Un tribunal déclare la Roumanie coupable de la violation de l’article 10(1) du TCE, déclarant que ses mesures ont nui aux investissements des demandeurs

LSG Buildings et autres c. Roumanie, Affaire CIRDI n° ARB/18/19

Le différend

Cette affaire concerne un différend lancé contre la Roumanie par 10 investisseurs d’Allemagne, d’Autriche, de Chypre et des Pays-Bas (les « demandeurs ») en réponse aux modifications apportées par la Roumanie à un régime d’incitation visant à attirer les investissements dans les sources d’énergie renouvelables (les « SER »). Les demandeurs alléguaient qu’ils avaient été incités à investir en Roumanie par le biais du régime d’incitation, et que les modifications apportées par la Roumanie à ce régime entre 2013 et 2014, puis entre 2017 et 2018, avaient porté atteinte à leurs investissements (« mesures contestées »). La Roumanie alléguait quant à elle, qu’elle ne s’était jamais engagée envers les investisseurs à ce que le régime d’incitation ne change jamais et que les changements avaient été adoptés pour répondre à des préoccupations légitimes de politique publique et étaient proportionnés et raisonnables.

Le contexte

En 2004, la Roumanie a introduit un régime d’incitation pour attirer les investissements dans les SER dans le cadre de ses engagements internationaux de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Le régime était fondé sur un système d’échange de « certificats verts » (« CV ») et visait à atteindre une part de 33 % de SER dans la consommation énergétique du pays d’ici à 2010. Les CV sont un instrument de marché basé sur la quantité qui garantit une consommation déterminée sur une période donnée. Au titre du régime, la Roumanie a introduit des quotas obligatoires et des échanges de certificats. En 2008, la loi 220/2008 a transformé ce programme en loi.

Le système a été amendé pour inclure des objectifs plus ambitieux après l’adoption de la directive européenne 2009/28/CE. En vertu de la directive de 2009, la Roumanie s’est vu assigner un objectif de 24 % de sa consommation énergétique totale (y compris pour l’électricité, le transport, le chauffage et le refroidissement) d’ici à 2020. Les amendements ont prolongé la durée du système d’incitation, augmenté les quotas annuels obligatoires, augmenté le nombre de CV disponibles à six CV par MWh d’électricité produite, prolongé l’échange de prix des CV jusqu’en 2025, et augmenté le montant de l’amende pour les fournisseurs n’ayant pas acheté de CV de 70 à 110 EUR. Dans sa demande d’approbation de la loi 220/2008 et de ses amendements ultérieurs, la Roumanie avait assuré à la Commission que le régime n’entraînerait pas de surindemnisation au niveau global. En 2011, la Commission a approuvé le régime CV de la Roumanie.

Compte tenu de la chute des prix des centrales solaires photovoltaïques (« SPV ») entre 2008 et 2013, et du régime incitatif de la Roumanie, l’intérêt des investisseurs pour le marché roumain de l’énergie solaire a augmenté. Après 2010, les demandeurs ont investi dans cinq centrales SPV.

Pour bénéficier du régime, les requérants ont dû obtenir des accréditations de l’Autorité nationale roumaine de régulation de l’énergie (« ANRE »), qui ont toutes été accordées en 2013. En mars 2013, cependant, la Roumanie a amendé la loi 220/2008 afin de rééquilibrer les intérêts des consommateurs d’électricité et des investisseurs en électricité SER. Entre 2013 et 2014, et à nouveau entre 2017 et 2018, la Roumanie a adopté une série de mesures visant à contrôler l’augmentation du prix de l’électricité pour le consommateur final résultant du régime, qui se sont avérées surindemniser les investisseurs. Ainsi, les investisseurs ont reçu quatre CV par MWh sur les six promis initialement. Les deux CV restants étaient récupérables après le 1er janvier 2025. La Roumanie a également diminué la pénalité imposée aux fournisseurs en cas de non-achat de CV, restreint la vente de CV et apporté des modifications à la méthode de calcul du quota annuel obligatoire pour l’acquisition de CV.

Le 23 mai 2018, en réponse aux changements apportés par la Roumanie, les demandeurs ont introduit un recours en vertu du TCE et de la Convention CIRDI.

