Le Venezuela est condamné à verser 1,202 milliards USD plus intérêts à l’entreprise minière canadienne Crystallex pour violation du TJE et expropriation

Crystallex International Corporation c. la République bolivarienne du Venezuela, Affaire CIRDI n° ARB(AF)/11/2

Dans une sentence de 273 pages rendue le 4 avril 2016, un tribunal du mécanisme supplémentaire du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) condamnait le Venezuela à verser 1,202 milliards USD plus intérêts à l’entreprise minière canadienne Crystallex International Corporation (Crystallex). Le tribunal considéra que le refus d’accorder un permis environnemental à Crystallex et la résiliation de son contrat minier, entre autres actions du Venezuela, constituaient un programme politique national de haut-niveau visant à nationaliser une mine d’or sans indemnisation.

Le contexte et les recours

Le 17 septembre 2002, Crystallex et Corporación Venezolana de Guayana (CVG), une entreprise d’État vénézuélienne, conclurent un contrat d’exploitation minière (CEM) pour le développement de concessions minières dans la région de Las Cristinas. Située au cœur de la réserve forestière nationale d’Imataca au Venezuela, cette région abriterait d’importants gisements d’or.

Entre 2003 et 2008, Crystallex demanda les permis nécessaires. Afin de répondre à certaines préoccupations du Venezuela, Crystallex dû présenter une étude d’impact environnemental révisée. Plus tard, dans un courrier du 16 mai 2007, le ministère de l’Environnement exigea de Crystallex qu’elle verse une caution pour « garantir la mise en œuvre des mesures proposées dans le document présenté aux fins de l’évaluation d’impact environnemental du projet, qui a été analysé et approuvé par ce bureau ». Le courrier affirmait ensuite qu’une fois la caution versée, « le permis environnemental […] serait délivré » (para. 561).

Bien que Crystallex ait versé la caution et payé les taxes environnementales, le ministère de l’Environnement refusa le permis environnemental dans un courrier daté du 14 avril 2008, pour des préoccupations liées à l’impact du projet sur l’environnement et les peuples autochtones de la réserve d’Imataca. Dans plusieurs déclarations politiques entre 2008 et 2010, le président de l’époque Hugo Chávez et des représentants de haut-niveau avaient exprimé l’intention du Venezuela de nationaliser les gisements d’or du pays, y compris Las Cristinas.

Crystallex notifia le ministère des Mines de l’existence d’un différend au titre du traité dès novembre 2008. Toutefois, ce n’est que le 16 février 2011 – après que CVG ait officiellement résilié le CEM le 3 février 2011 – que Crystallex a lancé l’arbitrage contre le Venezuela, pour expropriation de son investissement et non-respect du traitement juste et équitable (TJE) et de la protection et la sécurité intégrales, en violation du traité bilatéral d’investissement (TBI) Canada-Venezuela. Crystallex réclamait des dommages d’un montant de 3,16 milliards USD plus intérêts.

Le Venezuela a frustré les attentes légitimes de Crystallex, entre autres violations du TJE

Le tribunal s’est penché sur la jurisprudence – notamment les affaires Rumeli c. le Kazakhstan, Lemire c. l’Ukraine et Bayindir c. le Pakistan – pour déterminer le contenu de la norme TJE contenue dans le traité, et conclut qu’elle couvre un ensemble d’éléments communs pertinents en l’espèce : « la protection des attentes légitimes, la protection contre un traitement arbitraire et discriminatoire, la transparence et la cohérence » (para. 543). Il ajouta que la conduite de l’État ne doit pas nécessairement être manifeste ou relever de la mauvaise foi pour que la norme soit violée.

Selon le tribunal, la plupart des attentes supposées de Crystallex présentaient une « circularité argumentaire » (para. 55) ou étaient « trop générales et imprécises » (para. 553) pour établir la frustration des attentes légitimes, et donc la violation du TJE. Cependant, en examinant le courrier du 16 mai 2007 de plus près, le tribunal considéra que celui-ci indiquait clairement que le Venezuela avait terminé son analyse du document et qu’il délivrerait le permis une fois que la caution aurait été versée, et donc que le courrier créait des attentes légitimes sur lesquelles Crystallex s’est fondée en versant la caution et en payant les taxes environnementales.

Chose importante, le tribunal ne fut pas d’accord avec la suggestion de Crystallex selon laquelle elle avait droit au permis environnemental. « Du point de vue du droit international, un État ne peut être considéré comme tenu d’octroyer un permis d’affecter les ressources naturelles, et il conserve toujours la liberté de le refuser s’il le considère approprié » (para. 581) affirma le tribunal.

Si le tribunal considéra que jusqu’au courrier du 16 mai 2007, « l’investisseur a[vait] été traité de manière claire » (para. 588), il conclut que le courrier refusant le permis daté du 14 avril 2008 contenait des éléments arbitraires et reflétait un manque de transparence et de cohérence. Le tribunal affirma par exemple que la référence du courrier au réchauffement climatique était « particulièrement inquiétante », et nota que « le fait de soulever cette préoccupation pour la première fois dans une tentative de justification du refus du permis [était] un exemple manifeste d’une conduite arbitraire et injuste » (para. 592).

Le tribunal s’offusqua également de l’absence de mention de données ou d’études scientifiques sous-tendant le refus, et affirma qu’il ne « comprenait pas comment les centaines de milliers de pages présentées par Crystallex, représentant des années de travail et des millions de dollars, pouvaient être aussi ouvertement ignorées » (para. 597). D’après le tribunal, ces « efforts considérables […] donnaient à Crystallex le droit de voir ses études correctement analysées et évaluées » (para. 597).

