La sanction antitrust de la Chine assène une amende de 975 millions USD à Qualcomm : Quels enseignements les autres pays hôtes peuvent-ils tirer de cette histoire ?

En février 2015, Qualcomm Inc. (Qualcomm), le premier fabricant mondial de processeurs pour téléphones mobiles dont le siège se trouve en Californie, a été condamné par les autorités chinoises anti-monopole à payer une amende de 6 088 RMB (environ 975 millions USD) pour ses pratiques anticoncurrentielles à l’égard des consommateurs chinois[1], suite à une enquête de 14 mois menées sur les pratiques de l’entreprises. Considérée par beaucoup comme l’une des enquêtes antitrust les plus controversées depuis la promulgation par la Chine de sa loi anti-monopole en 2008, cette affaire représente la plus importante amende jamais infligée par les autorités anti-monopole chinoises.

La Commission nationale de réforme et de développement (CNRD), l’une des trois autorités antitrust de la Chine, a officiellement lancé une enquête contre Qualcomm en novembre 2013 après que plusieurs plaintes aient été portées contre l’entreprise au cours des années précédentes. Avant cela, l’entreprise avait déjà fait l’objet d’une enquête de la part des autorités de la concurrence du Japon et de la Corée. Le lancement de cette enquête par les autorités chinoises a immédiatement attiré l’attention du monde car l’enquête de la Chine portait sur le cœur du modèle commercial controversé de Qualcomm, c’est-à-dire l’imposition de frais de licence excessifs et de conditions déraisonnables de mise en licence de ses brevets. Un exemple en est le critère utilisé par Qualcomm pour calculer ses redevances. Les détenteurs de brevets calculent généralement les redevances sur la base de la partie de l’appareil dans laquelle le brevet est utilisé, plutôt que sur la base de la valeur totale de l’appareil. Par exemple, si une entreprise détient un brevet pour les pneus des camions lourds, elle facturera certainement un pourcentage de la valeur des pneus lorsque le brevet est utilisé, plutôt que de facturer un pourcentage de la valeur totale du camion. Qualcomm en revanche facture un pourcentage du prix de vente en gros de l’appareil dans son ensemble. Par exemple, si un détenteur de licence utilise un brevet de Qualcomm pour fabriquer des processeurs pour iPhone, Qualcomm calculera la redevance du brevet sur la base du prix de vente en gros de l’iPhone, même si le téléphone contient de nombreux autres composants.

Malgré les tentatives « vigoureuses de défense » de Qualcomm[2], la CNRD a jugé que l’entreprise avait abusé de sa position dominante du marché et que ses pratiques contestées restreignaient et annihilaient la concurrence sur le marché, freinaient l’innovation et le développement technologique et portaient atteinte aux droits et intérêts des consommateurs, et donc, que l’entreprise violait les lois anti-monopoles de la Chine[1].

Aussi, en plus de devoir payer cette amende sans précédent, Qualcomm était également tenu de mettre en œuvre un plan de correction pour modifier certains aspects de ses pratiques commerciales en Chine et être en pleine conformité avec les prescriptions fixées par la CNRD.

Après une lecture attentive de la décision et du plan de correction approuvé par les autorités chinoises, l’on peut considérer que la sanction appliquée est importante quoique plutôt amicale, car les choses auraient pu être bien pires pour Qualcomm.

D’abord, la loi anti-monopole de la Chine autorise les régulateurs à imposer aux contrevenants une amende représentant jusqu’à 10 % des bénéfices réalisés au cours de l’année fiscale précédent la décision. Le montant de l’amende réellement imposée à Qualcomm représente cependant 8 % des ventes réalisées par Qualcomm en Chine en 2013, soit un montant nettement inférieur au montant maximum autorisé par la loi. Ensuite, si les régulateurs chinois avaient la possibilité d’imposer à Qualcomm de mettre des licences gratuites à ses brevets, ils ne l’ont pas fait. Enfin, bien que Qualcomm soit convenu de mettre fin à sa pratique la plus controversée de calculer les redevances sur le prix total de vente en gros de l’appareil entier, elle ne s’est engagée qu’à réduire la base de calcul à 65 % du prix de vente en gros du dispositif, plutôt que de la réduire au prix de la plus petite unité breveté pouvant être vendue, ce qui est la pratique habituelle du secteur.

