Un tribunal de la CPA affirme sa compétence sur les différends fondés sur l’Accord de partenariat économique global Inde-Japon

Nissan Motor Co. Ltd. (Japon) c. Inde, Affaire CPA n° 2017-37

Dans une décision du 29 avril 2019, un tribunal de la CPA avait examiné les objections à sa compétence sur des recours présentés contre l’Inde par l’entreprise japonaise Nissan Motor Co. Ltd (Japon) au titre du Règlement de la CNUDCI. Le tribunal y rejetait toutes les objections sauf une, sur laquelle il reportait sa décision compte tenu d’un manque d’information.

Le contexte et les recours

Le différend portait sur l’investissement de Nissan relatif à la création d’une usine de construction automobile. L’entreprise réalisa cet investissement par le biais d’un consortium d’entreprises, qui incluait une filiale en propriété exclusive et une entreprise détenue conjointement avec son partenaire français Renault s.a.s.

En 2008, le consortium d’entreprises conclut un Protocole d’entente (le protocole) avec le gouvernement provincial de Tamil Nadu (le GoTN). Au titre du protocole, le consortium acceptait d’investir un montant minimum en vue d’établir l’usine de construction automobile, et d’atteindre une capacité minimale de production dans les sept ans. Le GoTN acceptait d’accorder plusieurs mesures incitatives au consortium, notamment le remboursement de certaines catégories d’impôts. Le protocole détaillait également les critères d’éligibilité pour l’obtention de ces avantages.

Nissan alléguait que le GoTN ne lui avait pas versé ces mesures incitatives dans un délai raisonnable, donnant lieu à une dette de 2 057,36 crores INR (environ 290 millions USD). Selon Nissan, cet acte constituait une violation de la clause TJE (article 87(1) APEG) et de la clause parapluie (art. 87(2) APEG). Elle réclamait l’entière réparation de ces mesures non versées, assortie des intérêts applicables.

Le tribunal a été établi de manière correcte

L’Inde arguait que le tribunal arbitral n’avait pas été établi conformément à l’article 96 APEG et à l’article 9 du règlement de la CNUDCI. Elle arguait que l’effet combiné des articles 96(11) APEG et 9 du règlement de la CNUDCI impliquait que le Secrétaire général de la CPA (l’autorité de nomination par défaut au titre de l’article 96(11)) ne pouvait nommer l’arbitre-président que si les parties et les deux co-arbitres n’arrivaient pas à se mettre d’accord quant à la nomination de l’arbitre-président dans les 30 jours suivant la nomination du deuxième arbitre.

Selon l’Inde, le Secrétaire général de la CPA n’avait pas respecté la procédure normale de nomination, de deux manières. D’abord, il avait lancé la procédure de liste telle que fixée à l’article 8(2) du règlement de la CNUDCI sans avoir au préalable donné aux parties la possibilité de se mettre d’accord sur la nomination de l’arbitre-président, tel que visé à l’article 96(11) de l’APEG. Ensuite, il avait poursuivi la procédure de liste sans avoir EU confirmation de la nomination du second arbitre. L’Inde arguait que cela était contraire à l’article 9 du règlement de la CNUDCI puisque celui-ci exige implicitement la confirmation de la nomination du second arbitre avant le lancement de toute procédure de nomination de l’arbitre-président.

Le tribunal rejeta l’argument de l’Inde et affirma qu’il avait été correctement établi. Il remarqua que l’article 96(5) APEG et l’article 1(1) du règlement de la CNUDCI envisageaient la possibilité que la procédure de nomination prévue par l’APEG ait la préséance sur la procédure contradictoire de nomination contenue dans le règlement de la CNUDCI.

