Le tribunal du CIRDI de l’affaire Infinito Gold c. Costa Rica affirme plusieurs recours mais n’accorde pas d’indemnisation. La majorité du tribunal conclu en faveur de violations de la norme TJE, mais les dommages sont trop spéculatifs

Infinito Gold Ltd. c. Costa Rica, Affaire CIRDI n° ARB/14/5

Dans une décision du 3 juin 2021, un tribunal du CIRDI affirmait certains des recours présentés par Infinito Gold Ltd. (« Infinito »), une entreprise enregistrée au Canada, contre la révocation par le Costa Rica, actée par des mesures judiciaires et exécutives, de la concession d’Infinito sur un projet aurifère dans le nord du pays. La majorité du tribunal conclut que l’interdiction minière imposée par le gouvernement et la révocation subséquente de la concession d’exploitation minière aurifère d’Infinito équivalaient à des violations de la norme TJE au titre du traité. Toutefois, le tribunal refusa d’accorder des dommages, considérant les conséquences monétaires des pertes d’Infinito trop spéculatives pour donner lieu à l’octroi de dommages-intérêts.

Le contexte et les recours

En mai 2000, le demandeur, Vannessa Ventures Ltd. à l’époque, acquit Infinito, qui détenait un permis d’exploration accordée en 1993 pour la zone Crucitas, dans le district de Crutis. Ce permis était valable jusqu’en septembre 1999. Entre 1993 et 2000, Industrias Infinito réalisa des forages et des études pour confirmer l’existence et l’étendue du gisement aurifère. Le 17 décembre 2001, Infinito obtint sa concession d’exploitation. Entrée en vigueur en 2002, la concession (la concession de 2002) était valable dix ans en comptant les extensions et un renouvèlement, et permettait à Infinito d’extraire, de transformer et de vendre les métaux extraits de la mine d’or de Crucitas.

Le 13 février 2002, Abel Pacheco, candidat à l’élection présidentielle, adressa au ministère de l’Environnement et de l’Énergie (« MINAE ») une demande de révocation de la concession de 2002. Il prétendait qu’elle était contraire aux intérêts nationaux et menaçait le droit constitutionnel à un environnement sain. Peu après, en avril 2002, les militants environnementaux Carlos et Diana Murillo déposèrent une contestation constitutionnelle, un recours en amparo, contre la résolution accordant la concession de 2002, pour des raisons environnementales (« le recours en amparo des Murillo »). Plus tard la même année, Pacheco fut élu président du Costa Rica, et déclara, le 5 juin 2002, un moratoire indéfini sur les mines à ciel ouvert (« le moratoire de 2002 »).

Le 26 novembre 2004, la chambre constitutionnelle de la Cour suprême se prononça sur le recours en amparo des Murillo (la « décision constitutionnelle de 2004 »). Elle détermina que la concession de 2002 violait l’article 50 de la constitution, qui garantit le droit à un environnement équilibré et sain, car la concession avait été accordée avant que ne soit approuvée l’Évaluation d’impact environnemental (« l’EIE »). La chambre constitutionnelle conclut que l’octroi de la concession de 2002 violait le droit constitutionnel à un environnement sain, et annula la concession de 2002 « sans préjudices des conclusions [éventuelles] de l’évaluation d’impact environnemental » (para. 83).

Deux ans plus tard, après la prise de fonction du président Óscar Arias en mai 2006, Arias et le MINAE abrogèrent le moratoire de 2002 et accordèrent à Infinito une concession d’exploitation (la « concession de 2008 »). Celle-ci était accordée au titre d’un terme administratif national appelé « conversion ». Celle-ci permettait de convertir la concession précédemment annulée en une concession valable, en en créant une nouvelle, plutôt qu’en rétablissant la concession précédente. Plusieurs recours furent déposés contre la concession de 2008, mais en 2010, la chambre constitutionnelle détermina que le projet ne violait pas le droit des requérants à un environnement sain.

