très peu d’États ont changé de point de vue au fil des ans. Malgré les rappels constants que les textes de négociations actuels intègrent toutes les observations reçues depuis 6 ans, et que certains compromis ont du être faits pour garantir le soutien le plus large possible et avancer, certains délégués continuent de présenter des propositions de textes déjà examinées et rejetées par d’autres dans le passé, ce qui rend l’atteinte d’un consensus entre les États quasi impossible.

À l’occasion de la clôture de la session, et pour encourager et faciliter encore plus la participation des États au processus, le président a annoncé qu’il n’avait pas l’intention de préparer d’autres versions révisées du texte à l’avenir. Il invitera plutôt un groupe d’ambassadeurs basés à Genève et « Amis de la présidence » dans l’espoir qu’ils puissent réaliser des progrès dans le cadre de consultations informelles. Avec le soutien de ces amis, un projet sera préparé sur la base des textes actuels de négociation et mis à jour pour inclure les propositions de texte supplémentaires, puis présenté aux délégués pour examen l’année prochaine.

Cela suppose toutefois une plus grande pression pour le président, en tous cas à court terme. Tous les regards sont maintenant tournés vers lui, qui doit veiller à ce que ce groupe d’« Amis de la présidence » soit formé et opère de manière juste, équitable et transparente, et qu’il soit effectivement en mesure d’aider le président à atteindre l’objectif fixé par le Conseil dans le mandat du Groupe de travail, et de répondre aux préoccupations soulevées par de nombreux militants des droits humains du monde entier. Dans le même temps, les États doivent faire preuve de plus de volonté politique pour faire en sorte que tout ce processus ne devienne pas un exercice vain. Après tout, lorsqu’ils ont adopté la résolution 26/9 qui a lancé ce processus, les États ont très bien compris la nécessité de réglementer les activités des entreprises transnationales pour prévenir et réparer les abus des droits humains. L’heure est maintenant venue pour ces États d’agir. 

Le secrétariat a publié le projet de résumé du rapport de la 7ème session. L’annexe II du document contient les propositions concrètes de libellé présentées par les États au cours de la session.

L’auteur remercie Nathalie Bernasconi-Osterwalder, Kinda Mohamadieh et Daniel Uribe de leurs précieuses observations sur les précédents projets de texte du présent article.

Auteur

Joe Zhang est conseiller juridique senior auprès du groupe sur la politique et le droit économiques à l’IISD.