Un tribunal du TCE considère les modifications par l’Italie de son mécanisme incitatif de production d’énergie renouvelable comme raisonnables, prévisibles et proportionnelles

Silver Ridge Power BV c. la République d’Italie, Affaire CIRDI n° ARB/15/37

La majorité d’un tribunal dans l’affaire Silver Ridge Power BV c. Italie a rejeté les recours du demandeur sur le fond, considérant que le cadre italien relatif à l’énergie renouvelable ne donnait lieu à aucune attente légitime quant à un niveau fixe d’incitations.

Le contexte et les recours

Enregistrée aux Pays-Bas, l’entreprise Silver Ridge Power BV détenait et contrôlait une filiale italienne opérant 25 centrales photovoltaïques (PV). La filiale locale et le régulateur italien (le Gestore dei Servizi Energetici S.p.A., ou GSE) conclurent des accords (les conventions GSE) au titre desquels les centrales bénéficiaient des tarifs de rachat garanti (TRG) à un taux précisé, pendant 20 ans.

Toutefois, l’Italie réduisit progressivement les TRG au moyen de divers décrets successifs (« Conto Energie » ou compte énergie) dans le but de refléter la baisse des coûts de production d’énergie renouvelable. Le troisième compte énergie de 2010 prévoyait une réduction trisannuelle des TRG. Le « décret Romani » de 2011 réduisait la période de validité du troisième compte énergie et ajoutait des conditions d’éligibilité pour les centrales. Le cinquième compte énergie de 2012 imposait des frais administratifs annuels aux producteurs bénéficiant des tarifs de rachat au titre des divers comptes énergie. Finalement, l’Italie promulgua en 2014 le décret « Spalma-incentivi », qui reformulait le paiement des incitations. Par conséquent, chacune des centrales de Silver Ridge connu une réduction de 8 % du TRG.

Silver Ridge contestait l’adoption du décret Romani, du cinquième compte énergie et du décret Spalma-incentivi au titre des articles 10 et 13 du TCE.

Rejet de l’objection de l’Italie fondée sur la nature intra-UE du différend

Soutenue par la Commission européenne, l’Italie arguait que les différends entre investisseurs et États membres de l’UE étaient régis par le droit européen et ne relevaient pas de la portée du TCE. Le tribunal conclut que même s’il existait un conflit entre le droit européen et le TCE s’agissant de la compétence des tribunaux arbitraux intra-UE, l’objection juridictionnelle de l’Italie était rejetée compte tenu de la règle de conflit lex specialis de l’article 16 du TCE. Le tribunal nota que l’article 16 préservait les droits des investisseurs découlant des sections III et V du TCE contre les dispositions chevauchantes d’autres accords si le TCE était plus favorable à l’investisseur ou à l’investissement. Il conclut que les garanties substantives du libre établissement et du libre mouvement des capitaux, ainsi que le mécanisme procédural de protection judiciaire du droit européen, chevauchaient les normes de protection de l’investissement et le mécanisme de règlement des différends des sections III et V du TCE. Par ailleurs, selon le tribunal, « à tout le moins, certaines dispositions des sections III et V du TCE sont plus favorables aux investisseurs et aux investissements que le droit européen, s’agissant des recours intra-UE au titre du TCE » (para. 212). Aussi, le tribunal conclut que les conditions de la règle de l’article 16 étaient remplies, et que le droit de l’UE n’avait pas d’effets limitant sa compétence.

Le tribunal rejeta également trois autres objections juridictionnelles mises en avant par l’Italie. D’abord, le tribunal conclut que les clauses de sélection du for dans les conventions GSE ne bloquaient pas sa compétence puisque la clause de bifurcation de l’article 26(2) du TCE permet à l’investisseur de choisir la modalité de règlement des différends qu’il préfère. Ensuite, le tribunal rejeta l’objection de l’Italie selon laquelle Silver Ridge avait manqué à l’obligation de demander un règlement amiable s’agissant du décret Romani tel qu’exigé par l’article 26 du TCE. Finalement, le tribunal considéra que les frais administratifs imposés par le cinquième compte énergie ne relevaient pas de l’exemption relative aux mesures fiscales de l’article 21 du TCE. Le tribunal remarqua que, puisque les frais visaient à payer des items spécifiques, le traitement des demandes et la gestion, le contrôle et les inspections au titre des GSE, il existait un degré de réciprocité suffisant pour qualifier les paiements de frais et non pas de taxes.

Le décret Spalma-incentivi ne violait pas la clause parapluie ou le TJE

Le tribunal examina d’abord les recours de Silver Ridge au sujet du décret Spalma-incentivi au titre de l’article 10(1), qui contient la clause parapluie et le TJE.