Le tribunal remarqua que l’article 96(11) APEG indique que les parties doivent nommer leur arbitre respectif et nommer conjointement l’arbitre-président dans les 60 jours suivants la date de présentation du différend à l’arbitrage. L’une ou l’autre des parties peut demander l’aide de l’autorité de nomination à l’expiration du délai de 60 jours. Aussi, l’article 96(11) ne prévoyait pas un calendrier distinct ou différend pour la nomination de l’arbitre-président.

Le tribunal nota également que l’Inde n’avait pas respecté le délai de 60 jours pour nommer son propre arbitre et que les parties ne s’étaient pas mises d’accord sur le nom de l’arbitre-président, après quoi le Secrétaire-général de la CPA était habilité à agir à la demande de Nissan pour nommer les arbitres qui n’avaient pas été nommé par les parties.

Le tribunal affirma que le Secrétaire-général de la CPA avait agi conformément à la procédure de l’APEG en travaillant conjointement à la nomination du second arbitre et en utilisant la procédure de liste pour déterminer les candidats mutuellement acceptables pour le poste d’arbitre-président. Il pris note de la décision du Secrétaire-général de reporter la nomination définitive de l’arbitre-président jusqu’à la nomination formelle du second arbitre.

Le tribunal conclut qu’il n’était pas nécessaire que le Secrétaire-général suspende la procédure de liste avant la nomination du second arbitre puisque son pouvoir de nomination de l’arbitre-président au titre de l’article 96(11) était indépendant de son pouvoir de nomination du second arbitre au titre de la même disposition.

Les procédures nationales en cours lancées par Nissan n’affectent pas la compétence du tribunal

L’Inde arguait également que Nissan ne pouvait poursuivre cet arbitrage au titre de l’article 96(6) APEG car l’entreprise avait lancé une procédure auprès d’une cour nationale et ne l’avait pas retiré dans les 30 jours suivants le dépôt de la demande du présent arbitrage.

Le tribunal rejeta l’objection de l’Inde compte tenu du libellé clair de l’article 96(6) APEG.

Il interpréta la portée de l’article 96(6) comme interdisant uniquement les procédures nationales lancées par un « investisseur au différend » tel que défini à l’article 96(2) APEG aux fins du règlement d’un « différend relatif à l’investissement ». Il remarqua que l’APEG définit un « différend relatif à l’investissement » comme un différend portant sur une perte ou des dommages allégués découlant d’une violation de l’APEG, et n’inclut pas tous les différends découlant de faits similaires ou impliquant des mesures motivées par des préoccupations politiques similaires.

Selon le tribunal, le fait que les procédures nationales portaient peut-être sur certains faits recoupant les recours de Nissan au titre de l’APEG ne changeait en rien son analyse du texte clair de l’article 96(6). Il mit également en garde contre les tribunaux cherchant à passer outre les choix rédactionnels des parties et à assumer ce sur quoi les parties ne s’étaient pas engagées dans les dispositions du traité.

Au final, le tribunal conclut que le lancement par Nissan d’une procédure nationale n’était pas contraire à l’article 96(6) puisque cette procédure ne portait pas sur une violation alléguée de l’APEG, mais contestait la constitutionnalité des amendements apportés par le GoTN à sa législation sur la Taxe sur la valeur ajoutée.

Les recours de Nissan ne sont pas fondamentalement de nature contractuelle

Le tribunal examina ensuite l’objection de l’Inde selon laquelle les recours de Nissan étaient fondamentalement de nature contractuelle au titre du protocole. Selon l’Inde, la clause de règlement des différends du protocole exige que les différends au titre du protocole soient présentés à un tribunal arbitral national, à l’exclusion de toute autre enceinte pour le règlement de ces différends. Elle arguait, par ailleurs, que même si le tribunal acceptait sa compétence sur le recours TJE, le recours fondé sur la clause parapluie restait malgré tout irrecevable puisque la clause parapluie exige d’importer dans le TBI toutes les obligations des parties au titre du protocole, y compris l’obligation de respecter sa clause de règlement des différends. Selon l’Inde, Nissan ne pouvait approuver et réprouver s’agissant du même contrat.