Après cela, le 16 avril 2010, le tribunal des contentieux administratifs émit une injonction temporaire bloquant le projet Crucitas. La même année, Arias adopta un moratoire exécutif (le « moratoire Arias »), tout comme le président suivant, Chinchilla (le « moratoire Chinchilla »), entré en fonction le 8 mai 2010 (ensemble, les « moratoires de 2010 »). Essentiellement, ces deux décrets imposaient un moratoire indéfini sur les mines d’or à ciel ouvert, c’est-à-dire les activités utilisant du cyanure et du mercure pour le traitement du minerai.

En décembre 2010, le tribunal des contentieux administratifs émit une décision (la « décision du TCA de 2010 ») annulant la concession de 2008 d’Infinito, ainsi que les décisions administratives connexes. Selon lui, la décision constitutionnelle de 2004 révoquant la concession de 2002 entraînait la nullité absolue de la concession, ne permettant donc pas sa « conversion » en la concession de 2008. Aussi, la concession de 2008 ne pouvait être considérée comme représentant un droit préexistant, et était invalide. Le même mois, le gouvernement costaricien promulgua un amendement au code minier interdisant les mines à ciel ouvert, entré en vigueur en février 2011 (« l’interdiction minière législative de 2011 »). Au titre de cette interdiction, toutes les demandes de concession minière en cours étaient annulées, ce qui empêchait Infinito de demander une nouvelle concession. Par conséquent, le 11 novembre 2011, Infinito demanda à la chambre constitutionnelle de déclarer la décision du TCA de 2010 comme inconstitutionnelle puisque contraire à la décision constitutionnelle de 2010. La chambre administrative de la Cour suprême rejeta la demande de cassation d’Infinito (la « décision de la chambre administrative de 2011 »), et réaffirma les principales conclusions de la décision du TCA de 2010, à savoir l’applicabilité du moratoire de 2002.

Le 9 janvier 2012, le ministère de l’Environnement, de l’Énergie et des Télécommunications (« MINAET ») annula la concession de 2008 d’Infinito (la « résolution du MINAET de 2012 »). Infinito contesta cette décision, mais le 19 juin 2013, la chambre constitutionnelle rejeta la contestation constitutionnelle d’Infinito et affirma que la contestation était irrecevable car la chambre administrative avait déjà rendue une décision (« la décision constitutionnelle de 2013 »).

Au mois de septembre 2015, Infinito avait quitté le site de Crucitas. Peu après, le tribunal des contentieux administratifs ordonna à Infinito, au Système national des zones de conservation, et à l’État de payer 6,4 millions USD à titre de dommages environnementaux dans un délai de 6 mois (la « décision du TCA relatives aux dommages de 2015 »). Toutefois, après plusieurs appels, la chambre administrative de la Cour suprême annula la décision en décembre 2017, considérant qu’elle n’était pas suffisamment motivée.

Entre temps, le 6 février 2014, Infinito déposa une demande d’arbitrage contre le Costa Rica, arguant que la conduite du pays avait violé les articles II(1), II(2), IV et VIII du TBI Canada-Costa Rica. Le demandeur arguait en particulier que la décision du gouvernement d’annuler la concession d’exploitation et d’autres approbations liées au projet, ainsi que les autres mesures adoptées, détruisaient les investissements d’Infinito et ses droits à développer et à commercialiser la mine d’or.

Les parts du demandeur dans Infinito sont un investissement protégé au titre du traité

Dans le cadre de ses objections à la compétence du tribunal, le Costa Rica arguait que le tribunal n’avait pas compétence ratione materiae et ratione voluntatis car la concession n’était pas détenue et contrôlée conformément à la loi costaricienne, comme l’exige le TBI, et que l’investissement avait été obtenu grâce à une conduite malhonnête.

Le demandeur avait présenté une liste des actifs constituant ses investissements (les parts dans Infinito, les sommes investies par le biais de prêts entre ses entreprises, la concession, les droits miniers préexistants, d’autres approbations relatives au projet, les actifs physiques du projet, notamment les infrastructures minières construites à ce jour, ainsi que les actifs intangibles du projet). Le tribunal considéra toutefois que seules les parts dans Infinito constituaient un investissement et permettaient d’établir la compétence du tribunal. Infinito détenait indirectement ces parts par le biais d’une entreprise enregistrée au titre de la loi de la Barbade, Crucitas (Barbados) Limited (para. 176).

