Un tribunal du CIRDI détermine que la Lettonie a violé la clause TJE du TBI Lettonie-Lituanie

UAB E Enerģija c. la République de Lettonie, Affaire CIRDI n° ARB/12/33

Dans le cadre d’une procédure lancée par UAB E Enerģija (UAB), une entreprise d’énergie basée en Lituanie, un tribunal du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) a déterminé que la conduite de la Lettonie violait la norme du Traitement juste et équitable (TJE) du Traité bilatéral d’investissement (TBI) Lettonie-Lituanie. Le tribunal conclut notamment que la conduite de la Lettonie à l’égard de l’entreprise semblait « fondée sur les préjugés ou le favoritisme plutôt que sur la raison ou les faits », et était donc arbitraire aux fins du TBI (para. 887).

Le contexte et les faits

UAB a conclu un contrat de location de 30 ans avec AS Rēzeknes Siltumtīkli (l’autorité de régulation), une entreprise détenue à 100 pour cents par Rēzekne Municipality (la municipalité), dans le but d’exploiter un système de chauffage centralisé pour la ville de Rēzeknes, en Lettonie. Afin d’investir dans le projet, UAB a établi une entité distincte, Latgales Enerģija (LE).

En septembre 2007, l’autorité de régulation poursuivit LE auprès de la Cour régionale de Latgales pour obtenir le payement de certaines sommes et obtint la saisie des fonds. Moins d’un mois plus tard, la municipalité décréta une crise énergétique, et attribua à Rēzeknes Enerģija (RE), l’approvisionnement en énergie thermique de la ville. Après les élections locales, les nouveaux élus s’opposèrent à la privatisation du service et résilièrent le bail en 2008, saisissant l’intégralité des actifs et investissements de l’entreprise sans indemnisation.

Après quatre années de négociations infructueuses, UAB lança un arbitrage arguant que la Lettonie avait violé ses obligations au titre du TBI, notamment les normes TJE et de sécurité et protection intégrales, au titre de l’article 3(1) du TBI.

Les objections préliminaires de la Lettonie à la compétence

La Lettonie a présenté plusieurs objections à la compétence du tribunal. En premier lieu, elle arguait que des documents internes à UAB autorisant la demande d’arbitrage ne respectaient pas les conditions préalables, à savoir le recours à la médiation avant le lancement de l’arbitrage et l’obtention de l’approbation de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) en tant qu’actionnaire. Ensuite, le pays affirmait qu’il n’existait pas de différend aux fins de l’article 25 de la Convention du CIRDI. La Lettonie argua que l’important délai dans la présentation par UAB de sa demande d’arbitrage, 42 mois après la période autorisée par le TBI, démontrait la mauvaise foi de l’entreprise, et avait par ailleurs laissé le pays à penser que les recours n’iraient pas au-delà de la phase de négociation.

Le tribunal rejeta ces objections, indiquant que le contenu des documents internes à UAB ne permettait pas de démontrer que l’approbation par la BERD était une condition préalable à l’arbitrage. En outre, il conclut que le traitement de l’investissement d’UAB par la Lettonie permettait d’affirmer qu’il y avait « un différend juridique découlant d’un investissement » aux fins de l’article 25(1) de la Convention du CIRDI.

La demande de la Lettonie de mettre fin ou de suspendre la procédure

S’appuyant sur l’affaire Impregilo c. l’Argentine, la Lettonie avança que l’arbitrage devait être suspendu ou abandonné dans l’attente de la décision finale de la procédure judiciaire en cours auprès des tribunaux lettons. Le tribunal rejeta cette demande puisque les parties à la procédure auprès des tribunaux lettons (l’autorité de régulation et LE) et les parties à l’arbitrage (UAB et la Lettonie) n’étaient pas les mêmes. En outre, bien que la procédure devant les tribunaux nationaux portait sur une demande de suspension au titre du bail, elle n’impliquait pas les normes de protection prévue par le TBI. Le tribunal considéra que le chevauchement des recours au titre du contrat et des recours au titre du traité ne suffisait pas à justifier une suspension de la procédure. Aussi, il ne trouva aucune raison suffisante pour sursoir ou annuler la procédure d’arbitrage.

Violation de la norme TJE au titre de l’article 3(1) du TBI

UAB argua que le retard de la municipalité dans l’adoption du plan de développement de l’approvisionnement en chauffage équivalait à une violation de la norme TJE. Elle affirmait que l’absence d’un tel plan entraina le rejet par l’autorité de régulation des demandes de LE portant sur une nouveau taux en 2006 et 2007. En outre, UAB affirma que la conduite de la municipalité relevait de la mauvaise foi et que la crise énergétique avait été utilisée comme prétexte pour forcer LE à renoncer à tout ou partie du système de chauffage.