Objections à la compétence

Les demandeurs ont fait valoir que les cinq exigences énoncées à l’art. 25 de la Convention CIRDI et à l’art. 26 du TCE avaient été satisfaites dans ce différend (para. 258-259). La Roumanie s’opposait à la compétence du tribunal pour trois raisons : premièrement, le pays n’avait pas consenti à une procédure multipartite ; deuxièmement, un ressortissant roumain était l’unique actionnaire de deux demandeurs, Anina et Giust, ce qui excluait la compétence du tribunal ; et troisièmement, la clause d’arbitrage du TCE était inapplicable à un différend intra-UE (para. 260).

Une procédure multipartite

La Roumanie s’opposait à la compétence du tribunal, déclarant que la Convention CIRDI et le TCE exigeaient son consentement explicite à une procédure multipartite. Le tribunal a rejeté cette objection, déclarant que ni le libellé de l’art. 26 du TCE (para. 213) ni de l’art. 25(1) de la Convention CIRDI (para. 321-322) n’excluaient les procédures multipartites. Le tribunal a également estimé que les recours constituaient un seul et même différend, atteignant ainsi le seuil d’homogénéité (para. 351).

Lever le voile corporatif

La Roumanie s’opposait aux recours présentés par Anina et Guist, étant donné que les sociétés étaient entièrement détenues et contrôlées par un ressortissant roumain, et que leur permettre de poursuivre la Roumanie porterait atteinte à l’objet et au but de la Convention CIRDI (para. 391). Le tribunal a rejeté l’objection de la Roumanie, déclarant que le lieu d’enregistrement des entreprises était suffisant pour satisfaire aux exigences de nationalité de la Convention CIRDI (para. 398) et du TCE (para. 425 et 428).

Refus d’accorder les avantages

La Roumanie a fait valoir qu’une application « réaliste » de l’art. 17 lui permettrait de refuser d’accorder les avantages aux deux sociétés. Les demandeurs n’étaient pas d’accord, affirmant que l’art. 17 ne s’appliquait qu’au contrôle externe exercé par des « États tiers », c’est-à-dire des États non parties au TCE. Le tribunal se rangea à l’avis des demandeurs, déclarant que « au titre du TCE, un « État tiers » est tout État qui n’est pas partie contractante au TCE » (para. 433).

Objection intra-UE

La Roumanie a fait valoir que l’art. 26 du TCE ne pouvait pas s’appliquer aux différends intra-UE et que si le tribunal devait se déclarer compétent, il devrait établir que la conclusion du Traité de Lisbonne constituait une modification du TCE en vertu de l’art. 41 de la CVDT (para. 449). Les conclusions de l’avocat général de la CJUE et l’arrêt Komstroy ont également été présentés.

Conrairement au tribunal dans l’affaire Green Power c. Espagne, qui a confirmé l’objection intra-UE de l’Espagne, le tribunal dans la présente affaire n’a pas approuvé l’objection de la Roumanie. Le tribunal n’a pas trouvé de conflit entre l’art. 26 du TCE et les art. 267 et 334 du TFUE, comme le prétendait la Roumanie (para. 769). La Roumanie avait également fait valoir que la possibilité de ne pas pouvoir exécuter la sentence à l’avenir devrait empêcher le tribunal d’assumer sa compétence (para. 770). Les demandeurs ont répondu que l’objection de la Roumanie était spéculative et non pertinente (para. 771). Le tribunal a suivi l’argument des demandeurs, citant le tribunal de l’affaire Vattenfall, qui a déclaré que « l’inexécutabilité de cette décision est une question distincte qui n’affecte pas la compétence du tribunal » (para. 772-775).

La stabilité réglementaire

Sur le fond du différend, les demandeurs ont fait valoir que les modifications fondamentales apportées au régime CV par la Roumanie violaient leurs attentes légitimes et que la Roumanie avait agi de manière non transparente et avait créé une instabilité, équivalente à une violation de l’art. 10(1) du TCE (para. 908). La Roumanie a quant à elle fait valoir que la norme TJE du TCE ne protège les investisseurs que contre les actes arbitraires ou discriminatoires et a rejeté les arguments des demandeurs, affirmant que ses mesures étaient raisonnables et justifiées (para. 909). Le tribunal a noté qu’en vertu de l’art. 10(1) du TCE, la Roumanie avait l’obligation de fournir aux investisseurs un environnement stable, équitable, favorable et transparent pour leurs investissements en Roumanie (para. 1006).

