Le traité sur l’investissement durable au service de l’atténuation et de l’adaptation au changement climatique : un modèle pour orienter le droit international vers les investissements dans les énergies renouvelables et la transition vers une économie faible en carbone

La plupart des traités d’investissement ne font pas de distinction entre les investissements qui contribuent au développement durable, tel que les projets d’énergie renouvelable, et ceux qui n’y contribuent pas. Toutefois, compte tenu des préoccupations croissantes liées au changement climatique, et du récent Accord de Paris, les États sont incités à revoir la conception du droit international de l’investissement dans le but d’encourager les investissements dans les énergies renouvelables et de faciliter la transition vers une économie faible en carbone.

Dans le présent article, j’analyse le Traité sur l’investissement durable au service de l’atténuation et de l’adaptation au changement climatique (TID), vainqueur du prix du Stockholm Treaty Lab. Je présente d’abord le modèle du TID, que les États pourraient adopter pour favoriser l’investissement international dans la transition de systèmes énergétiques intensifs en carbone, vers des systèmes faibles en carbone. J’aborde ensuite certaines des difficultés liées à la mise en œuvre du modèle du TID, et propose quelques pistes d’amélioration. Enfin, j’analyse comment l’on peut utiliser le TID pour améliorer les Traités bilatéraux d’investissement (TBI) actuels et futurs.

1. Commentaire critique du TID comme modèle de TBI pour les énergies renouvelables

Le TID avance trois objectifs principaux : reléguer « l’investissement non durable » ; promouvoir « l’investissement durable » ; et veiller à une transition équitable vers des économies et des sociétés durables qui permettent aux signataires de se conformer aux objectifs fixés dans l’Accord de Paris (art. 1(2))[1].

Le TID permet à chaque État partie de choisir les secteurs, sous-secteurs ou activités qu’il considère comme étant éligibles aux « investissements durables » en les indiquant dans une liste en annexe I. De la même manière, chaque État partie dressera la liste des secteurs, sous-secteurs ou activités de « l’investissement non durable » aux fins du TID, en annexe II. Ainsi, chaque État partie peut adapter les définitions des investissements « durables » et « non durables » à la capacité actuelle de son économie et de son marché de l’énergie.

Le TID cherche à reléguer les investissements non durables en leur reniant la protection offerte par le traité[2] ; il interdit l’établissement de nouveaux investissements non durables et restreint l’expansion des investissements non durables existants. Il va même jusqu’à encourager la discrimination entre les investissements durables et non durables dans le but d’éliminer complètement ces derniers. Par ailleurs, il impose à tous les investissements des obligations visant à fixer des normes de performance environnementale élevées. Ces obligations incluent la responsabilité sociale des entreprises, la lutte contre la corruption et la transparence, le respect du droit international et national général, ainsi que des normes environnementales, des droits humains et du travail, parmi tant d’autres.

D’autre part, le TID accorde les protections du traité aux investissements définis comme durables, tout en s’éloignant des protections classiques offertes aux investisseurs au titre des TBI traditionnels[3]. Ses définitions de l’expropriation, de la non-discrimination et de la norme de traitement sont très précises afin d’éviter les très larges interprétations que les tribunaux arbitraux ont rendu par le passé. Il retire expressément les normes TJE, de la protection et la sécurité intégrales, des attentes légitimes et de l’expropriation indirecte, ainsi que les droits de procédure, pour les investissements non durables (art. 3(3) et (4)).

Le TID contient également des mesures encourageant les États à protéger l’environnement. Il offre des voies de recours aux citoyens qui souhaitent protester contre les États, les investisseurs ou les investissements qui ne respecteraient pas leurs obligations au titre du TID. Les États ont l’obligation d’appliquer les accords internationaux relatif à l’environnement existants, et de préparer l’abandon progressif du subventionnement des combustibles fossiles et d’autres mesures incitatives aux investissements non durables[4].

Pour remplir son objectif de promotion des investissements durables, le TID accorde à ces derniers une position privilégiée puisqu’ils peuvent bénéficier de droits et de normes de procédure. Il impose également aux États l’obligation d’encourager les investissements durables en leur accordant un traitement non discriminatoire dans des circonstances similaires.

Le TID reconnaît que son cadre est un exemple parmi tant d’autres dans le droit public international. Il cherche donc à harmoniser les régimes commerciaux et d’investissement internationaux de ses États parties en spécifiant que les parties au TID s’engagent à ne pas contester, dans le cadre de l’OMC, d’éventuelles subventions accordées aux investissements durables, dans le but de tendre vers l’harmonisation[5].