La corruption concerne des questions survenues après la réalisation de l’investissement initial

Le défendeur arguait au début que le tribunal n’avait pas compétence car l’investissement avait été obtenu au moyen de la corruption, puisqu’une enquête pénale dans l’investissement d’Infinito était en cours. Toutefois, après que les cours locales aient déterminé que certaines accusations de corruption étaient prescrites, le Costa Rica retira cette objection pour arguer que la concession de 2008 n’avait pas été accordée conformément aux lois nationales.

Le tribunal rejeta l’objection fondée sur l’illégalité mais considéra que les allégations de corruption soulevaient une question de politique publique internationale, que le tribunal devait examiner ex officio. Après analyse, il conclut que rien ne permettait de confirmer que la concession de 2008 avait été obtenue au moyen de la corruption, même si les allégations de corruption étaient avérées. La majorité conclut qu’au titre de la norme de la preuve circonstancielle, qui est une « norme de preuve moins exigeante », elle ne pouvait conclure que la concession était illégale (para. 181).

Les recours des demandeurs ne sont pas prescrits au titre de l’article XII(3)(c) du TBI

Au titre de l’article XII(3)(c), les investisseurs doivent présenter un différend à l’arbitrage dans les trois ans suivant la date à laquelle l’investisseur a EU, ou aurait dû avoir, pour la première fois, connaissance de la violation, des pertes ou des dommages allégués.

Le Costa Rica argua que les violations alléguées s’étaient cristallisées avant la date limite du 6 février 2011 fixée par le tribunal. Le recours d’Infinito tombait donc en-dehors de la limite temporelle du TBI puisque la date pertinente au sens de l’article XII(3)(c) est lorsque l’investisseur sait que son investissement est sans valeur. Par conséquent, le demandeur ne pouvait invoquer aucune violation, puisque la situation juridique et factuelle soutenant les recours d’Infinito avait déjà été façonnée par les évènements survenus avant le 6 février 2011, la date limite.

Toutefois, selon la majorité du tribunal, le délai de prescription ne commence à courir que lorsque la violation, en tant que notion juridique, est survenue. En d’autres termes, selon la majorité, le moment auquel la violation intervient « dépendra du moment où un fait ou un ensemble de faits est susceptible de donner lieu à une violation du droit international » (para. 220).

Par ailleurs, la majorité expliqua que, en fonction de la norme violée, la violation et la perte pouvaient coïncider. Elle aborda également le moment de la prise de connaissance des violations et pertes pour chacune des violations mises en avant par Infinito (le TJE, l’expropriation, le déni de justice, la protection et la sécurité intégrales). La majorité du tribunal conclut que les recours n’étaient pas prescrits car le demandeur n’avait pas connaissance de la violation et de la perte après la date limite.

Le demandeur ne démontre pas de violation composite

Infinito prétendait que la violation avait eu lieu par le biais de plusieurs mesures (à savoir la décision de la chambre administrative de 2011, l’interdiction minière législative de 2011, la résolution de MINAET de 2012, et la réouverture de la procédure du TCA pour dommages environnementaux en janvier 2019). La majorité expliqua que les recours d’Infinito suggéraient « une série d’actions ou d’omissions définie comme illégale », c.-à-d. une violation composite résultant de l’effet combiné de plusieurs mesures. Toutefois, la majorité du tribunal expliqua également que même si Infinito pouvait s’appuyer sur une violation composite, elle n’avait pas suffisamment étayé une telle violation (para. 230).

Norme TJE autonome : l’article II(2)(a) du TBI n’est pas limité au droit international coutumier

Alors que le Costa Rica affirmait que le TJE était limité, Infinito maintenait qu’au titre du TBI, le Costa Rica aurait dû lui accorder un traitement juste et équitable au titre des principes du droit international. Infinito prétendait que le libellé de l’article II, selon son sens ordinaire, ne limitait pas le TJE à la norme minimale de traitement au titre du droit international coutumier, puisqu’il n’y faisait pas référence.