Le tribunal a souligné que l’obligation de créer un cadre juridique stable n’est pas une exigence absolue. Cependant, « l’État d’accueil doit agir dans l’intérêt public, en exerçant ces pouvoirs de manière raisonnable, proportionnelle, transparente et cohérente, et en s’abstenant d’adopter des mesures arbitraires ou discriminatoires » (para. 1015). Le tribunal a également déclaré qu’une telle évaluation nécessiterait la prise en compte d’autres facteurs tels que l’ampleur et la soudaineté du changement, l’impact économique sur l’investisseur, et si des circonstances extérieures justifiaient un tel changement (para. 1015).

Les parties avaient contesté le sens de la norme TJE dans le TCE, le tribunal déclarant que la norme minimale internationale constituait une base tandis que la norme TJE offrait une protection supplémentaire (para. 1019 et 1060). Le tribunal a estimé que l’analyse d’une violation présumée de la norme TJE exige que le tribunal mette en balance les droits de l’État et ceux des investisseurs, y compris l’obligation de l’investisseur d’exercer une diligence raisonnable avant l’investissement et le droit de l’État de réglementer (para. 1023).

Le tribunal a accepté que les attentes légitimes soient une sous-catégorie de la norme TJE (para. 1026). Il a mis en évidence les deux écoles de pensée, l’une qui soutient que les lois ou les réglementations donnent lieu à des attentes légitimes, et l’autre qui exige des engagements spécifiques pour donner lieu à des attentes légitimes (para. 1032-1039). La Roumanie avait soutenu qu’elle n’avait pris aucun engagement spécifique vis-à-vis des demandeurs, et qu’en l’absence d’un tel engagement, l’on ne pouvait pas dire que des attentes légitimes avaient existé (para. 1062).

Le tribunal considéra que les États étaient autorisés à modifier leur cadre réglementaire en l’absence d’une clause de stabilité. Cependant, l’art. 10(1) du TCE protège les investisseurs contre les changements radicaux, en particulier dans le cas d’investissements à long terme où les investisseurs peuvent raisonnablement s’attendre à ce que les caractéristiques essentielles du cadre réglementaire restent constantes (para. 1064).

Puisque le différend comprenait de multiples parties (qui avaient toutes réalisé des investissements à des moments différents) et que les attentes en matière de stabilité sont analysées au moment où un investissement est réalisé, le tribunal a divisé ces parties en deux groupes : les demandeurs qui avaient investi avant que la Roumanie ne promulgue l’ordonnance gouvernementale de 2013 et ceux qui avaient investi après la promulgation de la loi (para. 1065).

Le tribunal déclara que les demandeurs du premier groupe prévoyaient certaines sources de revenus clairement définies pendant 15 ans en raison du régime CV (para. 1066). Il a convenu avec la Roumanie qu’en l’absence d’une clause de stabilisation, un investisseur ne pouvait raisonnablement s’attendre à ce que le régime ne change pas (para. 1067). Néanmoins, le tribunal a estimé que les actions de la Roumanie avaient radicalement modifié les caractéristiques essentielles de la loi, ce qui a entraîné une perte déraisonnable de la valeur de l’investissement des demandeurs (para. 1068).

Il est intéressant de noter à cet égard qu’après avoir établi que les investisseurs s’étaient appuyés sur la promesse réglementaire, le tribunal a jugé que la promesse réglementaire avait également été convertie en un engagement spécifique. Le tribunal a souligné le fait que le système de CV de la Roumanie exigeait des investisseurs qu’ils obtiennent une « accréditation » de l’ANRE, qui permettrait ensuite aux demandeurs de bénéficier de la promesse réglementaire de la Roumanie (para. 1107). Selon le tribunal, l’octroi de l’accréditation par l’ANRE constituait un engagement spécifique confirmant les attentes des investisseurs (para. 1111). Il a estimé que la Roumanie avait renié ses assurances en reportant le nombre de CV auxquels les investisseurs avaient droit, en imposant des limitations aux échanges de CV et en modifiant le prix minimum des CV (para. 1157).

