Un tribunal arbitral conclut que la décision du Guatemala de ne pas considérer « les avis fiscaux contraignants » comme contraignants est conforme aux dispositions sur le TJE et la NPF, et ne constitue pas une entrave par des mesures déraisonnables

IC Power Asia Development Ltd. c. la République du Guatemala, Affaire CPA n° 2019-43

Le tribunal de l’affaire IC Power Asia Development Ltd. c. la République du Guatemala a rejeté l’ensemble des recours du demandeur, concluant que ni le lancement par le Guatemala d’une procédure pénale contre l’entreprise, ni la conduite connexe de ses tribunaux ou autorités fiscales ne sauraient être considérées comme un traitement arbitraire, une frustration des attentes légitimes, ou un déni de justice procédural. Débouté, le demandeur a été condamné à payer les deux tiers des frais juridiques et d’arbitrage du défendeur.

Le contexte du différend fiscal

En 2011, Actis LLP, un fonds d’investissement basé au Royaume-Uni, a acquis les distributeurs DEOCSA et DEORSA, des entreprises guatémaltèques de distribution de l’électricité opérant plus de 70 000 km de lignes de distribution. Le processus d’acquisition a été assez complexe, prenant la forme d’une fusion triangulaire inversée. Dans le cadre de la transaction, les distributeurs ont fusionné avec les filiales guatémaltèques de deux entreprises d’Actis enregistrées aux Pays-Bas. L’ancien propriétaire des distributeurs (Fenosa) a reçu une prime, financée par des prêts bancaires desquels les distributeurs avaient la responsabilité.

En 2012, les distributeurs déposèrent leurs états financiers auprès de la Superintendance de l’administration fiscale (SAF) du Guatemala. Ces états financiers incluaient deux déductions fiscales liées à la fusion triangulaire inversée : l’une d’entre elles  concernait l’amortissement des survaleurs, et l’autre les intérêts payés au titre des nouveaux prêts bancaires. Avant la fin de l’année 2012, la SAF avait commencé l’audit des états financiers des distributeurs, l’étendant par la suite aux états financiers de 2012 qui faisaient apparaître les mêmes déductions. Les équipes d’audit de la SAF émirent deux rapports fin 2013 et début 2014, dans lesquels elles concluaient que les déductions fiscales n’étaient pas admissibles. La division des affaires juridiques considéra toutefois à l’époque qu’une procédure pénale n’était pas nécessaire.

Au cours des années 2014 et 2015, les distributeurs tentèrent de s’opposer aux rapports d’audit, sans succès. Toutefois, dans une procédure distincte de 2015, ils présentèrent des demandes d’« avis fiscal contraignant » au département consultatif de la SAF quant aux méthodes utilisées pour calculer leurs déductions et quant au caractère approprié des déductions elles-mêmes. Au titre du code fiscal du Guatemala, ces avis ne sont pas contestables, et lient l’administration fiscale sur la question particulière en cause. Les avis fiscaux contraignants affirmaient que les pratiques comptables utilisées par les distributeurs pour calculer leurs déductions étaient techniquement correctes, et que les déductions étaient appropriées, pour autant qu’elles soient correctement étayées et documentées. Peu de temps après, et conformément aux avis, les distributeurs présentèrent des paiements de rectification à la SAF en lien avec leurs déclarations fiscales pour les années 2011 à 2013.

Plus tard dans l’année 2015, IC Power, une entreprise privée enregistrée en Israël et la demanderesse dans l’affaire, apprit que Actis cherchait à vendre les distributeurs. Au cours d’études d’estimation de la valeur et dans le cadre de son devoir de diligence raisonnable, l’équipe d’IC Power découvrit les avis fiscaux contraignants. L’équipe indiqua finalement à l’entreprise que les avis ne laissaient aucun doute quant à la résolution des problèmes fiscaux. Elle informa également IC Power que Actis avait confirmé que les paiements fiscaux précédents avaient été rectifiés, mais que Actis n’avait pas présenté les documents justificatifs. IC Power acquit les distributeurs en 2016.

Le lancement de la procédure pénale

Après la publication des Panama Papers et une vague de scandales de corruption au Guatemala, impliquant parfois des hauts fonctionnaires de l’administration fiscale, un nouveau directeur prit la tête de la SAF. Il lança rapidement un grand nombre d’enquêtes dans les dossiers conclus au détriment de la SAF, parmi lesquels l’audit des distributeurs. En juillet 2016, la SAF déposa une plainte contre les deux distributeurs pour fraude fiscale en lien avec leurs déductions fiscales de 2011 et 2012.

Peu de temps après le lancement de l’affaire, le tribunal pénal organisa une audience ex parte avec des représentants de la SAF et ordonna la saisie conservatoire des comptes bancaires des distributeurs à hauteur du montant total allégué être dû à l’administration fiscale au titre des années 2011 et 2012. La SAF lança également un deuxième audit portant sur les années fiscales 2014 et 2015. Préoccupés par l’éventuel lancement d’une deuxième procédure pénale et la saisie de plus d’actifs, ce qui aurait rendu l’entreprise inopérable, les distributeurs versèrent 75 millions USD à la SAF au titre des déficiences alléguées pour la période allant de 2011 à 2015. Ce versement était accompagné d’une note affirmant que les distributeurs protestaient contre ce paiement, et que ce dernier ne constituait pas une admission de culpabilité.