Appliquant la règle générale d’interprétation, c.-à-d. l’article 31 de la CVDT, la majorité du tribunal confirma l’argument du demandeur. La majorité conclut que l’article II(2)(a) du TBI n’était pas limité à la norme minimale de traitement au titre du droit international coutumier. La majorité expliqua que l’expression « les principes du droit international » ne fait pas référence au droit international coutumier, qui n’est « qu’une source de droit international parmi d’autres, et est distincte des principes généraux » (para. 331-337).

Violation du TJE : il se peut que les mesures judiciaires prises par les cours nationales violent la norme TJE au-delà du seul déni de justice

Trois des mesures mises en avant par Infinito comme ayant affecté son investissement étaient de nature judiciaire (la décision de la chambre administrative de 2011, la décision constitutionnelle de 2013 et la décision du TCA sur les dommages). Le Costa Rica affirmait que les mesures judiciaires ne pouvaient engager la responsabilité internationale de l’État que si elles équivalaient à un déni de justice puisqu’elles ne peuvent pas violer le droit international. Toutefois, Infinito contesta cette interprétation et affirma que ni le TBI ni les Articles de la CDI sur la responsabilité des États n’excluent la responsabilité pour les actes des organes judiciaires qui ne relèvent pas du déni de justice.

Adoptant l’approche de l’affaire Sistem c. la République kirghize, la majorité conclut que les décisions des cours nationales n’étaient pas protégées contre l’examen des tribunaux internationaux car ces décisions peuvent priver les investisseurs de leurs droits de propriété, comme si l’investisseur avait été exproprié par décret. Aussi, « les décisions judiciaires qui sont arbitraires, injustes ou contraires aux attentes légitimes d’un investisseur sont aussi susceptibles de violer la norme TJE même si elles n’équivalent pas à un déni de justice » (para. 359).

La majorité du tribunal expliqua en outre que les mesures judiciaires provenaient de l’État, et que le TBI ne fait pas de distinction entre les actes des différentes branches du gouvernement. Avant d’examiner si un déni de justice avait eu lieu, la majorité considéra qu’un déni de justice « peut être de nature procédurale ou substantive, et, dans les deux cas, le déni de justice est le produit d’un échec systémique de l’ensemble du pouvoir judiciaire de l’État d’accueil » (para. 445).

Pas de déni de justice de nature procédurale ou substantive

Infinito affirmait qu’un déni de justice de nature procédurale avait eu lieu car le Costa Rica ne disposait pas de mécanisme chargé de régler les décisions juridiques incohérentes. Selon le demandeur, le principe res judicata n’était pas respecté car la chambre administrative n’avait pas respecté une décision précédente émise par la chambre constitutionnelle de la Cour suprême. Le demandeur arguait notamment que la décision de la chambre administrative de 2011, qui réaffirmait la décision du TCA de 2010, n’avait pas annulé certaines conclusions de la décision du TCA qui étaient contraires à la décision constitutionnelle de 2010, qui avait déterminé que la concession de 2008 était conforme à la constitution.

Le Costa Rica nia cet argument. Il prétendait que la décision de la chambre administrative de 2011 était conforme à celle de la chambre constitutionnelle puisque les deux chambres ont un champ d’application et des compétences très différentes, en termes d’appel et d’examen des décisions prises par les cours inférieures.

Le tribunal rejeta l’argument d’Infinito et remarqua que l’absence de mécanisme ou d’organe national chargé de gérer les incohérences découlant des décisions rendues par les différentes cours ne pouvait constituer une violation en soi. Il indiqua également qu’Infinito avait déjà présenté l’objection fondée sur la res judicata aux cours nationales (au TCA et à la chambre administrative, qui l’avaient examinée et rejetée compte tenu du champ de compétence différent). Au titre du droit costaricien, « la compétence de revoir la légalité des actes administratifs relève exclusivement des tribunaux des contentieux administratifs » (para. 447 à 452), tandis que la chambre constitutionnelle n’a examiné que le respect des normes constitutionnelles, sans examiner la légalité de la concession.

