Un tribunal du CIRDI estime que la Croatie a violé ses obligations en matière d’expropriation au titre du TBI Autriche-Croatie

Georg Gavrilović et Gavrilović D.O.O. c. la République de Croatie, Affaire CIRDI n° ARB/12/39

Dans une décision du 26 juillet 2018, un tribunal du CIRDI a rendu ses conclusions sur les recours présentés contre la Croatie par Georg Gavrilović, un ressortissant autrichien, et Gavrilović d.o.o., une entreprise enregistrée au titre du droit croate. Le tribunal y affirme l’expropriation directe au titre du TBI Autriche-Croatie, et accorde au demandeur environ 3 millions € à titre d’indemnisation, mais rejette les recours restants.

Les faits et les recours

Lorsque la république communiste de Yougoslavie a été créée après la Seconde Guerre mondiale, l’entreprise de viande de la famille de Georg Gavrilović passa sous un régime de propriété sociale. Entre l’effondrement de la Yougoslavie en 1989 et la guerre d’indépendance croate en 1991, l’entreprise repassa sous propriété privée, comprenant une société de portefeuille et neuf entreprises à responsabilité limitée.

Cinq des neuf entreprises furent placées en faillite. Le tribunal des faillites autorisa la vente de ces cinq entreprises par le biais d’un appel d’offre public, et M. Gavrilović présenta l’unique offre en novembre 1991. Le liquidateur et M. Gavrilović conclurent un accord d’achat, qui prévoyait l’acquisition des cinq entreprises ainsi que de leurs actifs, sans toutefois préciser la nature de ces actifs.

Selon les demandeurs, l’accord d’achat confirmait les droits de M. Gavrilović en tant que propriétaire des cinq entreprises (conjointement appelées Gavrilović d.o.o., à savoir l’autre demandeur de l’arbitrage). Toutefois, la Croatie affirmait que M. Gavrilović avait frauduleusement mis en faillite les entreprises pour pouvoir les racheter.

Défendant la légitimité de l’acquisition, les demandeurs arguaient que la Croatie avait sapé l’investissement de M. Gavrilović, ne l’avait pas protégé ou promu, et l’avait finalement exproprié.

Le tribunal a compétence sur le différend ; les recours sont jugés recevables

La Croatie argua que le tribunal n’avait pas compétence sur les recours puisque le pays n’avait pas consenti à l’arbitrage au regard de l’orchestration par M. Gavrilović de la mise en faillite, en violation du droit croate. Toutefois, le tribunal détermina que c’était en fait le tribunal des faillites – un organe d’État – qui avait orchestré la mise en faillite suite à un quid pro quo lié à l’aide apportée par M. Gavrilović dans la contrebande de devises en soutien de la guerre d’indépendance croate.

La Croatie argua également que l’investissement était devenu illégal, et donc que les recours étaient irrecevables. Le tribunal détermina toutefois que la Croatie n’avait pas démontré les irrégularités alléguées. En outre, le tribunal estima que même si c’était le tribunal commercial régional de Zagreb qui avait compétence sur les différends découlant de l’accord d’achat au titre de delui-ci, la clause parapluie du TBI rendait les recours recevables.

La Croatie viole ses obligations en matière d’expropriation directe

Les demandeurs alléguaient que la Croatie avait exproprié, de manière directe et abusive, la propriété réelle de Gavrilović d.o.o. en indiquant que l’État en était le propriétaire, en violation de l’article 4(1) du TBI. Les terrains avaient été enregistrés par l’État au titre de l’article 362(3) de la loi sur la propriété qui transférait à la Croatie tous les droits de propriété sociale lorsque la propriété de ce terrain n’avait pas encore été déterminée ; toute personne affirmant le contraire avait la charge de la preuve. Le tribunal détermina que cette disposition de la loi sur la propriété était discriminatoire dans la mesure où l’affirmation de sa propriété par la Croatie ne pouvait être renversée sans action supplémentaire de la part des demandeurs, par exemple par le biais des tribunaux nationaux. Aussi, il estima que la Croatie avait utilisé cette disposition de manière expropriatoire.

Les demandeurs arguèrent également que la Croatie avait indirectement exproprié le terrain de Gavrilović d.o.o. en l’empêchant d’en enregistrer son droit de propriété sur ce terrain. Toutefois, le tribunal remarqua que les demandeurs n’avaient jamais tenté d’enregistrer le droit de propriété et ne pouvaient donc alléguer de manière convaincante qu’ils en avaient été empêchés. Le tribunal rejeta également l’argument des demandeurs selon lequel la Croatie avait exproprié les droits contractuels de M. Gavrilović au titre de l’accord d’achat, puisqu’il n’existait pas de droits contractuels pertinents pouvant être expropriés.

Le tribunal rejette le recours au titre du TJE

Le reste de l’analyse du tribunal portait sur les terrains restants et pour lesquels les demandeurs n’avaient pas encore démontré de violation du TBI. Dans son analyse et citant Tecmed c. le Mexique et El Paso c. l’Argentine, le tribunal détermina que la violation des attentes légitimes et raisonnables d’un investisseur pouvait donner lieu à une violation de la norme TJE. Il estima finalement qu’il ne pouvait y avoir d’attentes légitimes vis-à-vis de propriété n’appartenant pas aux demandeurs ou pour laquelle ils n’ont pas de droits contractuels.