La CNRD a plus tard expliqué aux media chinois que Qualcomm méritait une sanction plus clémente puisque l’entreprise avait coopérer pleinement pendant l’enquête[3]. D’après le communiqué de presse de Qualcomm, cette clémence reflétait le fait que les régulateurs chinois étaient « conscients de la valeur et de l’importance de la technologie et des nombreuses contributions de Qualcomm à la Chine »[4].

Ce qui est particulièrement intéressant dans cette affaire est que Qualcomm se serait défendu de manière agressive contre les allégations mises en avant par les régulateurs chinois. Dans le cadre de sa stratégie de défense, Qualcomm a engagé l’un des auteurs de la loi anti-monopole de la Chine, Zhang Xinzhu. Au moment de l’élaboration de la loi, il était conseillé auprès du groupe de consultation des experts du Comité anti-monopole du Conseil d’État, mais il aurait plus tard été destitué en raison d’un conflit d’intérêt. D’après Zhang, Qualcomm était la première entreprise à présenter une défense sérieuse face au gouvernement chinois[5].

Qualcomm a finalement conclu un accord amiable avec le gouvernement chinois et s’est engagée, comme elle le dit son communiqué de presse, à « renoncer à tout recours juridique contre la décision de la CNRD »4. Les régulateurs chinois ont attribué cela au fort degré de transparence et à la communication efficace avec Qualcomm tout au long de la procédure d’enquête.En parallèle, il est impossible d’ignorer que la moitié du chiffre d’affaire de Qualcomm vient de la Chine[6], un marché que l’entreprise ne peut se permettre de perdre, notamment compte tenu du fait que les autorités chinoises de réglementation avaient déjà fait certaines concessions dans leur décision, comme nous l’avons vu plus haut.

Les conséquences de la décision concernant Qualcomm – le montant de l’amende ainsi que la volonté de la CNRD de poursuivre les cas controversés – semblent confirmer la détermination de la Chine à lutter contre les pratiques anticoncurrentielles. Cela est conforme à la tendance récente identifiée par les autorités de la concurrence[7] du monde entier – un nombre croissant d’économies de marché émergentes prend des mesures pour créer ou réformer les régimes juridiques de la concurrence. Le Brésil a par exemple réformé son régime de la concurrence en 2012. À la même époque, la Russie a également adopté un ensemble important de mesures visant à réformer sa législation de la concurrence. Au moins une vingtaine de pays africains ont élaboré leurs lois sur la concurrence en 2014. Et un projet de loi visant à amender la loi sur la concurrence de l’Indonésie – étendre son champ d’application aux entreprises étrangères et imposer des sanctions financières plus importantes en cas d’infraction – a reçu l’approbation du parlement il y a déjà plusieurs mois. La mondialisation croissante des lois sur la concurrence s’explique par la reconnaissance du fait qu’un régime concurrentiel bien conçu peut largement contribuer à soutenir la croissance économique d’un pays.

Toutefois, l’exemple de Qualcomm montre clairement que les entreprises peuvent contester les actions d’organes réglementaires récemment mis en place et toujours en phase d’apprentissage.  Une chose est d’appliquer la loi, qui est examinée par les tribunaux nationaux. Mais nous commençons à entendre des spéculations selon lesquelles les entreprises pourraient aussi contester l’application des nouvelles lois sur la concurrence au titre de traités d’investissement. Les États n’avaient certainement pas l’intention de donner aux tribunaux d’investissement le rôle d’autorité de la concurrence lorsqu’ils ont négocié leurs traités d’investissement. Il n’existe à l’heure actuelle aucun recours connu fondé sur un traité d’investissement contre la Chine visant à contester son application de la décision Qualcomm. Force est de supposer que la décision a été prise sur la base de considérations économiques plutôt qu’au titre d’obstacles juridiques. Au niveau international – bien que la Chine n’ait signé aucun traité bilatéral d’investissement avec les États-Unis – il n’aurait pas fallu beaucoup de temps à Qualcomm pour identifier un mécanisme adéquat pour contester la décision de la Chine au titre de l’un des plus de 130 traités bilatéraux d’investissement existants signés par la Chine.