Le tribunal conclut qu’il n’existait pas d’incohérence puisque le tribunal national avait correctement évalué l’objection d’Infinito fondée sur la res judicata. Par ailleurs, le tribunal considéra que l’absence de mécanisme chargé de régler les incohérences n’équivalait pas à un déni de justice car seule l’absence de voies de recours privant un investisseur de la juste opportunité de plaider sa cause ou l’accès impossible à la justice pourrait équivaloir à un déni de justice (para. 483).

De même, Infinito affirmait également qu’un  déni de justice substantiel avait eu lieu car la décision de la chambre administrative de 2011 équivalait à un tel déni, puisque la cour avait appliqué le moratoire de 2002 au projet Crucitas, violant la loi costaricienne. S’appuyant sur un rapport d’expert, le demandeur arguait que l’annulation de la concession de 2008 était inappropriée puisqu’Infinito disposait de droits acquis au sens du code minier.

Le tribunal rejeta cet argument, considérant que la conversion de la concession était illégale car la chambre constitutionnelle avait annulé la concession de 2002 en 2004, et que cette nullité était absolue. Aussi, après la déclaration de nullité de la chambre constitutionnelle, le droit d’Infinito sur la concession d’exploitation avait disparu.

Les mesures réglementaires qui empêchent de demander une nouvelle concession sont disproportionnées, mais n’entraînent pas de dommages, qui sont trop spéculatifs

La majorité analysa ensuite si les mesures prises par le Costa Rica violaient la norme TJE du TBI.

Infinito avait avancé que le Costa Rica avait violé la norme TJE par le biais de plusieurs mesures qui empêchaient Infinito de demander une nouvelle concession. Ces mesures étaient l’interdiction minière législative de 2011 et la résolution du MINAET de 2012.

Selon la majorité du tribunal, le Costa Rica avait violé son obligation TJE au titre du traité car il avait privé le demandeur de l’opportunité de demander une nouvelle concession en adoptant l’interdiction minière législative de 2011 et la résolution du MINAET de 2012 qui prolongeait l’application de l’interdiction. La majorité expliqua également que l’interdiction minière législative de 2011 n’était pas injuste ou inéquitable en soi. Toutefois, l’application de l’interdiction au demandeur était injuste car cette application de l’interdiction au projet Crucitas était disproportionnée au regard de l’objectif politique recherché. Elle conclut en outre que même si elle établissait une violation, aucun dommage n’avait été identifié car Infinito n’avait présenté aucun dommage quantifiable pour la perte de l’opportunité, et n’avait pas fourni au tribunal les éléments nécessaires à leur calcul (para. 582).

Le TBI ne prévoit pas d’exception à la responsabilité pour les dispositions environnementales

Le Costa Rica arguait que même s’il avait violé son obligation TJE en raison de l’interdiction minière législative de 2011 et la résolution du MINAET de 2012 qui mettait l’interdiction en œuvre, l’exception environnementale contenue à la section III(1) de l’annexe I du TBI exemptait le Costa Rica de toute responsabilité. Le tribunal étudia donc si la section III(1) du TBI prévoyait une exception à la responsabilité. Utilisant la règle générale d’interprétation (article 31 CVDT), le tribunal interpréta la disposition du traité, et conclut que la section III(1) du TBI Canada-Costa Rica n’était pas une exception à la responsabilité. Il expliqua en outre que l’expression « toute mesure, compatible avec l’Accord » contenue dans la section III signifie que toutes les mesures visant à garantir que les activités de l’investissement respectent l’environnement doivent également être conformes au cadre de protection de l’investissement du TBI (para. 773). Par conséquent, et d’après certains observateurs, cette disposition ne pouvait pas prévaloir sur les obligations contraignantes du traité.

Le Costa Rica arguait également que les termes « compatible avec l’Accord » de la section III(1) ne s’appliquaient pas aux mesures qu’Infinito prétendait contester puisque ces mesures ne faisaient que maintenir des mesures préexistantes qu’Infinito ne pouvait contester compte tenu du délai de prescription de trois ans. Le tribunal rejeta cet argument, considérant que ces termes s’appliquaient également aux mesures visant à maintenir ou mettre en œuvre des mesures antérieures.