Ensuite, le tribunal examina si les demandeurs avait une attente légitime que Gavrilović d.o.o. serait en mesure d’enregistrer son droit de propriété sur les terrains. La Croatie arguait que ni l’accord d’achat (qui ne spécifiait pas quels actifs devaient être vendus avec les entreprises) ni aucun autre document ou relevé ne donnait aux demandeurs d’attente légitimes quant au titre ou à la capacité d’enregistrer les propriétés réclamées.

Finalement, le tribunal détermina que puisque les demandeurs n’avaient pas démontré que la Croatie avait donné des représentations ou garanties selon lesquelles les demandeurs pourraient acquérir les droits de toutes les propriétés réclamées, M. Gavrilović ne pouvait avoir légitimement ou raisonnablement cru qu’il pourrait enregistrer son droit de propriété sur l’ensemble. Cependant, le tribunal estima que M. Gavrilović avait une attente légitime et raisonnable selon laquelle il disposait d’un titre enregistrable sur le terrain qu’il pouvait démontrer la propriété.

Les demandeurs arguèrent que la tentative d’annulation du contrat d’achat par l’État, l’enquête criminelle portant sur les agissements de M. Gavrilović ainsi que la campagne publique contre lui en résultant rendaient très improbable la vente ou la mise en hypothèque des actifs immobiliers en l’absence d’autres documents fournis par la Croatie, en violation des attentes légitimes des demandeurs. Ils arguèrent également qu’on les avait empêchés d’enregistrer et d’améliorer les propriétés et que la Croatie avait vendu la propriété des demandeurs sur la base de la demande en annulation en cours. Toutefois, le tribunal estima que les dommages allégués étaient trop hypothétiques et qu’il n’existait pas de lien causal entre l’enquête criminelle et l’incapacité des demandeurs à enregistrer la propriété ou obtenir un financement.

The tribunal considered additional FET claims, but ultimately found no breach. It also indicated that the claimants had not argued or shown that Croatia had violated domestic law, domestic procedure or domestic notions of due process as part of their FET claims.

Le tribunal examina les recours TJE supplémentaires, mais détermina qu’il n’y avait pas de violation. Il indiqua également que les demandeurs n’avaient pas argué ou démontré, dans le cadre de leurs recours TJE, que la Croatie avait violé les concepts de diligence raisonnable inclus dans son droit national, ses procédures nationales ou autres.

Le tribunal rejette les recours fondés sur la clause parapluie et le traitement national

Les demandeurs arguaient qu’au titre de la clause parapluie du TBI, la Croatie était tenue par les termes de l’accord d’achat qu’elle n’avait pas respecté, violant ainsi la clause parapluie. Toutefois, le tribunal détermina que l’accord d’achat avait été conclu entre M. Gavrilović et les cinq entreprises en faillite représentées par le liquidateur ; la Croatie n’était pas partie à l’accord et n’avait donc aucune responsabilité envers les demandeurs à son titre (para. 1159).

De plus, les demandeurs alléguaient, au titre de la clause nationale de traitement de l’article 3(1) du TBI, qu’ils avaient été traités moins favorablement qu’un ressortissant croate, Davor Imprić, qui avait acquis et enregistré un lot provenant de l’une des propriétés Gavrilović en faillite. Le tribunal décida au final de rejeter ce recours. Il considéra que les demandeurs et M. Imprić n’étaient pas dans des circonstances similaires, puisque M. Imprić avait acquis et revendiqué la propriété d’un seul site sur les neuf, tandis que les demandeurs en revendiquaient beaucoup ; les termes des accords d’achat respectifs différaient ; les demandeurs n’avaient pas produit de titre enregistrable pour toutes les propriétés revendiquées ; et les demandeurs n’avaient pas réussi à démontrer leurs droits de propriété sur les terrains. Pour toutes ces raisons, le tribunal rejeta le recours pour violation du traitement national.

Les dommages

Après avoir déterminé que la Croatie avait directement exproprié les terrains saisis, en violation de l’article 4(1) du TBI, le tribunal accorda à Gavrilović d.o.o. 9 699 463,73 HRK et 1 658 960,49 EUR en dommages, plus intérêts composés. La Croatie fut également condamnée à payer 30 pour cents plus intérêts des frais et dépenses juridiques des demandeurs, et 30 pour cents des coûts de l’arbitrage, plus intérêts.

Remarques : le tribunal était composé de Michael Pryles (président nommé par les parties, de nationalité australienne), de Stanimir Alexandrov (nommé par les demandeurs, de nationalité bulgare) et de J. Christopher Thomas (nommé par le défendeur, de nationalité canadienne). La décision est disponible sur https://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw9887.pdf

Kirrin Hough est une juriste étasunienne basée à Washington, D.C., aux États-Unis.