Un tribunal détermine que le Pakistan a violé ses obligations sur le TJE, l’expropriation et la non-entrave dans le contexte d’une coentreprise minière avec l’investisseur australien Tethyan Copper Company

Tethyan Copper Company Pty Limited c. la République islamique du Pakistan, Affaire CIRDI ARB/12/1

Un tribunal du CIRDI a ordonné au Pakistan de payer à Tethyan Copper Company (Tethyan) plus de 5,9 milliards USD à titre d’indemnisation, d’intérêts et de frais juridiques, pour plusieurs violations du TBI Australie-Pakistan.

Le contexte et les recours

Tethyan, une coentreprise enregistrée en Australie, établit une filiale au Pakistan en 2000. En 2006, par le biais d’un accord de novation, elle se substitua à BHP en tant que partie à l’Accord de coentreprise Chagai Hills Exploration (ACCHE) conclu avec la province pakistanaise du Baloutchistan, obtenant ainsi les droits de BHP à 75 pour cent de la coentreprise, et le droit d’explorer et de développer tout dépôt d’or ou de cuivre qu’elle trouverait.

Après l’expansion des activités d’exploration et la découverte d’importants dépôts d’or et de cuivre, Tethyan déposa une demande de licence minière en 2011, mais le Baloutchistan la rejeta. La filiale de Tethyan lança une procédure d’appel administrative, que le Baloutchistan rejeta. Suite à une procédure judiciaire nationale, la Cour suprême du Pakistan détermina en 2013 que l’ACCHE était nul, car le Baloutchistan avait commis un abus de pouvoir en le signant, et invalide, car contraire à la politique publique. Tethyan lança par ailleurs un arbitrage auprès de la CCI au titre de l’ACCHE et obtint une décision préliminaire favorable en 2014.

En novembre 2011, Tethyan lança un arbitrage contre le Pakistan auprès du CIRDI, arguant que le refus d’accorder la licence minière violait les clauses sur le TJE, l’expropriation et la non-entrave du TBI.

Le tribunal rejette l’objection fondée sur la corruption pour absence de preuves

En juin 2015, le Pakistan présenta des preuves d’actes de corruption commis par Tethyan, ainsi que des objections à la compétence et à la recevabilité. Dans une décision de mars 2017, le tribunal accepta sa compétence, rejetant les arguments de Tethyan selon lesquels ces preuves résultaient de l’interception de communications entre Tethyan et ses avocats. Il rejeta toutefois l’objection pour absence de preuves.

À l’époque, le tribunal avait déjà rédigé la décision quant au fond ; il s’écarta donc du protocole habituel du CIRDI et envoya aux parties un projet de décision pour commentaires. La décision sur la compétence et la responsabilité fut publiée le 10 novembre 2017.

La décision sur la compétence et la responsabilité

Le tribunal détermina en premier lieu que Tethyan disposait d’un investissement valide au titre du TBI, puisqu’elle avait le contrôle de sa filiale, et de sa part de 75 pour cent dans la coentreprise. Le Pakistan arguait que, puisque la Cour suprême avait déclaré l’ACCHE nul, l’investissement ne respectait pas le droit pakistanais et n’était donc pas couvert par le traité. Le tribunal rejeta toutefois cet argument, estimant que le traité couvrait non seulement les investissements légalement établis, mais également les investissements acceptés par le pays d’accueil au moment de leur établissement. Il remarqua que le Pakistan n’avait fait mention d’une éventuelle invalidité de l’ACCHE lors de la négociation de l’accord de novation de 2006, et que la décision de la Cour suprême était fondée sur la violation par le Baloutchistan de ses propres lois internes, et non pas sur les actions de Tethyan.

Le tribunal refusa également d’appliquer le droit national au différend, estimant que seuls les tribunaux ad hoc étaient tenus d’appliquer le droit national, tandis que les tribunaux du CIRDI étaient tenus d’appliquer les règles du droit international coutumier. Sur la base de ces règles, le tribunal conclut que les actions du Baloutchistan étaient attribuables au Pakistan.

Violation du TJE : le déni de la licence minière a frustré les attentes légitimes de Tethyan, et était une procédure irrégulière

Le tribunal détermina que la clause TJE du traité est une norme autonome puisqu’elle ne mentionne pas le droit international coutumier. Selon le tribunal, « un principe dominant de la norme TJE est la protection des attentes légitimes de l’investisseur, fondées sur l’investissement » (para. 811).

Il conclut que Tethyan avait une attente légitime d’obtenir une licence minière compte tenu des garanties données par le Pakistan dans l’ACCHE et dans le cadre réglementaire du pays, ainsi que des assurances directes données par des hauts fonctionnaires. Selon le tribunal, même si le contrat avait, au bout du compte, été déclaré nul, il avait donné le droit à la licence minière au moment de sa conclusion ; il nota en outre que « jusqu’en 2011, toutes les parties impliquées dans la conclusion et la réalisation de l’ACCHE avaient agi en supposant qu’il était valide » (para. 905). Il considérait que les autorités pakistanaises n’avaient pas le pouvoir requis pour évaluer les critères de la licence et rejeter l’attente de Tethyan d’obtenir une licence minière, et que les hauts fonctionnaires, y compris le président et le premier ministre du Pakistan, avaient donné suffisamment de garanties à Tethyan pour justifier une attente légitime.

Le tribunal rejeta les arguments du Pakistan selon lesquels le déni de la licence était valablement motivée et conclut que ce déni violait les attentes légitimes de Tethyan. Il trouva des preuves indiquant que le Pakistan prévoyait d’établir sa propre mine, et rejeta l’affirmation du Pakistan que les plans concernant le site de Reko Diq portaient sur un projet différent de fonderie.

