Un tribunal CIRDI rejette sa compétence ratione voluntatis sur les recours lancés contre l’Iraq au titre de l’Accord d’investissement de l’OCI

Itisaluna Iraq LLC et autres c. la République d’Iraq, Affaire CIRDI n° ARB/17/10

Le 3 avril 2020, un tribunal CIRDI rejetait sa compétence sur une affaire lancée au titre de l’Accord de promotion, de protection et de garantie des investissements, conclu entre les États membres de l’Organisation de la coopération islamique (OCI). La majorité du tribunal détermina que les investisseurs n’avaient pas respecté l’exigence préalable de mener une conciliation, et que le consentement de l’Iraq à l’arbitrage CIRDI au titre de la clause NPF de l’Accord de l’OCI ne pouvait être établi.

Le contexte et les recours

Munir Sukhtian Investment LLC (MSI), une entreprise enregistrée en Jordanie, avait conclu un Accord national de licence avec la Commission nationale iraqienne des communications et des médias, en juin 2016. MSI paya 20 millions USD pour l’acquisition de la licence, et investit plusieurs centaines de millions de dollars dans la mise en œuvre des termes de l’Accord de licence.

Au titre de l’Accord de licence, MSI avait le droit d’installer, de construire, d’opérer, de gérer et de mettre à disposition un réseau de télécommunications publiques dans le pays. MSI avait également le droit d’établir et d’opérer les services internationaux de passerelles nécessaires à l’acheminement des données de télécommunication. Selon MSI, le Secrétariat général du Conseil des ministres n’avait jamais autorisé MSI à opérer ses propres passerelles internationales comme le prévoyait l’Accord de licence, malgré des demandes répétées auprès de plusieurs organes de l’État iraqien.

En mars 2017, MSI, Itisaluna Iraq LLC (enregistrée en Jordanie), et VTEL Holdings Ltd et VTEL Middle East and Africa Limited (toutes deux enregistrées à Dubaï), (collectivement, « les investisseurs »), déposèrent une demande d’arbitrage auprès du CIRDI. Les investisseurs alléguaient des violations de l’Accord d’investissement de l’OCI et du TBI Iraq-Japon, notamment de l’article 3 (relatifs aux obligations de traitement national) du TBI Iraq-Japon, et des articles 2, 4, 10 et 14 de l’Accord d’investissement de l’OCI (relatifs à la sécurité et la promotion de l’investissement, à l’expropriation et au TJE).

Le CIRDI enregistra l’affaire en avril 2017. En octobre de la même année, l’Iraq présenta deux objections à la compétence du tribunal, fondées sur la ratione voluntatis et la ratione temporis, arguant qu’aucun élément ne permettait de conclure que l’Iraq avait bel et bien donné son consentement à l’arbitrage CIRDI.

Le 27 octobre 2017, les parties acceptèrent le fait que l’objection de l’Iraq à la compétence ratione voluntatis et toute autre objection soient examinées dans le cadre d’une phase préliminaire distincte. Et le 29 juin 2018, le tribunal annonça la bifurcation de la procédure.

Interprétation et application de l’Accord de l’OCI

Le tribunal examina, en premier lieu, parmi d’autres points, le fait que les parties n’avaient présenté aucun précédent permettant d’orienter le tribunal quant à l’interprétation et l’application de l’Accord de l’OCI, ou quant à son interaction avec les traités bilatéraux d’investissement par le biais de sa clause NPF ; selon le tribunal, « l’affaire n’entr[ait] pas dans le cadre de la jurisprudence générale des traités d’investissement » (para. 65).

La nature et le caractère multilatéraux de l’Accord de l’OCI doivent être respectés

Le tribunal remarqua que contrairement aux dires des investisseurs, les termes de l’Accord de l’OCI ne pouvaient être interprétés de manière à « élargir la compétence » du tribunal en vertu de sa disposition sur le règlement des différends, en invoquant un TBI conclu entre une partie contractante (l’Iraq) et une partie non contractante (le Japon). Il expliqua en outre qu’à l’heure d’interpréter l’application de l’Accord de l’OCI, qui est un traité multilatéral, il fallait faire preuve de prudence pour veiller à respecter le sens ordinaire du traité à la lumière de la pratique de toutes ses parties contractantes, et non pas uniquement de la pratique en matière de traités bilatéraux de l’une des parties à l’Accord.

Le tribunal conclut donc qu’en l’espèce, l’interprétation de l’Accord de l’OCI devait avoir le même sens pour toutes ses parties contractantes. Aussi, « son sens ne pouvait être influencé par la pratique, sans liens, en matière de traités d’une seule partie contractante [c.-à-d. l’Iraq] » (para. 153).

