Un investisseur chypriote se voit accorder 18 millions d’euros pour expropriation et violation du traitement national et du TJE

Olin Holdings Limited c. l’État de Libye, Affaire CCI n° 20355/MCP

Dans un arbitrage lancé par l’entreprise chypriote Olin Holdings Limited (Olin), un tribunal de la CCI a estimé que la Libye avait violé ses obligations d’accorder un TJE à l’investisseur et de traiter l’investissement d’Olin de manière non moins favorable que les investissements nationaux libyens. En outre, le tribunal détermina que la Libye avait abusivement exproprié les investissements d’Olin. Il a rendu sa décision le 25 mai 2018.

Le contexte et les recours

Dans les années 1990, la Libye a lancé une série de réformes dans le but d’encourager les investissements étrangers. Dans ce contexte, Olin décida d’investir dans une usine de produits laitiers et de jus de fruit à Tripoli. Vers la fin de 2006, lorsque l’usine d’Olin était construite et prête à démarrer la production, l’entreprise reçu un ordre d’expulsion (l’ordre d’expropriation) l’informant qu’elle avait été dépossédée de son usine et lui ordonnant de libérer la propriété sous trois jours.

Peu après l’émission de l’ordre d’expropriation et conformément à celui-ci, l’armée libyenne détruisit plusieurs bâtiments autour de l’usine. Bien que deux concurrents libyens opérant dans le même secteur aient été formellement exempts de l’ordre d’expropriation, le gouvernement libyen refusa d’en exempter Olin. Cette dernière lança une procédure auprès des tribunaux libyens, et l’ordre d’expropriation fut annulé en 2010. Toutefois, en février 2011, une période de révolution commença et les tribunaux libyens décidèrent de réouvrir la procédure. En 2014, ils conclurent qu’Olin n’avait pas réussi à démontrer les pertes qu’elle avait subies. Olin mit terme à toutes ses opérations dans l’usine en octobre 2015.

Olin lança un arbitrage auprès de la CCI en juillet 2014, demandant au tribunal de déclarer la Libye en violation de l’article 7 du TBI Chypre-Libye (le TBI) relatif à l’expropriation, de la clause de traitement national (art. 3 du TBI) et des normes TJE et relative à la protection et la sécurité intégrales (PSI) (art. 2(2) du TBI). Olin demandait également une indemnisation pour ses pertes subies et gains manqués.

La Libye a ignoré les critères d’une expropriation légale

Les arbitres commencèrent par analyser les articles 7(1) du TBI et 23 de la loi libyenne sur l’investissement, qui précisent les critères d’une expropriation licite : (i) l’intérêt public, (ii) l’application régulière de la loi, (iii) une base non-discriminatoire ; et (iv) une indemnisation prompte, adéquate et effective. Le tribunal conclut que l’ordre d’expropriation ne satisfaisait pas à ces critères.

D’emblée, le tribunal détermina les entités qui avaient été affectées par l’ordre d’expropriation. Bien que le site d’implantation de l’usine d’Olin appartenait à un ressortissant libyen, « l’ordre d’expropriation incluait nécessairement l’expropriation de tous les bâtiments implantés sur le site en question » (para. 156). Faisant référence à l’affaire Sd Myers c. le Canada, le tribunal considéra que cette mesure de l’État avait un effet équivalant à une expropriation.

S’agissant du premier critère, l’intérêt public, les arbitres conclurent que les parties au différend « n’avait pas produit suffisamment de preuves leur permettant de tirer une conclusion probante » (para. 169). Malgré tout, le tribunal considéra que l’ordre d’expropriation était abusif puisqu’il ne procédait pas de l’application régulière de la loi. Puisqu’il s’agissait d’une résolution administrative, le tribunal estima qu’il ne remplissait pas le critère pour être considéré comme une loi ou une décision d’un tribunal. En outre, le tribunal considéra que l’ordre d’expulsion était discriminatoire, et que la Libye avait manqué à son obligation d’accorder une indemnisation prompte et effective.

La Libye viole son obligation de traitement national

Olin alléguait que la Libye lui avait accordé un traitement moins favorable qu’aux investisseurs libyens, en violation de l’article 3 du TBI. Examinant les normes mises en avant dans l’affaire Total c. l’Argentine, le tribunal établit qu’ « un traitement discriminatoire pouvait être démontré si l’investisseur prouvait que l’État avait traité différemment les personnes dans une situation similaire » (para. 202). Pour le déterminer, le tribunal examina si : (a) Olin et les investisseurs nationaux étaient dans une situation similaire ; (b) si la Libye avait traité Olin de manière moins favorable que les investisseurs nationaux ; et (c) si la discrimination alléguée était justifiée.