S’agissant de la première, Silver Ridge arguait que l’Italie avait violé la clause parapluie en changeant les termes de ses obligations au titre des conventions GSE au détriment de l’investissement. S’appuyant sur le cadre législatif italien relatif aux énergies renouvelables, le tribunal conclut que « les conventions GSE ne reflétaient qu’une relation juridique dont l’existence et les principales caractéristiques ont été auparavant déterminées » (para. 376). Aussi, le tribunal conclut que ces instruments déclaratoires ne constituaient pas des obligations « contractées » vis-à-vis des investissements de Silver Ridge aux fins de la clause parapluie.

Silver Ridge prétendait également que le décret Spalma-incentivi violait ses attentes légitimes, et manquait à son obligation de garantir la légitimité et la transparence du cadre juridique italien. Le tribunal considérait que pour pouvoir affirmer l’existence d’attentes légitimes au sens de cet article, il fallait déterminer si les actions de l’État d’accueil donnaient objectivement lieu à des attentes protégées dans les circonstances factuelles de l’affaire. Le tribunal adopta également la jurisprudence existante s’agissant de l’article 10 du TCE et remarqua que toute évaluation au titre de cette disposition devait mettre en balance l’intérêt légitime de l’investisseur dans la stabilité et la transparence du cadre juridique de l’État d’accueil, et les droits de l’État d’accueil d’adapter, au fil du temps, son cadre juridique aux faits nouveaux.

Examinant les faits de l’affaire, le tribunal conclut que les termes des comptes énergie, combinés aux décrets législatifs connexes, étaient détaillés et suffisamment spécifiques pour créer des attentes légitimes. Toutefois, la majorité considéra que l’Italie ne s’était pas engagée à ne pas modifier le cadre juridique pendant 20 ans. Selon la majorité, les actes législatifs pertinents créaient un système de rémunération juste pour les producteurs d’énergie photovoltaïque sans leur garantir une compensation fixe. La majorité était d’avis que le terme incitations « constantes » au titre du décret Romani et des comptes énergie signifiait une rémunération stable, mais pas fixe. Ici, la majorité souligna également l’absence d’une clause de stabilisation ou de gel au titre du cadre législatif italien relatif aux énergies renouvelables. Aussi, la majorité conclut que l’investisseur « pouvait légitimement s’appuyer sur l’intégrité générale du régime incitatif pour l’énergie solaire en Italie » mais « devait se préparer à des modifications légères mais certaines du cadre juridique applicable » (para. 437).

Compte tenu de ces conclusions, la majorité examina si les mesures de l’Italie équivalaient à des modifications profondes et radicales de son cadre réglementaire. La majorité accepta l’argument de l’Italie selon lequel le décret Spalma-incentivi avait un objectif public de renforcement de la stabilité du mécanisme de TRG en redistribuant les bénéfices économiques. S’agissant de sa prévisibilité, la majorité reconnu que le décret Spalma-incentivi était le premier du genre : les réformes précédentes portaient sur d’éventuelles réductions qui n’avaient pas EU d’effets sur les paiements incitatifs aux centrales bénéficiant déjà du mécanisme. Finalement, la majorité accepta que les modifications introduites par l’Italie et la réduction de 8 % du montant des incitations avaient eu un impact considérables sur les centrales de Silver Ridge. Cependant, la majorité considéra que cela « n’excédait pas la réduction nécessaire pour permettre à l’Italie d’atteindre ses objectifs de politique publique » (para. 465). Soutenant sa conclusion, la majorité remarqua que le décret Spalma-incentivi opérait une distinction entre plusieurs catégories de centrales PV dans le but de distribuer le fardeau économique de la réduction des TRG de manière appropriée. Par ailleurs, si la majorité du tribunal considérait qu’un fort effet de levier était commun pour le financement des projets d’énergie renouvelable, elle remarqua que de tels coûts élevés « ne dispensaient pas [Silver Ridge] de se préparer à des pressions ou des faux pas dans le flux des incitations, comme le ferait tout investisseur raisonnable » (para. 468). Aussi, le tribunal rejeta les recours de Silver Ridge fondés sur le décret Spalma-incentivi, attribuant les pertes de l’entreprises à ses choix commerciaux.

L’arbitre à l’opinion divergente considérait que l’Italie était revenue sur son engagement d’accorder des paiements incitatifs pendant 20 ans, qu’elle ait ou non donné « une promesse séparée de ne pas violer les termes de ses engagements spécifiques » (para. 9, opinion divergente). Cet arbitre nota également que la magnitude de la réduction des incitations n’était pertinente que pour le calcul des dommages, et n’aurait pas dû influencer la décision de la majorité quant à la proportionnalité des actes de l’Italie.