Le tribunal détermina donc, qu’aux fins de l’interprétation de l’application d’un accord multilatéral, il ne pouvait s’appuyer sur la pratique en matière de traités d’une seule partie, l’Iraq. .

Lien entre l’article 16 et l’article 17 de l’Accord de l’OCI : l’accord envisage l’arbitrage investisseur-État internationalisé

Les positions des parties quant à savoir si l’Iraq avait ou non consenti à l’arbitrage international des investissements dépendaient de l’interprétation des articles 16 et 17 de l’Accord de l’OCI, qui font respectivement référence à l’arbitrage national, et au règlement des différends diplomatiques. Les demandeurs arguèrent que les articles 16 et 17 de l’accord devaient être interprétés conjointement, puisque, de cette manière, l’article 16 confirme que l’Accord de l’OCI envisage le RDIE, qui couvre l’arbitrage international. L’Iraq arguait, quant à elle, que les articles 16 et 17 abordaient deux questions distinctes. Le tribunal conclut toutefois qu’aux fins de l’application, et compte tenu des règles générales portant sur l’interprétation des traités, l’article 16 ne pouvait être déconnecté de l’article 17 et « interprété individuellement » (para. 160). Il ajouta, « l’article 16 envisage [le RDIE] », faisant référence à l’objet et au but du traité et à l’intention des parties d’offrir et de mettre en place un climat favorable aux investissements. Il expliqua en outre que le libellé utilisé dans l’article 16 soutient l’argument selon lequel « l’Accord de l’OCI envisage la possibilité d’internationaliser l’arbitrage investisseur-État ».

Interprétation de l’article 17 de l’Accord de l’OCI : les parties contractantes envisageaient un mécanisme sur mesure de règlement des différends mais celui-ci n’a jamais été mis en place

Le tribunal remarqua que l’article 17 prévoyait clairement la création d’un mécanisme sur mesure de règlement des différends découlant de l’Accord, mais détermina, en accord avec le tribunal de l’affaire Al-Warraq, qu’aucun élément ne permettait de conclure que la Cour islamique internationale de justice, établie par la Charte de l’OCI, était l’organe approprié au titre de l’article 17. Il ajouta, pour conclure, qu’« il n’existe actuellement pas d’organe de règlement des différends en vertu de l’Accord de l’OCI qui soit opérationnel et à même d’examiner les recours investisseur-État » (para. 171). Le tribunal se pencha ensuite sur la question de savoir si la recherche d’une conciliation était une précondition à l’accès à l’arbitrage, et si les investisseurs l’avaient bel et bien respecté.

L’Accord de l’OCI contient le consentement au RDIE mais il est assujetti à une obligation de conciliation préalable

Les investisseurs arguèrent que la conciliation n’était pas obligatoire, mais optionnelle. À l’inverse, l’Iraq argua qu’au titre de l’article 17(2) la conciliation préalable est une obligation. Après avoir examiné les traductions assermentées présentées par les deux parties de l’article 17(2), la majorité du tribunal détermina que dans les deux versions « la formulation conditionnelle « si… alors » semble soutenir la conclusion selon laquelle le recours à la conciliation est une condition préalable à l’arbitrage », plutôt qu’un choix (para. 177).

Le tribunal examina ensuite si l’article 17 de l’Accord de l’OCI constituait un consentement à l’arbitrage en général. Il détermina sur ce point que le fait que l’article 17 donne le consentement à l’arbitrage en termes généraux explique précisément pourquoi le consentement général à l’arbitrage ne contient pas le consentement à l’arbitrage CIRDI.

Interprétation et application de l’article 8 de l’Accord de l’OCI : la clause NPF peut être utilisée, mais pas en l’espèce compte tenu de considérations de politique publique

Les investisseurs arguaient que le consentement de l’Iraq à l’arbitrage CIRDI contenu à l’article 17(4)(a) du TBI Iraq-Japon pouvait être importé au moyen de l’article 8 de l’Accord de l’OCI. La majorité du tribunal rejeta cet argument, notant que l’article 8(2) de l’Accord de l’OCI prévoit des limites expresses à l’application de la clause NPF. Par exemple, elle ne s’applique pas au traitement différentiel accordé aux investisseurs de l’une des parties contractantes de l’Accord de l’OCI par une autre partie contractante. Le tribunal clarifia en outre que certains des investisseurs pouvaient invoquer le TBI Iraq-Jordanie. Malgré cela, les investisseurs décidèrent collectivement de s’appuyer plutôt sur le TBI Iraq-Japon, se plaçant ainsi en dehors du cadre de l’article 8 et de l’exception contenue à l’article 18 de l’Accord de l’OCI. Le tribunal déclara donc que les investisseurs « choisissaient certains éléments du TBI Iraq-Japon » puisqu’ils cherchaient à s’appuyer sur son consentement à l’arbitrage CIRDI tout en contournant le délai prescrit à l’article 17(6) du TBI (para. 193).