Le tribunal rejeta par ailleurs les motifs mis en avant par le Pakistan pour refuser l’octroi de la licence minière. D’abord, il estima que le fait de demander à un candidat de détenir 100 pour cent des parts de la licence d’exploration violait les obligations de bonne foi au titre des coentreprises. Ensuite, considérant que l’ACCHE n’incluait pas d’obligations pour Tethyan d’établir une fonderie et une raffinerie de minerais au Pakistan, il conclut que la non-réalisation de ces activités n’était pas un motif légitime de rejet de la demande de licence. Finalement, il remarqua que, dans l’industrie minière, il arrivait que des projets miniers ne soient pas économiquement viables, et que cela ne constituait pas une violation du droit pakistanais.

Le tribunal détermina également que la procédure d’examen de la demande de licence était irrégulière, puisque les motifs de la décision étaient insuffisants, et que des demandes de précisions et de rencontre avec Tethyan avaient été rejetées. Il refusa d’admettre les nouveaux motifs mis en avant au cours de l’arbitrage considérant que cela violerait le droit de Tethyan d’être entendu, et que dans tous les cas, ils ne prouvaient pas la cause du Pakistan.

L’expropriation et la non-entrave

Le tribunal détermina que le déni de la licence équivalait à une expropriation, puisqu’il privait l’investissement d’une part substantielle de sa valeur. Il conclut que cette expropriation indirecte violait le TBI, puisqu’il s’agissait d’une mesure discriminatoire, sans objectif public convaincant ou indemnisation. Le tribunal détermina également que le déni de la licence violait aussi l’obligation de non-entrave au titre du TBI, puisqu’il niait à Tethyan l’utilisation de son investissement.

Le tribunal accepte sa compétence sur trois demandes reconventionnelles du Pakistan, mais les rejette sur le fond

Le tribunal accepta sa compétence sur les demandes reconventionnelles du Pakistan, fondées sur les violations par Tethyan de l’ACCHE, du droit national, et du TBI, estimant qu’elles étaient étroitement liées au différend et relevaient donc du consentement des parties à l’arbitrage au titre du TBI. Il conclut toutefois que le Pakistan ne pouvait présenter des demandes reconventionnelles au titre du contrat et du droit national puisque le Pakistan n’était pas partie au contrat et que les lois internes en question n’avaient pas été promulguées par le Pakistan, mais par le Baloutchistan. Il rejeta la demande reconventionnelle fondée sur le TBI pour les mêmes raisons que celles présentées à l’étape de la compétence : le TBI n’exigeait pas que l’investissement soit légal, mais simplement qu’il ait été admis au Pakistan.

La décision sur les dommages et les coûts

Le tribunal décida d’utiliser la méthode de l’actualisation des flux de trésorerie pour évaluer la valeur de marché de l’investissement, considérant qu’elle présentait certains avantages en l’espèce, et qu’il n’existait pas d’incertitudes fondamentales la rendant inappropriée. Citant l’affaire Crystallex c. Venezuela et d’autres, le tribunal nota que l’évaluation fondée cette méthode était utilisée par les groupements miniers, tels que l’Institut canadien des mines, de la métallurgie et du pétrole, rejetant ainsi l’argument du Pakistan selon lequel ce n’était pas la pratique du secteur minier.

Le tribunal réduisit le montant de l’indemnisation, considérant que le Pakistan aurait probablement offert à Tethyan un rabais fiscal pendant 15 ans, et aurait pu refuser de renouveler la licence, et après avoir découvert que certaines des évaluations de risques menées par Tethyan étaient insuffisantes. Il en déduit également les frais que Tethyan aurait dû payer pour réparer les dégâts sociaux et environnementaux. Le tribunal rejeta l’argument du Pakistan selon lequel l’absence de planification par Tethyan de la remise en état sociale et environnementale dévaluait davantage encore l’investissement puisqu’il pourrait faire face à une opposition sociale. Il remarqua au contraire que même en l’absence de planification, les faibles normes du Pakistan en la matière auraient certainement été respectées. Il rejeta également la demande du Pakistan de réduire le montant de l’indemnisation fondée sur le fait que l’obtention des titres fonciers allait entrainer des retards et l’opposition de la communauté, considérant que ces risques étaient peu probables et qu’ils avaient été pris en compte.

Rejetant l’argument du Pakistan selon lesquels les intérêts composés étaient illégaux au titre du droit national, le tribunal fixa un taux d’intérêt composé conforme aux prescriptions des autorités juridiques internationales. Il calcula une indemnisation de 4,087 milliards USD, plus intérêts, en plus de 62 millions USD pour les frais juridiques des deux parties, compte tenu que le Pakistan n’avait pas su se défendre, ni soutenir ses allégations de corruptions et ses demandes reconventionnelles. Le tribunal considérait que l’évolution du projet dans le temps justifiait une indemnisation d’un montant bien plus élevé que l’investissement original de Tethyan de 150 millions USD.

Remarques : le tribunal était composé de Klaus Sachs (président nommé par les parties, de nationalité allemande), de Stanimir Alexandrov (nommé par le demandeur, de nationalité bulgare) et de Leonard Hoffmann (nommé par le défendeur, de nationalité britannique). La décision sur la compétence et la responsabilité du 10 novembre 2017 est disponible sur https://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw10738.pdf; la décision sur les dommages et les coûts du 12 juillet 2019 est disponible sur https://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw10737.pdf

Sofia de Murard est diplômée de l’Université de New York, et dans le cadre du programme Finance et développement international (IFD), actuellement en stage auprès du Programme de l’IISD sur l’investissement pour le développement durable.