Le TID réglemente également la transition équitable vers une société durable en mettant l’accent sur la protection des droits des travailleurs, puisque la transition vers une économie faible en carbone perturbera nécessairement le marché du travail. Les citoyens disposent de droits de procédure leur permettant de contester les actions de l’État si celles-ci violent les obligations du pays au titre du traité, leur donnant effectivement voix au chapitre[6].

Le TID rééquilibre les relations entre États et investisseurs en imposant à ces derniers des obligations significatives, et en donnant aux premiers plus de droits. En effet, le traité étend le droit de lancer un arbitrage aux États, conférant ainsi un caractère bilatéral au règlement des différends. Il établit également un comité conjoint chargé de contribuer à l’interprétation et à l’application du traité, ainsi qu’un point de contact national pour aider au développement des relations entre investisseurs et États hôtes. Il créé également ses propres tribunal et organe d’appel, dans le but de donner naissance à une jurisprudence cohérente sur l’interprétation du TID.

Le TID propose une refonte radicale des modèles de TBI traditionnels, et vise à répondre aux principales critiques que connait le régime. Sa stratégie consiste donc à proposer de nouvelles normes de traité qui ne bénéficient qu’aux seuls investissements durables, et de nouveaux tribunaux chargés de les interpréter et de les appliquer de manière cohérente. Point important, les auteurs du TID sont conscients que ce modèle s’éloigne radicalement du régime actuel de l’investissement : le TDI propose donc des dispositions portant sur une transition vers les objectifs ambitieux qu’il assigne aux États hôtes, et tient compte du niveau de développement de chaque pays.

2. Les difficultés de mise en œuvre du TID et les pistes d’amélioration

Le modèle du TID vise les dirigeants désireux d’engager des réformes drastiques dans le but de répondre à la crise climatique. En dépit d’efforts visant à faciliter son adoption, comme par exemple le fait d’offrir aux États la possibilité de désigner, au fil du temps, les industries « non durables », les effets du TID pourraient être limités si seule une poignée de pays souhaite l’adopter comme modèle. Plusieurs facteurs pourraient en effet compliquer son adoption et, au final, l’ampleur de ses effets.

Compte tenu que le TID propose un régime plus équilibré entre États hôtes et investisseurs, ces derniers pourraient se lancer dans le « treaty-shopping » pour obtenir les protections d’anciens traités plus avantageux. Les pays devront donc réformer complètement l’ensemble de leurs TBI avant que le TID ne porte réellement ses fruits. Par ailleurs, les effets du TID pourraient être affaiblis par les contrats d’investissement existants donnant accès au RDIE au titre du régime traditionnel de l’investissement. Il semble donc que le principale obstacle au TID, et à la réalisation de tous ses effets, soit le temps nécessaire à la réforme des traités d’ancienne génération et à l’expiration des contrats existants.

Dans la réalité, le déséquilibre dans le pouvoir relatif de négociation des éventuels signataires du traité constitue un autre obstacle potentiel à l’adoption généralisée du TID. Les économies en développement ou plus petites pourraient avoir du mal à imposer un tel changement radical à des partenaires au traité plus importants ou plus puissants. Le succès du TID dépend donc de la volonté de pays influents tournés vers l’avenir d’adopter et de promouvoir ce modèle de protection des investissements.

Il se pourrait par ailleurs que certains États ne disposent pas de l’expertise ou des ressources économiques nécessaires à la mise en œuvre des obligations institutionnelles découlant du TID. Le traité anticipe cette éventuelle difficulté liée à l’établissement de son comité conjoint, et suggère des compositions alternatives au cas où des pays en développement seraient impliqués (art. 10(1)). Toutefois, les pays en développement seraient malgré tout tenus de nommer des personnes au sein de ses agences d’État représentant divers domaines tels que l’énergie, l’environnement et le changement climatique, entre autres, et de créer un point de contact national. Le TID aborde la question de la capacité des États à remplir leurs obligations au titre du TID dans d’autres articles, en prévoyant que « L’État partie A apportera une assistance technique à l’État partie B dans la mise en œuvre du présent article » (par exemple l’art. 6(3)(4) sur l’obligation de transparence de mettre les lois et réglementations des États parties à la disposition du public). Les articles ne contiennent toutefois pas de dispositions définissant les institutions du TID ; il serait donc bon d’inclure des dispositions similaires sur les obligations institutionnelles au titre du TID, afin d’alléger la tâche des pays en développement.

