L’Équateur se voit accorder 41 millions USD au titre de la demande reconventionnelle introduite à l’encontre de la Société américaine de pétrole et de gaz Burlington Resources

Burlington Resources Inc. c. la République de l’Équateur, Affaire CIRDI nº ARB/08/5

Le 7 février 2017, un tribunal du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) a rendu sa décision sur les demandes reconventionnelles formulées par l’Équateur à l’encontre de la compagnie américaine de pétrole et de gaz Burlington Resources Inc. (Burlington). Le tribunal a ordonné à Burlington de verser un montant de 41 millions USDS au titre de compensation de l’Équateur pour des dommages causés à l’environnement et aux infrastructures.

Contexte

Au début des années 2000, Burlington a commencé à acquérir des participations dans les PSC en vue d’explorer et exploiter des gisements pétrolifères en Équateur. En 2008, Burlington a introduit une demande d’arbitrage devant le CIRDI dans le but de contester les mesures prises par l’Équateur, ayant affecté l’investissement de la société dans les gisements pétrolifères.

Dans sa décision sur la responsabilité rendu en décembre 2012, le tribunal a reconnu que l’Équateur avait exproprié illégalement les investissements de Burlington. Dans sa Décision sur le réexamen et la compensation rendu le 7 février 2017, il a quantifié les dommages et intérêts dus à Burlington à 380 millions USD.

En 2011, dans le cadre de la procédure engagée par Burlington, l’Équateur a formulé des demandes reconventionnelles au titre des dommages causés à l’environnement et à certaines infrastructures connexes. Selon la demande reconventionnelle au titre des dommages causés à l’environnement, la responsabilité civile délictuelle de Burlington serait engagée sous le droit national en matière de réhabilitation des sols, d’assainissement des eaux souterraines et d’abandon de puits ayant formé des puits de boue. Selon la demande reconventionnelle concernant les dommages causés aux infrastructures, Burlington a omis d’entretenir l’infrastructure faisant l’objet de l’investissement avant l’expropriation. Les demandes reconventionnelles de l’Équateur s’élevaient à environ 2,8 milliards USD.

En mai 2011, les parties ont conclu un accord conférant au tribunal la compétence en matière de demandes reconventionnelles. Le tribunal a également rendu sa Décision relative aux demandes reconventionnelles le 7 février 2017.

Le droit équatorien et le droit international applicables aux demandes reconventionnelles en matière d’environnement

À titre préliminaire, le tribunal devait décider sur quels fondements juridiques la loi équatorienne pouvait s’appliquer quant au fond aux demandes reconventionnelles. En particulier, la demande reconventionnelle en matière environnementale relevait du droit de la responsabilité civile délictuelle interne, mais le choix de la disposition législative dans les contrats de partage de production (PSC) conclus par Burlington et l’Équateur ne comportait aucune référence au droit de la responsabilité civile délictuelle.

Le tribunal a jugé que l’application du droit équatorien de la responsabilité civile délictuelle ne découlait pas d’un accord conclu entre les parties conformément à la première partie de l’article 42(1) de la Convention du CIRDI. Au lieu de cela, la loi équatorienne sur la responsabilité civile délictuelle s’appliquait en tant que loi interne du pays d’accueil en vertu de la deuxième partie de l’article 42(1). Conformément aux dispositions de cette dernière, le tribunal est parvenu à la conclusion que le droit international pouvait également s’appliquer et que, selon l’approche dominante, le choix d’appliquer le droit national ou international était laissé à la discrétion du tribunal suivant le type de question à résoudre.

La législation nationale prévoit la responsabilité stricte en cas de dommages environnementaux

Le tribunal a examiné en détail les développements législatifs et judiciaires applicables aux opérations pétrolières en Équateur. Il est parvenu à la conclusion selon laquelle, depuis la promulgation en 2008 de la nouvelle Constitution, la responsabilité stricte (qui prévoit que la charge de prouver l’absence du préjudice pesait sur l’exploitant) s’appliquait aux dommages environnementaux et que, l’exploitant était uniquement responsable du préjudice qu’il a causé ; les demandes en matière environnementale étant imprescriptibles. Selon le tribunal, l’absence de l’exigence d’une faute signifiait que Burlington ne pouvait pas s’exonérer de sa responsabilité en fournissant la preuve d’avoir agi avec diligence.