La saisie conservatoire fut levée et les distributeurs demandèrent à la SAF de présenter un nouveau calcul de leur facture fiscale reflétant une réduction des intérêts et pénalités pour tenir compte du paiement réalisé. Un nouveau calcul fut préparé, mais les distributeurs craignaient qu’il ne tienne pas correctement compte du paiement réalisé. En effet, la SAF cherchait à recouvrer les intérêts et pénalités manquantes, et demanda au tribunal de placer les distributeurs sous séquestre. Une fois de plus, les distributeurs payèrent en protestant.

Au final, alors que la procédure du tribunal était en cours, la SAF émit des rapports reconnaissant que le nouveau calcul des intérêts et pénalités n’avait pas pris en compte le paiement réalisé par les distributeurs. Peu de temps après, le tribunal pénal ordonna l’indemnisation de l’entreprise. La SAF s’y était refusée à plusieurs reprises, insistant pour que les distributeurs en fassent la demande par le biais de la procédure administrative appropriée.

La procédure pénale en était toujours à l’étape de l’enquête, ne donnant lieu à aucune condamnation, au moment où l’arbitrage a été lancé, 4 ans après le début de la procédure. Entre-temps, en 2017, IC Power vendit les distributeurs à I Squared Capital, une société financière privée des États-Unis, mais retint, par contrat, le droit exclusif de lancer un arbitrage au titre du traité s’agissant du différend avec la SAF.

Le recours en arbitrage

En 2018, IC Power déposa une notification d’arbitrage, réclamant 113 130 000 USD pour la violation du TBI Israël-Guatemala. L’entreprise se plaignait d’une violation des normes de protection prévues à l’article 2, notamment le TJE et la non entrave par des mesures déraisonnables, ainsi que des clauses parapluie importées dans le traité au moyen de la NPF contenue à l’article 3.

Rejet des arguments sur la compétence

Le Guatemala arguait que IC Power ne pouvait présenter un recours, pour plusieurs raisons. D’abord, puisque IC Power ne disposait d’aucun actif protégé par le traité dans le pays au moment de la plainte, le tribunal arbitral n’avait pas compétence. IC Power rétorqua que la conservation contractuelle de son droit à présenter un recours constituait en lui-même un investissement. Le tribunal n’était pas d’accord, concluant que le recours d’IC Power ne portait pas sur un actif situé au Guatemala, et qu’un investisseur qui a vendu ses actifs dans le pays n’est pas en mesure de présenter un recours, sauf en des circonstances particulières. Toutefois, il conclut également que la conservation contractuelle du droit à présenter un recours relevait justement de ces circonstances particulières qualifiantes, du moment que la conservation était absolue et tant que le détenteur du droit avait détenu à un moment ou un autre l’investissement en question.

Le Guatemala arguait également que IC Power demandait au tribunal de jouer le rôle de cour nationale ou de cour d’appel sur des questions de droit guatémaltèque puisque les recours étaient de nature interne. L’entreprise s’opposa à ces arguments pour plusieurs raisons : d’abord, il y avait EU une violation du traité, et ensuite, il n’y avait pas eu de condamnation ou même de jugement, et le tribunal ne pouvait donc pas agir en tant qu’organe d’appel. Le tribunal conclut qu’il existait un différend quant à l’application du traité et qu’il ne fallait pas ignorer cet aspect du différend au seul motif qu’il comportait également des caractéristiques internes.

Le tribunal rejeta également cinq autres objections à sa compétence, et reporta l’examen de quelques autres à la phase de l’examen quant au fond.

Le traitement d’IC Power par le Guatemala ne viole pas le TJE

Le tribunal examina d’abord l’argument d’IC Power s’agissant de l’article 2 sur le TJE, et en particulier le rejet par la SAF des avis fiscaux contraignants et le lancement de procédures pénales, y  compris les audiences ex parte et la saisie des actifs. Selon le demandeur, ce comportement était arbitraire, violait des attentes légitimes, la procédure régulière et l’équité procédurale.

Le tribunal divisa ce recours en trois parties. IC Power arguait que, en lançant des procédures pénales et en demandant la saisie des actifs, la SAF avait bafoué ses propres avis fiscaux, qu’elle était tenue de respecter, et ce avant l’épuisement des procédures administratives, comme l’exige la loi du Guatemala. L’entreprise alléguait par ailleurs que la cour pénale avait violé le TJE en accordant la demande de saisie. Le Guatemala rétorqua que les avis fiscaux contraignants avaient été émis sur la base d’un ensemble incomplet de faits fourni par les distributeurs, et étaient subordonnés à la présentation de justificatifs des dépenses en question, et au fait que les dépenses devaient générer des revenus imposables, ce qui n’était pas le cas. Il arguait également que les avis fiscaux n’étaient contraignants que pour la SAF, et n’empêchaient pas le lancement de procédures pénales. Il affirma en outre que la SAF n’avait aucune obligation d’épuiser les procédures administratives, et au contraire, était tenue de suspendre ces procédures pour déposer une plainte lorsque les allégations de fraude fiscale sont avérées. Finalement, l’État argua que les saisies conservatoires n’étaient pas inhabituelles au Guatemala, et qu’en en ordonnant une, le tribunal n’avait fait que respecter le droit guatémaltèque.