Le caractère révolutionnaire du TID risque donc bien de freiner sa généralisation. Seuls les États axés sur les énergies renouvelables, désireux de tester de nouveaux modèles d’investissement, suffisamment influents pour imposer les changements profonds du TID à d’autres pays, et suffisamment développés pour établir de nouvelles institutions potentiellement coûteuses, seront en mesure d’adopter le TID. De plus, le plein potentiel du TID dépend d’une large adoption. Il devra donc certainement attendre pour que son influence se fasse pleinement sentir dans le régime de l’investissement.

3. Le TID peut inspirer la prochaine génération de TBI

Le TID peut être utilisé pour améliorer la prochaine génération de TBI, en ce qu’il illustre une approche complète des problèmes actuels de procédure et de fond que connait le régime des traités internationaux d’investissement. Bon nombre des TBI de nouvelle génération tentent eux aussi de régler ces mêmes problèmes, mais de manière plus fragmentée. Par exemple, l’AECG adopte une stratégie similaire à celle du TID pour répondre aux problèmes procéduraux du régime, en ayant recours à des membres présélectionnés pour siéger à ses propres tribunaux ad hoc et d’appel. Mais ses dispositions de fond, telles que les clauses NPF et du traitement national, sont très larges et pourraient être améliorées en adoptant l’approche du TID qui consiste à définir plus précisément certaines normes, telles que le traitement national, ou en excluant tout bonnement la clause NPF. Le modèle de TBI indien et le TBI Maroc-Nigeria tentent tous deux de régler les problèmes de fond en redéfinissant les normes du traité et en employant des manières innovantes pour équilibrer les droits et les obligations des investisseurs et des États. Mais le modèle de TBI indien pourrait gagner à mentionner explicitement les objectifs de développement durable et à créer un tribunal d’appel dans le but d’harmoniser les décisions arbitrales. De même, le TBI Maroc-Nigeria serait grandement amélioré par la création de son propre tribunal arbitral ad hoc et mécanisme d’appel. En général, tous ces traités susmentionnés pourraient encourager la discrimination entre les investissements durables et non durables pour cibler le développement d’investissements dans les énergies renouvelables, en offrant aux premiers plus de protection qu’aux seconds.

Le TID pourrait donc servir de guide à de nouvelles générations de TBI, puisqu’il offre une stratégie cohérente pour répondre aux critiques que connaît le régime international des traités d’investissement, et promeut l’investissement durable de manière ciblée.

4. Conclusion

Le TID fait face à des défis, compte tenu de l’infrastructure persistante de l’ancien régime d’investissement et des difficultés liées à sa mise en œuvre. Malgré tout, il répond à la plupart des critiques au cœur du tollé contre les traités d’ancienne génération et leurs mécanismes RDIE. Les États désireux de dégager une plus grande marge de manœuvre politique dans le but de promouvoir l’investissement durable pourraient se tourner vers le TID, qui constitue une approche avant-gardiste de la protection des investissements, et propose de nombreuses améliorations par rapport aux traités d’investissement existants.


Auteur

Sofia de Murard est une avocate de New York, travaillant actuellement dans l’arbitrage international à Paris. Elle détient une licence en études juridiques internationales de l’Université de New York, un master en droit privé international de l’Université de la Sorbonne, ainsi que deux licences en droit français et en droit britannique de l’Université de la Sorbonne et du King’s College de Londres, respectivement.


Notes

[1] Tout au long du présent article, les références entre parenthèses à des articles renvoient à : The Creative Disrupters. (2018). Treaty on sustainable investment for climate change mitigation and adaptation [TSI] (Traité sur l’investissement durable au service de l’atténuation et de l’adaptation au changement climatique [TDI]). http://stockholmtreatylab.org/wp-content/uploads/2018/07/Treaty-on-Sustainable-Investment-for-Climate-Change-Mitigation-and-Adaptation-1.pdf. Voir également https://SDG.IISD.org/commentary/guest-articles/tackling-climate-change-through-sustainable-investment-all-in-a-treaty

[2] The Creative Disrupters. (2018). Treaty on sustainable investment for climate change mitigation and adaptation: Argumentation demonstrating how the model treaty meets the assessment criteria, p. 4 [The Creative Disrupters’ Argumentation]. http://stockholmtreatylab.org/wp-content/uploads/2018/07/The-Creative-Disrupters-Argumentation.pdf

[3] The Creative Disrupters’ Argumentation, supra note 2, pp. 6–7.

[4] The Creative Disrupters’ Argumentation, supra note 2, pp. 7–8.

[5] The Creative Disrupters’ Argumentation, supra note 2, pp. 10–11.

[6] The Creative Disrupters’ Argumentation, supra note 2, pp. 15–16.