Le tribunal précisa que même si ces arguments n’avaient pas été mis en avant par les parties, ils étaient pertinents car ils « clarifient l’intention, les effets et les limites de la clause NPF, et de son cadre de politique publique, sur lequel les investisseurs cherchent à s’appuyer » (para 207). Il ajouta en outre que le fait d’autoriser les demandeurs à invoquer le TBI Iraq-Japon les placerait dans une meilleure position que celle des investisseurs japonais investissant en Iraq au titre du TBI Iraq-Japon.

Le tribunal considéra donc qu’en l’espèce, il fallait trouver un compromis entre le respect des principes du droit des traités d’investissement d’une part, et le fait d’éviter les abus et le « treaty-shopping » d’autre part. Faisant référence à l’affaire Maffezini c. Espagne, le tribunal remarqua que l’application des clauses NPF ne devrait pas avoir primauté sur les considérations de politique publique, puisqu’il se pourrait que les parties aient envisagé des obligations préalables essentielles à leur acceptation d’un accord, telles que l’épuisement des voies de recours internes, les clauses d’option irrévocable, un forum spécifique d’arbitrage ou un système fortement institutionnalisé. Ces types de préconditions semblent refléter la volonté des parties souveraines et doivent donc être respectées. Par conséquent, le tribunal ajouta par ailleurs que l’Accord de l’OCI proposait un cadre clairement défini, incluant un forum d’arbitrage doté de caractéristiques sur mesures, qui omet intentionnellement l’arbitrage CIRDI. Faisant écho au raisonnement de l’affaire Maffezini, le tribunal conclut que cette décision était « fondée sur des considérations de politique publique » (para. 218).

Les coûts

Le tribunal ordonna aux investisseurs de rembourser à l’Iraq ses frais et dépenses juridiques, d’un total de 724 662,94 USD, et sa part des coûts juridiques de l’arbitrage, d’un montant de 172 720,47 USD.

Le tribunal détermina en outre qu’aucun intérêt ne serait ajouté au paiement de la somme totale de 897 383,41 USD, pendant une période de trois mois à compter de la date de la décision. Il imposa cependant un taux d’intérêt prorata de 1 % par an sur tout montant impayé, dès trois mois après la date de la décision et ce jusqu’à la date finale de paiement total.

L’opinion divergente de Wolfgang Peter

Dans une opinion divergente partielle, incluse dans une section de la décision finale, Peter concluait que le tribunal avait compétence sur l’affaire car l’article 17 prévoit la conciliation et l’arbitrage, comme formes distinctes de règlement des différends pouvant être utilisées l’une après l’autre, ou alternativement, et donc que l’absence de tentative de conciliation préalable n’empêchait pas l’accès à l’arbitrage. Il ajouta, citant le tribunal de l’affaire Al-Warraq, que « l’absence d’accord de conciliation préalable ne constitue pas un obstacle à l’arbitrage investisseur-État » (para. 234).

Il remarqua également que la limite incluse à l’article 8 de l’Accord de l’OCI ne s’appliquait pas aux demandeurs puisqu’ils s’appuyaient sur le TBI Iraq-Japon et que le Japon n’est pas partie à l’Accord de l’OCI. Il observa en outre que le fait de donner effet à la clause NPF incluse à l’article 8 était conforme à une interprétation et une application actives et directes de la clause. Peter conclut que l’argument des demandeurs, selon lequel le consentement de l’Iraq à l’arbitrage CIRDI était contenu dans l’article 17(4) du TBI et pouvait être importé dans l’Accord de l’OCI au moyen de la clause NPF, devait être admis, puisque, au final, « la clause NPF est invoquée dans le but de remplacer une procédure inefficace par une procédure efficace, et une autorité inefficace en charge des nominations par une autorité efficace » (para. 242).

Remarques : le tribunal était composé de Daniel Bethlehem (président nommé sur accord des parties, de Grande-Bretagne), de Wolfgang Peter (nommé par les demandeurs, de Suisse), et de Brigitte Stern (nommée par le défendeur, de France). La décision du 3 avril 2020 est disponible sur https://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw11410.pdf

Maria Bisila Torao  est une avocate internationale basée à Londres. Elle détient un master en droit, arbitrage international au titre des traités, de l’Université d’Uppsala, un master en droit, arbitrage commercial international, de l’Université de Stockholm, et une licence en droit de l’Université de Malaga.