Le tribunal se rangea du côté du Guatemala et détermina que, au titre de la loi, les avis fiscaux contraignants n’empêchaient pas la SAF de déposer une plainte pénale si elle découvrait des preuves qu’un crime avait été commis. Bien au contraire : elle était tenue de le faire, sans nécessairement avoir à épuiser les procédures administratives. Aussi, le Guatemala n’avait porté atteinte à aucune attente légitime d’IC Power. Le tribunal accepta également que les avis fiscaux n’étaient valables que si les représentations faites à la SAF étaient complètes et correctes, et que la SAF n’était pas responsable de leur validation. Finalement, le tribunal conclut que la procédure régulière n’avait pas été sapée puisque l’ordre de saisie de la cour pénale résultait de la procédure régulière et que rien ne prouvait que la cour avait agi de concert avec la SAF pour obtenir des paiements par la force. Le tribunal remarqua également que, puisque la procédure pénale était toujours en cours, et compte tenu du fort respect dû au cours nationales, il hésitait à interférer sans faire preuve d’un comportement flagrant. En résumé, il conclut en faveur de l’absence de violation du TJE.

Le Guatemala n’a pas entravé les investissements d’IC Power par des mesures déraisonnables

Le tribunal conclut que la plainte d’IC Power au titre de l’article 2 selon laquelle le Guatemala avait entravé son investissement par le biais de mesures déraisonnables était fondée sur les mêmes faits que sa plainte portant sur le TJE. Puisque IC Power n’avait pas réussi à démontrer que les mêmes faits pouvaient constituer une entrave à son investissement sans être aussi considérés comme arbitraires, le tribunal rejeta le recours pour les mêmes raisons.

Les avis fiscaux contraignants n’étaient pas des engagements spécifiques, et ne violent donc pas les clauses parapluie

IC Power arguait que le Guatemala avait violé les clauses parapluie d’autres traités d’investissement importées dans le TBI Israël-Guatemala au moyen de la disposition de la NPF de l’article 3. Les traités conclus avec l’Union économique belgo-luxembourgeoise (UEBL), l’Argentine et la Corée du Sud incluent des dispositions protégeant les engagements pris auprès d’investisseurs individuels comme s’ils étaient inclus dans le traité lui-même. IC Power considérait les avis fiscaux contraignants comme des engagements pris par le Guatemala puis abandonnés. Quant à lui, l’État arguait que la clause NPF ne s’appliquait qu’à l’exercice des droits et des devoirs protégés par le traité avec Israël, et que IC Power tentait de créer de nouvelles protections qui n’étaient pas incluses à l’origine. Le Guatemala affirmait également que, dans tous les cas, les avis fiscaux contraignants ne constituaient pas des engagements spécifiques.

Puisque les avis fiscaux contraignants n’empêchaient pas la SAF de lancer des procédures pénales, le tribunal accepta le raisonnement du Guatemala selon lequel ils ne constituaient pas un engagement vis-à-vis de l’investisseur. Il s’abstint de trancher la question de savoir si l’article 3 permettait l’importation des clauses parapluie d’autres traités ou si IC Power pouvait les utiliser.

La décision et les coûts

Le tribunal rejeta l’ensemble des objections du Guatemala à la compétence du tribunal, ainsi que l’ensemble des recours d’IC Power.

Le tribunal ordonna à IC Power de payer les deux tiers des frais d’arbitrage et dépenses juridiques du Guatemala. En arrivant à cette conclusion, le tribunal remarqua que la partie déboutée est généralement condamnée aux dépens, mais que puisque le Guatemala avait présenté six objections infructueuses à la compétence du tribunal que IC Power a dû défendre, l’État devait payer un tiers de ses propres frais.

Remarques : le tribunal était composé du Professeur Albert Jan van den Berg (président, des Pays-Bas), du Professeur Guido S. Tawil (nommé par le demandeur, d’Argentine), et du Professeur Raúl Emilio Vinuesa (nommé par le défendeur, d’Argentine et d’Espagne). La décision est disponible sur https://jusmundi.com/en/document/decision/en-ic-power-asia-development-israel-v-republic-of-guatemala-friday-15th-november-2019.


Auteur

Dave Duckett est étudiant à la Faculté de droit et la Faculté pour l’environnement et la durabilité de l’Université du Michigan, et stagiaire auprès du programme de l’investissement au service du développement durable d’IISD.