Les coûts

Les deux parties cherchaient à obtenir une décision actant le remboursement de l’intégralité des coûts de l’arbitrage. Le demandeur avait demandé que le défendeur paye l’ensemble des dépenses juridiques d’Infinito. Ces dépenses totalisaient 2 099 918,27 USD pour la phase juridictionnelle, et 3 513 732,09 USD pour l’examen quant au fond. À l’inverse, les coûts du défendeur s’élevaient à environ 3 millions USD (997 403,63 USD pour les frais et dépenses de la phase juridictionnelle, et 2 016 863,95 USD pour l’examen quant au fond).

Le tribunal indiqua qu’au titre de la convention du CIRDI, il avait toute discrétion s’agissant de la répartition des coûts de l’arbitrage, et remarqua que si Infinito avait eu gain de cause dans la phase juridictionnelle, le Costa Rica avait largement gagné dans l’examen quant au fond. Il remarqua également que les parties et leurs avocats avaient mené la procédure de manière coopérative et efficace. Pesant ces éléments, il conclut donc qu’il était juste de diviser les coûts de la procédure à part égale, et que chacune des parties payeraient ses propres frais juridiques.

L’opinion divergente du Prof. Brigitte Stern

Dans une décision divergente partielle, l’arbitre Brigitte Stern considérait qu’elle aurait atteint la même conclusion s’agissant de l’objection fondée sur le délai de prescription, mais par le biais d’un autre raisonnement. Elle ressentait donc la nécessité d’expliquer son raisonnement, puisqu’elle était d’accord avec la conclusion de l’affaire.

Dans son analyse, Professeure Stern mit l’accent sur la décision de la chambre administrative de 2011, et argua que même si Infinito avait identifié un nombre de mesures qu’elle considérait comme violant le TBI, au final, l’argumentation du demandeur reposait sur le fait que la décision de la chambre administrative de 2011 était la principale violation à prendre en compte pour le calcul du délai de prescription (la date limite). Elle remarqua que la première connaissance de la violation ou de la perte avait, à tort, été « métamorphosée en la première connaissance d’une violation intégrale, qui cache, en réalité, la connaissance finale » (opinion divergente, para. 14). Professeure Stern argua en outre que, selon elle, l’interprétation de l’article XII(3)(c) était contraire aux règles d’interprétation de la CVDT. Elle conclut que cet article faisait référence à la date à laquelle un investisseur a eu pour la première fois connaissance d’une violation ou d’une perte, plutôt qu’à la date à laquelle l’existence de la violation et de la perte est finalement connue (opinion divergente, para. 14).

Professeure Stern n’était pas non plus d’accord avec l’analyse de la majorité de la norme TJE, et expliqua que l’article II(2)(a) du TBI était à son sens limité à la norme minimale de traitement au titre du droit international coutumier car il était à la fois fait référence aux « règles du droit international » et aux « principes du droit international ». Pour Professeure Stern, cette mention des deux termes sans autres détails « est insuffisante pour conclure que le TJE doit être interprété selon le droit international tel qu’appliqué entre toutes les nations, ce qui constitue le droit coutumier international » (opinion divergente, para. 81).

Elle nota également que puisque l’analyse de la majorité ne donne pas d’effets à la référence du TBI aux principes du droit international, et la référence au droit international s’en retrouve donc effacée même si le TBI la mentionne spécifiquement ((opinion divergente, para. 84).

Remarques : le tribunal était composé de Gabrielle Kaufmann-Kohler (présidente, nommée par les parties, de Suisse), de Bernard Hanotiau (nommé par le demandeur, de Belgique) et de Brigitte Stern (nommée par le défendeur, de France). La décision du 3 juin 2021 est disponible sur http://icsidfiles.worldbank.org/ICSID/ICSIDBLOBS/OnlineAwards/C3384/DS16472_Sp.pdf

Maria Bisila Torao est une avocate internationale basée à Londres. Elle détient un master en droit, arbitrage international au titre des traités, de l’Université d’Uppsala, un master en droit, arbitrage commercial international, de l’Université de Stockholm, et une licence en droit de l’Université de Málaga.