Le tribunal rejeta l’objection de l’Inde. Il affirma d’abord qu’il n’était pas nécessaire que Nissan démontre que, compte tenu des faits tels que présentés, elle aurait sans aucun doute obtenu gain de cause sur le fond, mais seulement que les faits présentés impliquaient une question portant sur le traité que le tribunal devait trancher. Selon le tribunal, cette formulation était conforme au traitement des questions préliminaires de compétence formulé par la Juge Rosalyn Higgins de la CIJ dans son avis sur l’affaire portant sur les plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. États-Unis d’Amérique)[1]. Le tribunal conclut que les faits présentés par Nissan satisfaisaient cette norme.

Le tribunal examina ensuite les effets de la clause de règlement des différends du protocole. Il affirma qu’il se concentrerait sur le contenu de l’accord d’arbitrage pertinent, plutôt que sur le fait qu’il avait été conclu avec le GoTN au lieu de l’Inde.

Le tribunal remarqua que la clause de règlement des différends du protocole imposait le règlement exclusif des types de différends couverts à l’arbitrage national. Toutefois, il conclut au final que cette clause n’empêchait pas le recours à l’arbitrage au titre de l’APEG. Il remarqua que les obligations découlant des traités internationaux et le droit de les faire appliquer par le biais des procédures fixées dans ces traités ont, dans l’ordre juridique international, une place différente des droits découlant des lois nationales. Selon lui, il n’existait pas de preuve claire ou formelle suggérant que Nissan avait renoncé à ses droits au titre de l’APEG en acceptant la clause de règlement des différends du protocole.

Le tribunal rejeta également l’objection alternative de l’Inde portant sur la clause parapluie, et affirma que le texte du traité ne suggérait pas l’existence d’une telle exception en faveur des clauses d’élection de for des contrats signés par les gouvernements provinciaux.

Les recours de Nissan n’étaient pas prescrits

L’Inde arguait également que le tribunal n’avait pas compétence puisque Nissan n’avait pas présenté ses recours avant l’expiration du délai de prescription de trois ans imposé par l’article 96(9) APEG. Nissan contra que différents délais de prescription s’appliquaient à ses recours TJE et fondés sur la clause parapluie, et donc qu’il était clair qu’aucun de ses recours n’était prescrit.

Le tribunal rejeta l’objection de l’Inde. Il accepta les faits présentés par Nissan, mais seulement aux fins d’examiner cette objection, et conclut que les recours de Nissan n’étaient pas prescrits.

Report de l’examen des mesures fiscales

L’Inde arguait également que les recours de Nissan portaient sur des « mesures fiscales », qui étaient exclues de la compétence du tribunal en vertu de l’article 10(1) APEG. Le tribunal reporta toutefois l’examen de cette objection, considérant qu’il ne disposait pas de suffisamment d’informations pour trancher cette question à l’étape préliminaire.

(Note de l’éditeur : par la suite, Nissan a retiré ses recours au titre de l’APEG, après avoir atteint un accord confidentiel de règlement avec le GoTN en mai 2020[2]).

Remarques: le tribunal était composé de Jean E. Kalicki (présidente nommée par la CPA, des États-Unis), de Kaj Hobér (nommé par la demanderesse, de Suède) et de Jagdish Singh Khehar (nommé par le défendeur, de l’Inde). La décision est disponible sur https://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw10875.pdf. Les parties ont conclu un accord de règlement de ce différend et la procédure a été close.

Sarthak Malhotra est un avocat indien basé à New Delhi, en Inde.


Notes

[1] https://www.icj-cij.org/fr/affaire/90

[2] Shah, A & Varadhan, S. (2020, 28 mai). Reuters https://www.reuters.com/article/us-nissan-india-arbitration-exclusive/exclusive-nissan-settles-dispute-with-indian-state-over-unpaid-dues-sources-idUSKBN2342AR