Si rien n’indique que la Chine ait reçu une quelconque menace, il faut garder un œil sur la mise en œuvre de nouvelles législations sur la concurrence dans les économies en développement et émergentes, et sur les différends connexes possibles.


Déroulé de l’enquête sur Qualcomm

Novembre 2013

La CNRD, l’autorité chinoise de la concurrence, a mené des perquisitions dans les bureaux de Pékin et Shanghai de Qualcomm, après avoir reçu de multiples plaintes contre l’entreprise.

Décembre 2013

La CNRD a officiellement annoncé qu’une enquête était en cours contre Qualcomm pour allégations d’infractions à la loi sur la concurrence. Le même jour, Qualcomm émet un communiqué de presse rejetant ces allégations.

Juillet 2014

La CNRD a déterminé que Qualcomm avait une position monopolistique sur le marché chinois et a commencé a étudié les résultats financiers de Qualcomm dans ses bureaux en Chine. Le Président de Qualcomm, Derek Aberle, a également été entendu par la CNRD.

Octobre et décembre 2014

Une délégation de Qualcomm menée par Derek Aberle s’est rendue encore à deux reprises à la CNRD pour aborder la possibilité d’un règlement à l’amiable. Tout au long de l’enquête, la CNRD s’est réunie à 28 reprises avec la délégation de Qualcomm pour des échanges de vues.

Février 2015

La CNRD a annoncé sa décision, et jugé que Qualcomm avait violé la loi anti-monopole de la Chine en abusant de sa position dominante. Selon la décision, Qualcomm était condamné à payer une amende de 6 088 milliards RMB (soit 975 millions USD) et à modifier certaines de ses pratiques. Qualcomm a annoncé dans un communiqué de presse qu’elle ne contesterait pas la décision et qu’elle avait payé la totalité de l’amende dans les trois jours qui ont suivi la publication de la décision.

Source : Commission nationale de réforme et de développement, China News Network.


Auteur

Joe Zhang est conseiller en droit international auprès du programme sur l’investissement de l’IISD.


Notes

[1] Voir la Décision de sanction administrative de la Commission nationale de réforme et de développement (Fagaibanjiajianchufa [2015] No. 1), disponible en chinois sur le site de la CNRD, http://www.ndrc.gov.cn/gzdt/201503/t20150302_666209.html.

[2] Voir Bradshaw, T. (2014, 6 novembre). Qualcomm faces two new antitrust probes, The Financial Times. Tiré de http://www.ft.com/intl/cms/s/0/fa223b00–6543–11e4–91b1–00144feabdc0.html (uniquement en anglais).

[3] Voir Li, L. (2015, 10 février). Details of Qualcomm antitrust investigation: The reason for the 8% fine [en chinois], China News Network. Tiré de http://finance.chinanews.com/cj/2015/02-10/7051881.shtml.

[4] Qualcomm. (2015, 9 février). Qualcomm and China’s National Development and Reform Commission reach resolution, communiqué de presse.Tiré de http://files.shareholder.com/downloads/QCOM/3864235320x0x808060/382E59E5-B9AA–4D59-ABFF-BDFB9AB8F1E9/Qualcomm_and_China_NDRC_Resolution_final.pdf (uniquement en anglais).

[5] Voir Clover, C. (2015, 25 janvier). China: Monopoly position, The Financial Times. Tiré de http://www.ft.com/intl/cms/s/0/22704a96-9ff2-11e4-9a74-00144feab7de.html (uniquement en anglais).

[6] Zacks Equity Research. (2015, 10 février). Qualcomm settles Chinese antitrust charges, ups guidance. Tiré de http://www.zacks.com/stock/news/163900/qualcomm-settles-chinese-antitrust-charges-ups-guidance (uniquement en anglais).

[7] Rapport Lex Mundi. (2015). Changing competition regimes: Organizational best practices for navigating cross-border legal and political risks.Houston : Lex Mundi. Un extrait du rapport est disponible sur http://www.lexmundi.com/lexmundi/Changing_Competition_Regimes_Report_Preview.asp (uniquement en anglais).