Un tribunal du CIRDI rejette sa compétence : le Timor oriental n’a jamais consenti à l’arbitrage auprès du CIRDI

Lighthouse Corporation Pty Ltd et Lighthouse Corporation Ltd, IBC c. la République démocratique du Timor oriental, Affaire CIRDI n° ARB/15/2

Un tribunal du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) a rejeté sa compétence sur une affaire lancée par Lighthouse Corporation Pty Ltd et Lighthouse Corporation Ltd, IBC (Lighthouse) contre la République démocratique du Timor oriental. La décision finale a été rendue le 22 décembre 2017.

Le contexte et les recours

Le différend découle d’un Accord d’approvisionnement en combustibles (AAC) comprenant trois accords interconnectés conclus en octobre et novembre 2010. Les accords présentent les Conditions générales type de Lighthouse s’appliquant à la vente de marchandises (les Conditions type) et les Conditions générales de livraison de l’énergie de Lighthouse (les Conditions générales), dont la pertinence et les effets sont contestées par les parties.

Le Timor oriental présenta trois objections à la compétence : (1) le pays n’avait pas consenti à l’arbitrage auprès du CIRDI, (2) il n’y a pas EU d’ « investissement » aux fins de la Convention du CIRDI ou de la Loi sur l’investissement étranger (LIE) du Timor oriental et (3) les demandeurs n’étaient pas un « investisseur étranger » et ne détenaient pas d’Accord spécial d’investissement (ASI) aux fins de la LIE. Le tribunal chercha donc à déterminer si le Timor oriental avait consenti à la compétence du CIRDI pour l’arbitrage du différend par le biais de l’AAC, des Conditions type et de la LIE.

Le consentement dans l’AAC

Lighthouse affirmait que les Conditions types étaient incluses par référence dans les trois accords formant l’AAC. Elle s’appuyait également sur la version dite de décembre des Conditions générales qui prévoyait que si les parties ne parvenaient à régler un différend à l’amiable, elles convenaient de le soumettre au CIRDI. Le Timor oriental s’appuyait, quant à lui, sur les versions dites de septembre et d’octobre des Conditions générales qui stipulent que les différends seront réglés dans le cadre des procédures nationales, sans mentionner le CIRDI.

Le tribunal remarqua que les références aux Conditions type étaient vagues et n’exprimaient pas une intention d’inclure le document dans l’AAC. Par exemple, l’une des références donnait également des informations sur les besoins en production d’énergie du Timor oriental, dont l’inclusion dans les conditions contractuelles n’avait certainement pas été envisagée. L’un des trois accords mentionnait un document qui à son tour faisait référence aux Conditions types ; les demandeurs arguaient que cette « double inclusion » permettait d’inclure les Conditions types dans l’AAC – mais le tribunal n’était pas d’accord. Il ne fut pas non plus convaincu que les Conditions type avaient été fournies au Timor oriental avant la signature du premier accord formant l’AAC.

En analysant les Conditions générales, le tribunal conclut également qu’il n’y avait d’intention commune de soumettre les différends à la compétence du CIRDI. Il conclut au contraire que l’intention des parties était de résoudre les différends par le biais des tribunaux nationaux. Le tribunal examina la conduite de Lighthouse à partir du 25 octobre 2011, date à laquelle Lighthouse avait affirmé que les Conditions type avaient été incluses dans l’AAC. Ce jour-là, l’avocat de Lighthouse avait envoyé au Timor oriental un document intitulé « Consentement à l’arbitrage au titre de la Convention internationale pour le règlement des différends relatifs aux investissements entre États et ressortissants d’autres États », exigeant du pays qu’il l’exécute. L’avocat de Lighthouse ne mentionnait pas qu’une clause relative à l’arbitrage auprès du CIRDI était soi-disant déjà présente dans les arrangements contractuels des parties. Sur cette base, il était clair pour le tribunal que Lighthouse ne considérait toujours pas que le Timor oriental avait consenti à l’arbitrage auprès du CIRDI.

Le consentement à l’arbitrage par le biais de la LIE

Au titre de la LIE timoraise, un « investissement étranger » est « un investissement réalisé par un investisseur étranger et représentant tout investissement direct réalisé avec des ressources financières, ou assujetti à une évaluation pécuniaire, provenant de l’étranger aux risques et aux dépens d’un investisseur étranger » (para. 311). Un « investisseur étranger » est défini comme « tout individu ou personne collective étrangère, ou ressortissant timorais non-résident, et détenant un certificat d’investisseur étranger » (para. 312).

Selon le pays, Lighthouse ne pouvait s’appuyer sur l’offre d’arbitrage auprès du CIRDI contenue dans l’article 23 de la LIE car l’entreprise ne détenait pas de certificat d’investisseur étranger – comme Lighthouse elle-même le reconnaissait – et ne pouvait donc être considérée comme un « investisseur étranger ». Par ailleurs, selon le Timor oriental, l’AAC ne constituait pas un « accord spécial d’investissement », puisque l’article 18(2) de la LIE exige que les ASI « [soient] autorisés par résolution du Conseil des ministres, spécifiant clairement les conditions spéciales justifiant l’accord, ainsi que le système spécial s’appliquant à l’accord » (para. 316).

Le tribunal remarqua que Lighthouse ne pouvait présenter de résolution du Conseil des ministres affirmant que l’AAC était un ASI, et tomba donc d’accord avec le Timor oriental.

L’investissement dans le champ d’application de l’article 25(1) de la Convention du CIRDI

La troisième objection du Timor oriental à la compétence portait sur le fait que le différend ne découlait pas directement d’un investissement, comme l’exige l’article 25 de la Convention du CIRDI. Le pays argua qu’au titre de la Convention du CIRDI, le sens de « l’investissement » est objectif et exclut les transactions commerciales ordinaires. Selon le Timor oriental, la transaction en question n’était pas un investissement mais plutôt un échange de biens et de services contre payement. Pour des raisons d’économie de procédure, le tribunal décida de ne pas se prononcer sur la question, puisqu’il avait déjà établi que le Timor oriental n’avait pas consenti à l’arbitrage auprès du CIRDI et que la réponse à cette question ne modifierait en rien la décision du tribunal.

La décision et les coûts

Le tribunal conclut qu’il n’avait pas compétence sur le différend, rejetant par là toute demande de réparation, et ordonna à Lighthouse de payer l’intégralité des coûts de l’arbitrage, de verser 273 434 USD au Timor oriental, ainsi que 1,3 millions USD pour couvrir les frais et dépenses juridiques du pays.

Remarques : le tribunal était composé de Gabrielle Kaufmann-Kohler (présidente, nommée conjointement par les co-arbitres, de nationalité suisse), de Stephen Jagusch (nommé par les demandeurs, de nationalité néozélandaise) et de Campbell McLachlan (nommé par le défendeur, de nationalité néozélandaise). La décision est disponible sur https://www.italaw.com/cases/6377.

Trishna Menon est étudiante en dernière année de premier cycle de droit à l’Université nationale de droit de Gujarat, en Inde.