Ayant constaté que le système constitutionnel de responsabilité stricte ne s’appliquait pas de manière rétroactive, le tribunal a examiné les avis divergents des parties sur le régime de responsabilité en matière d’opérations d’hydrocarbures avant l’adoption de la Constitution en 2008. Burlington a soutenu que la loi était fondée sur la faute et que l’Équateur devait donc prouver à la fois l’existence du préjudice environnemental et que celui-ci était imputable à un manque de diligence de la part de l’investisseur. Le tribunal a jugé ce point de vue n’était pas défendable et a décidé, conformément aux arguments avancés par l’Équateur, qu’à la suite d’une série de développements judiciaires de la Cour suprême équatorienne, la responsabilité stricte s’appliquait aux dommages environnementaux causés par des opérateurs d’hydrocarbures depuis, au plus tard, 2002.

Les parties ont convenu que les demandes relatives aux dommages causés après la date de promulgation de la Constitution de 2008 étaient imprescriptibles. Burlington a toutefois soutenu que la plupart des demandes reconventionnelles formulées par l’Équateur visaient des actes commis après la date butoir, fixée ci-dessus à 2002, et avant l’adoption de la Constitution en 2008. Le tribunal a rejeté l’argument de Burlington selon lequel cela a déclenché un délai de prescription de quatre ans en droit interne. Au lieu de cela, il a considéré que la période de prescription n’avait commencé à courir qu’à compter de la date à laquelle l’Équateur avait pris connaissance des dommages. Ainsi, le tribunal a décidé que la demande reconventionnelle en matière environnementale était fondée en majeure partie sur les dommages constatés après janvier 2007 et qu’elle était par conséquent formulée dans les délais requis.

Le tribunal procède à une analyse site-par-site des dommages environnementaux et des coûts de restauration

Ayant établi que la responsabilité stricte, que ce soit en vertu de la Constitution de 2008 ou du droit civil délictuel équatorien, s’appliquait aux gisements pétrolifères, le tribunal a examiné le préjudice environnemental allégué.

Le degré inacceptable du préjudice environnemental devait être déterminé selon le tribunal compte tenu des critères réglementaires nationaux. C’est sur cette base qu’il a mené un examen complet des dommages et des coûts de restauration d’environ 40 sites répartis sur les deux gisements pétrolifères explorés par Burlington. Dans le cadre de cet examen, le tribunal s’est également rendu sur les sites.

Il a ainsi constaté des dommages environnementaux et un besoin de restauration sur tous les sites. Pour la plupart des sites, les coûts ont été évalués à moins d’un million USD. Dans le cas particulier d’un site dont les sols ont été contaminés et d’un site de fosses à boue, le coût s’élevait à 5 millions USD par site. Il a également ordonné la prise en charge des coûts de restauration de plus de 5 millions USD au titre de la contamination des eaux souterraines sur un seul site.

Le Tribunal accède aux demandes reconventionnelles au titre des dommages causés aux infrastructures de plus de 2,5 millions USD

Selon le tribunal, certaines clauses des PSC devenues applicables à la suite de la résiliation ont permis d’établir un cadre juridique complet permettant d’évaluer les allégations en matière d’infrastructure. Bien qu’il soit conscient de certaines limites de la preuve, le tribunal a identifié sept catégories d’infrastructures : réservoirs de carburant, lignes et conduites de fluides, générateurs, pompes, systèmes électriques, matériel informatique et entretien des routes.

L’Équateur a affirmé que l’investisseur avait renvoyé trois réservoirs de carburant – sur un total de 89 réservoirs déployés dans les champs de pétrole – dans un état qui témoigne d’une détérioration au-delà de l’usure normale. Le tribunal a ordonné le versement d’une indemnisation d’un peu plus d’un million USD à l’Équateur au titre de l’un de ces réservoirs.

Le tribunal a constaté que l’état des parties significatives de deux pipelines dépassaient celui de l’usure normale. Il a donc accordé une compensation d’un montant identifié par le témoin technique équatorien – un peu moins de 1,5 million USD. Le tribunal a en outre accordé à peu près 500 000 USD au titre des coûts nés du défaut de maintenance régulière par Burlington de certains moteurs utilisés dans les champs pétrolifères.

Remarques : Le tribunal était composé de Gabrielle Kaufmann-Kohler (Présidente nommée par les parties, de nationalité suisse), Stephen Drymer (nommé par le requérant, de nationalité canadienne), et Brigitte Stern (nommée par le défendeur, de nationalité française). La décision concernant les demandes reconditionnelles de l’Équateur est disponible en anglais et en espagnol sur https://www.italaw.com/cases/documents/5140.

Matthew Levine est avocat au Canada et contributeur du programme Investissement étranger et développement durable de l’IISD.