Le tribunal conclut que le courrier indiquant le refus du permis était foncièrement insuffisant et frustrait les attentes légitimes de Crystallex découlant du courrier du 16 mai 2007. Il considéra en outre, que le Venezuela avait soumis Crystallex à « des montagnes russes de déclarations contradictoires et incohérentes » (para. 606) avant la résiliation du CEM, violant par là la norme TJE au titre du TBI.

Le recours fondé sur la violation de la protection et la sécurité intégrales est rejeté car il s’agit de la sécurité physique, pas juridique

Crystallex prétendait que le concept de « protection et la sécurité intégrales » recouvrait la sécurité et la stabilité juridiques, tandis que le Venezuela affirmait que la norme se limitait à la sécurité physique. Le tribunal opta pour l’interprétation du Venezuela et fonda sa décision sur une série d’affaires, notamment Saluka c. la République tchèque et Rumeli c. le Kazakhstan. Puisque Crystallex n’avait ni prétendu, ni démontré que le Venezuela avait violé sa sécurité physique, le tribunal rejeta ce recours.

Le tribunal établit une expropriation indirecte dans trois séries d’actions du Venezuela

Compte tenu de la large définition de l’investissement dans le TBI, qui couvre les droits contractuels « de rechercher, de cultiver, d’extraire ou d’exploiter les ressources naturelles » (para. 661), le tribunal conclut que les droits de Crystallex au titre du CEM pouvaient être expropriés.

Trois séries d’actions, considérées conjointement, ont incité le tribunal à établir l’expropriation indirecte : d’abord, le refus d’accorder le permis environnemental et les événements connexes ; ensuite, les déclarations politiques faites par de hautes autorités politiques après le refus du permis, qui démontraient l’intention du Venezuela de nationaliser Las Cristinas et entrainèrent progressivement la réduction de la valeur de l’investissement de Crystallex ; et finalement, la résiliation du CEM.

Le tribunal évalua également le caractère légal de l’expropriation. Il accepta l’argument du Venezuela selon lequel l’expropriation avait été menée aux fins de l’intérêt public, et détermina que Crystallex n’avait pas établi que l’expropriation avait été menée de manière irrégulière ou discriminatoire. Toutefois, compte tenu que le Venezuela n’avait pas offert ni versé d’indemnisation rapide, adéquate et effective, le tribunal conclut que le Venezuela avait exproprié l’investissement de Crystallex en violation du TBI.

Le tribunal utilise la moyenne des résultats de deux méthodes pour déterminer le montant de l’indemnisation

Compte tenu de ses conclusions selon lesquelles le Venezuela avait cumulativement violé la norme TJE et la norme sur l’expropriation du TBI, le tribunal décida d’appliquer la norme de la réparation intégrale du droit international coutumier, et d’utiliser la méthode de la « juste valeur marchande ». Il choisit, comme le Venezuela, la date du 13 avril 2008 – soit un jour avant le refus du permis, considéré par le tribunal comme la première étape de l’expropriation insidieuse – comme la date appropriée pour l’évaluation de l’investissement.

Pour évaluer la juste valeur marchande de l’investissement, le tribunal se demanda d’abord s’il était approprié d’utiliser les approches prévisionnelles suggérées par Crystallex (toutes visant à calculer les gains manqués) ou l’approche rétroactive proposée par le Venezuela (l’approche des coûts, visant à calculer les dépenses de Crystallex dans l’investissement). La synthèse des coûts de Crystallex indiquait des dépenses d’un montant de 644,8 millions USD.

Le tribunal considéra qu’en l’espèce, il était approprié de choisir une méthodologie afin de calculer les gains manqués. Il se tourna vers les Normes et lignes directrices pour l’évaluation de propriétés minières de l’Institut canadien des mines, de la métallurgie et du pétrole pour confirmer son choix de méthode.

Il examina ensuite les quatre méthodes prévisionnelles suggérées par Crystallex. Rejetant les méthodes de la prime par rapport à la valeur active nette qui ne proposait pas de chiffre suffisamment fiable, et de la comparaison des ventes indirectes qui donnait des résultats spéculatifs excessifs, le tribunal accorda au demandeur une indemnisation de 1,202 milliards USD, compte tenu de la moyenne des résultats des méthodes boursière et des multiples de marché. Il lui accorda également des intérêts pré- et post-sentence au taux LIBOR USD sur une moyenne de 6 mois, plus un point, composés sur une année.

Crystallex avait également demandé au tribunal de déclarer que la sentence était nette d’impôts, tant au Venezuela qu’au Canada, mais le tribunal s’y opposa.

Considérant que « chacune des parties a[vait] présenté des arguments valables pour soutenir sa défense respective, et a[vait] agi de manière juste et professionnelle » (para. 959), le tribunal ordonna à chacune des parties de payer ses frais de représentation, et de partager équitablement les coûts du CIRDI.

Remarques : Le tribunal était composé de Laurent Lévy (président, nommé par les parties, de nationalité suisse et brésilienne), de John Y. Gotanda (nommé par le demandeur, de nationalité étasunienne) et de Laurence Boisson de Chazournes (nommée par le défendeur, de nationalité française). La sentence est disponible en anglais sur http://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw7194.pdf et en espagnol sur http://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw7195.pdf.

Martin Dietrich Brauch est conseiller en droit international et travaille au Brésil pour le programme Investissement étranger et développement durable à l’IISD.