D’abord, les arbitres considérèrent qu’Olin et les investisseurs nationaux étaient dans la même situation, puisque les entreprises opéraient dans le même secteur et qu’elles étaient situées proches les unes des autres dans la même zone industrielle. Ensuite, la Libye avait expressément exempté les investisseurs nationaux de la démolition et les avait autorisé à rester sur le site de manière permanente, tandis qu’Olin avait fait face à 4 ans et demi d’incertitude jusqu’à ce que les tribunaux libyens n’annulent l’ordre d’expropriation. Ensuite, le tribunal estima que la Libye n’avait pas démontré que la différence de traitement se justifiait. Aussi, il confirma le recours d’Olin fondé sur le traitement national.

La Libye n’a pas accordé un TJE à Olin et violé la clause d’entrave

Le tribunal considéra que l’obligation TJE incluait « le respect de la capacité de l’investisseur à gérer son investissement avec un degré minimal de certitude quant à son avenir, et à mettre en œuvre les décisions commerciales fondamentales sans entraves » (para. 311). Il conclut que l’émission de l’ordre d’expropriation avait frustré les attentes légitimes d’Olin, puisque la Libye avait empêché Olin de gérer son usine dans des circonstances commerciales normales.

Selon le tribunal, la Libye avait violé son obligation TJE du fait du manque de transparence dans l’expropriation du site sur lequel se trouvait l’usine d’Olin, ainsi qu’en prenant une série de mesures liées à l’importation d’une nouvelle ligne de production et au rapatriement des bénéfices d’Olin. Il considéra toutefois qu’Olin n’avait pas satisfait la charge de la preuve et « le seuil relativement élevé » (para. 353) de la preuve du déni de justice.

En outre, les arbitres estimèrent que la clause d’entrave intégrée à l’article 2(2) du TBI était violée si la Libye avait « entravé la gestion, la maintenance, l’usage, la jouissance et l’expansion de l’investissement du demandeur » (para. 374) par le biais de mesures déraisonnables ou discriminatoires. Aussi, le tribunal conclut que les actions de la Libye avait négativement affecté l’investissement d’Olin, en violation de la clause d’entrave.

La Libye n’a pas violé la norme relative à la protection et la sécurité intégrales

S’agissant de l’article 2(2) du TBI, le tribunal arbitral conclut également que la Libye n’avait pas d’obligation de « garantir un climat de protection et de sécurité » (para. 362). Le tribunal se référa à l’affaire Saluka c. la République tchèque et conclut qu’il n’y avait pas EU usage de la force ni atteinte à l’intégrité physique. Aussi, bien que l’usine d’Olin avait dû réduire sa cadence, les arbitres affirmèrent qu’il n’y avait pas de preuves permettant de conclure que la Libye avait violé la norme PSI.

Le demandeur se voit accorder 18 millions EUR en indemnisation de ses pertes subies

Le tribunal décida qu’Olin avait droit à l’indemnisation totale des pertes qu’elle avait subi. Considérant qu’Olin n’avait pas satisfait la preuve de la charge quant au montant de ses gains manqués, les arbitres décidèrent qu’elle ne devait être indemnisée que pour les pertes passées. Celles-ci furent évaluées grâce à la méthode de l’actualisation des flux de trésorerie (DCF).

La décision et les coûts

Le tribunal conclut que la Libye avait violé les articles 2(2), 3 et 7 du TBI et ordonna à l’État de verser à Olin 18 225 000 EUR en indemnisation de ses pertes passées, assortis d’un intérêt simple de 5 pour cents par an. S’agissant des frais et dépenses juridiques, le tribunal décida que la Libye devait rembourser 75 pour cents des frais d’Olin, à hauteur de 1 069 687 EUR. De plus, la Libye fut condamnée à payer 773 000 USD en frais d’arbitrage.

Remarques : le tribunal arbitral était composé de Nayla Comair-Obeid (arbitre présidente nommée par la Cour d’arbitrage international de la CCI, de nationalité franco-libanaise), de Roland Ziadé (nommé par le demandeur, de nationalité franco-libano-équatorienne) et d’Ibrahim Fadlallah (nommé par le défendeur, de nationalité franco-libanaise). La décision finale est disponible sur https://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw9766_0.pdf

Pietro Benedetti Teixeira Webber est étudiant en dernière année de droit à l’Université fédérale de Rio Grande do Sul, au Brésil.