Le décret Romani n’était pas la cause directe de l’échec du projet de Silver Ridge

Le recours de Silver Ridge relatif au décret Romani de 2011 portait sur l’impact du décret sur le projet Vega, un projet PV solaire dans la région italienne des Pouilles, destiné à être, à l’époque, le plus grand d’Europe. Silver Ridge arguait que le décret Romani de 2011 avait déclenché une phase d’incertitude réglementaire et donné lieu à une baisse importante des TRG, forçant l’investisseur à abandonner le projet.

Le tribunal remarqua qu’au moment de l’adoption du décret Romani, plusieurs aspects du projet Vega n’étaient toujours pas finalisés. Le tribunal tint également compte de la déclaration de Silver Ridge selon laquelle elle était prête à parachever le projet Vega en 2011. S’il reconnut que le décret Romani était « un développement malheureux du point du vue du demandeur » (para. 520), le tribunal remarqua que le projet Vega aurait été éligible au mécanisme incitatif si Silver Ridge avait connecté la centrale au réseau avant le 29 mars 2012, la date limite au titre du décret Romani. C’est pourquoi le tribunal détermina que Silver Ridge n’avait pas démontré que les actes de l’Italie étaient la cause « directe » de sa décision d’abandonner le projet.

Les actes du gouvernement au titre du cinquième compte énergie n’équivalent pas à des changements réglementaires disproportionnés

Silver Ridge arguait que le cinquième compte énergie violait le TCE de trois manières. D’abord, selon l’entreprise, la promulgation soudaine et imprévisible du cinquième compte énergie compromettait les profits que Silver Ridge attendait de ses nouvelles centrales PV au titre du quatrième compte énergie, en violation des obligations TJE de l’Italie. Ensuite, Silver Ridge avançait que les bénéfices réduits au titre du cinquième compte énergie, combinés à leurs effets rétroactifs, rendaient la mesure expropriatoire. Finalement, l’entreprise arguait que la réduction du montant des incitations dans le but de compenser les frais administratifs GSE récemment inventés entraînait également une violation de la norme TJE.

S’agissant de la première violation, le tribunal rappela que Silver Ridge ne pouvait prétendre à être protégé que contre les modifications fondamentales ou radicales du régime italien d’incitation pour l’énergie renouvelable. Le tribunal était convaincu que le cinquième compte énergie avait été adopté aux fins publiques de renforcer la durabilité du régime incitatif italien et que les modifications du système de rémunération en découlant n’entraînaient pas une profonde refonte des pratiques existantes. Le tribunal remarqua en outre que les changements introduits au titre du cinquième compte énergie étaient prévisibles : le quatrième compte énergie établissait un régime différent pour les grandes centrales et indiquait que les régimes incitatifs pourraient être révisés lorsque leurs objectifs seraient atteints. C’est pourquoi le tribunal rejeta le premier argument de Silver Ridge.

Le tribunal ne trouva aucun fondement au recours de Silver Ridge fondé sur l’expropriation, notant qu’ « au moment de l’adoption et de l’entrée en vigueur du cinquième compte énergie, l’accession au tarif de 2013 n’était qu’une simple aspiration du demandeur, mais pas un « droit » au sens de la décision de l’affaire Electrabel C. la Hongrie, duquel le demandeur aurait été privé » (para. 610).

S’agissant de l’introduction des frais administratifs, là encore le tribunal ne trouva aucune violation de la norme TJE. Le tribunal rappela spécifiquement ses conclusions précédentes s’agissant du caractère raisonnable des frais administratifs et de leur prévisibilité. Le tribunal considéra également que la mesure était proportionnelle puisque « les frais de gestion administrative sont d’un montant plutôt faible, représentant à peine plus de 0,5 % des incitations perçues par le demandeur » (para. 624).

La décision et les coûts

À l’unanimité, le tribunal rejeta les objections juridictionnelles de l’Italie, ainsi que les recours de Silver Ridge s’agissant du décret Romani et du cinquième compte énergie. La majorité du tribunal rejeta également les recours de l’entreprise s’agissant du décret Spalma-incentivi.

Le tribunal ordonna aux parties de payer la moitié des coûts de l’arbitrage ainsi que leurs frais juridiques. En parallèle de cette décision, le tribunal remarqua que si l’affaire lancée par Silver Ridge avait échoué quant au fond, « les objections et demandes de l’Italie s’agissant des questions de compétence avaient contribué de manière significative aux coûts généraux de la procédure » (para. 636).

Remarques : le tribunal était composé de Bruno Simma (président, nommée par les parties, germano-autrichien), d’O. Thomas Johnson (nommé par le demandeur, des États-Unis), et de Bernardo M. Cremades (nommé par le défendeur, d’Espagne). La décision est disponible sur https://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw16138.pdf

L’auteur de cet article souhaite rester anonyme.