Lorsque la Roumanie a fait valoir que ces mesures étaient nécessaires pour empêcher la surindemnisation et réduire le coût pour le consommateur final, le tribunal a fait part de son désaccord (para. 1167-1168), estimant que la Roumanie était consciente du risque de surindemnisation depuis 2010 mais n’avait pas pris de mesures au départ pour contourner ce risque (para. 1169). Le tribunal a accepté que les États doivent réglementer les prix de l’énergie pour éviter que les consommateurs finaux ne subissent des charges indues. La situation doit toutefois être équitable pour toutes les parties concernées ; par conséquent, la Roumanie aurait dû indemniser les investisseurs.

S’agissant du deuxième groupe qui avait investi après la promulgation de l’ordonnance gouvernementale de 2013, le tribunal a également constaté une violation de l’art. 10(1) du TCE (para. 1206). Le tribunal a estimé que les demandeurs savaient que l’ordonnance gouvernementale de 2013 serait promulguée et qu’elle réduirait le nombre de CV qui leur seraient fournis de six à quatre. En revanche, les demandeurs ne savaient pas que la Roumanie prolongerait la période de report de décembre 2017 à décembre 2020 (para. 1211). La prolongation de la période de report a constitué une atteinte déraisonnable et a donc été considérée comme une violation du TJE.

Dans son opinion divergente, le juge O. Thomas Johnson a fait valoir que la majorité n’avait pas correctement appliqué la norme TJE, car l’engagement spécifique de la Roumanie donnant lieu à l’attente légitime n’avait pas été correctement défini (opinion divergente, para. 1). Si le juge Johnson a largement approuvé l’analyse de la majorité, il avait un propos divergent sur la portée de l’engagement spécifique de la Roumanie concernant les échanges de CV. Selon lui, la décision s’est concentrée sur le volet offre du système des CV en ignorant le volet demande (opinion divergente, para. 12). Le fait d’ignorer le volet demande du système de CV a ignoré la nature essentielle de ce système (opinion divergente, para. 30). Par conséquent, il a soutenu que les questions examinées par la majorité portaient sur les dommages-intérêts et non sur la responsabilité (opinion divergente, para. 36).

Indemnisation

En ce qui concerne la quantification des dommages-intérêts, le tribunal a estimé que les évaluations soumises par les parties n’étaient pas utiles car elles étaient fondées sur des éléments différents (para. 1346). Le tribunal a donc proposé que les parties soumettent leurs calculs sur la base des conclusions du tribunal en matière de responsabilité (para. 1350). Il a également demandé aux parties de parvenir à un accord sur le quantum des dommages (para. 1351).

Conclusion

 L’affaire LSG Buildings c. Roumanie s’inscrit dans une série de décisions similaires rendues contre l’Espagne, l’Italie et la République tchèque, qui montrent que le RDIE présente des risques pour les États, non seulement en ce qui concerne l’élimination progressive nécessaire des combustibles fossiles, mais aussi en ce qui concerne la mise en œuvre de cadres réglementaires pour les SER. Les gouvernements auront besoin de flexibilité pour l’expérimentation réglementaire. Des décisions comme celle-ci leur refusent cette flexibilité. Au contraire, elles permettent la privatisation des profits découlant des nouveaux cadres réglementaires tout en socialisant les risques associés.

 


Auteur

Raza Ali a récemment obtenu une licence en droit international du Graduate Institute de Genève et effectue actuellement un stage à la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international, et notamment les groupes de travail II et III. Il a précédemment travaillé au bureau du procureur-general du Pakistan.

Notes: Le tribunal était composé d’Oliver Thomas Johnson, Jr. nommé pas l’investisseur, de Pierre-Marie Dupuy, nommé par la Roumanie, et de Juan Fernández-Armesto, en tant que président (ci-après le « tribunal »).