Le tribunal rejeta cet argument, indiquant que si l’on ne pouvait douter du devoir de la municipalité d’agir en temps de crise énergétique, il fallait déterminer si cette dernière avait été décrétée de bonne foi et si la municipalité avait respecté l’article 3(1) du TBI. Lors de son examen de la question, le tribunal prit note de la réunion du Comité sur l’énergie du 9 octobre 2007, au cours de laquelle LE a été sommé de fournir du chauffage dans les 24 heures, même si la municipalité savait que les comptes bancaires de l’entreprise avaient été saisis par l’autorité de régulation dans le cadre de la procédure. Le tribunal souligna que la municipalité avait, une semaine à peine avant de déclarer la crise énergétique, constitué et doté RE de 4 millions LVL (environ 7 millions USD), et l’avait désigné comme « la personne en charge » de fournir les services de chauffage à Rēzekne. Aussi, le tribunal conclut que la conduite de la municipalité violait l’article 3(1) du TBI.

La révocation des permis n’équivaut pas à une expropriation

S’agissant de l’expropriation, UAB avança que la municipalité avait agi de mauvaise foi en conspirant avec l’autorité de régulation et RE pour susciter la crise énergétique. UAB affirma que l’autorité de régulation et la municipalité avaient sanctionné LE pendant plus d’un an, en révoquant les permis d’UAB, en saisissant ses actifs et finalement en annulant le bail à long-terme. Pourtant, selon le tribunal, l’autorité de régulation avait le droit de révoquer des permis pour le non-paiement du gaz naturel fourni à LE. Il maintint que la décision de l’autorité de régulation de révoquer les permis n’équivalait pas à une violation de l’article 4(1) du TBI sur l’expropriation.

Les « permis nécessaires » doivent être octroyés conformément aux seules lois et réglementations nationales

UAB invoqua la clause du traitement de la Nation la plus favorisée (NPF) contenue dans l’article 3(2) du TBI pour affirmer que la Lettonie avait violé ses obligations au titre des articles 2(2) et 3(1) du TBI Lettonie-Roumanie. Au titre de ces obligations, lorsqu’un État hôte a autorisé un investissement sur son territoire réalisé en conformité avec ses lois nationales, il doit « octroyer les permis nécessaires liés à cet investissement » (para. 1104). UAB affirma que la municipalité avait manqué à son obligation de fournir le plan de développement de l’approvisionnement en chauffage, et donc que l’autorité de régulation n’avait pas autorisé LE à appliquer les nouveaux tarifs pour le chauffage.

Le tribunal décida de ne pas examiner comment des règles procédurales avantageuses pouvaient être importés grâce à la clause NPF. Malgré tout, il indiqua qu’il n’était pas certain que l’on puisse s’appuyer sur l’obligation de l’État hôte d’octroyer un traitement NPF « conformément à ses lois et accords internationaux » pour importer des normes contenues dans d’autres traités, puisque l’obligation de l’État hôte pourrait se limiter au traitement de facto au titre du droit national. En outre, le tribunal ne fut pas convaincu que le concept de « permis nécessaires liés à cet investissement » inclue le plan de développement et d’approvisionnement en chauffage de la ville de Rēzekne. Il ne savait pas non plus avec certitude si les décisions de l’autorité de régulation approuvant les nouveaux tarifs proposés par LE relevaient de la catégorie de permis envisagés par les dispositions invoquées par UAB. Dans tous les cas, le tribunal conclut que tout permis nécessaire devait être octroyé par l’État hôte uniquement « si cela est conforme à son droit national » (para. 1109).

Les dommages et les coûts

Le tribunal accorda à UAB 1 585 000 d’euros, plus les intérêts pré- et post-décision, composés annuellement, pour les pertes découlant des violations par la Lettonie de l’article 3(1) du TBI. La majorité du tribunal ordonna à la Lettonie de payer la moitié des dépenses juridiques d’UAB. En désaccord, l’arbitre Reinisch considérait que puisque les recours n’étaient pas futiles et avaient été présentés de bonne foi, chacune des parties aurait dû payer ses propres frais juridiques.

Remarques : le tribunal était composé de Paolo Michele Patocchi (Président nommé par le président du conseil administratif du CIRDI, de nationalité suisse), de Samuel Wordsworth (nommé par UAB, de nationalité britannique) et d’August Reinisch (nommé par le président du conseil administratif du CIRDI, de nationalité autrichienne). La décision du 22 décembre 2017 est disponible sur https://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw9481.pdf et l’opinion divergente d’August Reinisch est disponible sur https://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw9482.pdf.

Gladwin Issac est étudiant en dernière année de premier cycle de droit et travail social à l’Université nationale de droit de Gujarat, en Inde.