Un tribunal du HKIAC rejette les recours de Jin Hae Seo, une citoyenne des États-Unis, contre la Corée du Sud estimant qu’il n’a pas compétence

Jin Hae Seo c. la République de Corée, Affaire HKIAC n° HKIAC /18117

Le 27 septembre 2019, un tribunal du Centre d’arbitrage international de Hong-Kong (HKIAC) rejetait, pour des raisons de compétence, les recours fondés sur l’expropriation présentés par Jin Hae Seo, une citoyenne des États-Unis, contre la République de Corée (la Corée) au titre de l’ALE Corée-États-Unis (ALE CEU) et du règlement de la CNUDCI.

Le contexte et les recours

La demanderesse détenait une maison à deux étages à Séoul depuis 2001. En 2007, le gouvernement coréen décida de redévelopper la zone dans laquelle se trouvait la maison pour améliorer les conditions de vie. Les propriétaires de biens immobiliers situés dans la zone pouvaient choisir d’acquérir la propriété redéveloppée, ou d’obtenir une indemnisation en espèce.

Dans un premier temps, la demanderesse choisit d’acquérir la propriété, avant de changer d’avis plus tard. Les autorités coréennes exécutèrent un ordre d’expulsion à son encontre en 2016, après quoi elle rejeta l’indemnisation offerte par les autorités locales pour sa propriété.

En 2016, la demanderesse fit amender le registre foncier pour y faire figurer sa nationalité étasunienne. Après avoir libéré la propriété, elle présenta les recours fondés sur l’expropriation contre la Corée au titre de l’ALE CEU.

L’objection de la Corée à la compétence

La Corée argua que la demanderesse n’avait pas réalisé un investissement au titre de l’ALE CEU puisqu’aucune des trois caractéristiques de l’investissement au titre de l’ALE CEU n’était respectée, et puisque les critères du test de Salini n’étaient pas respectés. Quant à elle, la demanderesse maintenait que sa propriété était un investissement puisqu’elle respectait les trois critères de la liste exhaustive contenue dans l’ALE CEU et puisque les critères du test de Salini n’étaient pas applicables. En outre, les parties au différend n’étaient pas d’accord quant à savoir si la propriété était ou non un « investissement couvert » au titre de l’ALE.

Selon le tribunal, un actif est considéré comme un investissement au titre de l’ALE CEU seulement s’il présente les « caractéristiques d’un investissement ». Le tribunal s’est intéressé aux trois critères expressément mentionnés à l’article 11(28) de l’ALE CEU : « l’engagement de capitaux ou d’autres ressources, l’attente d’un gain ou d’un profit, ou la prise de risques ». Il remarqua que l’expression « notamment des caractéristiques telles que » placée avant indiquait que la liste n’était pas exhaustive, et que le « ou » placés entre elles indiquait que toutes trois ne devaient pas nécessairement être présentes simultanément et qu’aucune d’entre elles n’était indispensable (para. 93 et 94). De plus, le tribunal détermina que le « ou » infirmait l’argument de la Corée selon lequel l’ensemble des quatre critères du test de Salini devaient être respectés.

Le tribunal rejeta l’argument de la Corée selon lequel le pluriel de « caractéristiques » signifiait qu’au moins deux d’entre elles devaient être présentes, considérant que les rédacteurs n’avait pas inclus cette prescription dans l’ALE (para. 95). Le tribunal détermina donc qu’il devait procéder à une évaluation globale des caractéristiques, à commencer par celles mentionnées, compte tenu de l’importance qu’y attachaient les rédacteurs.

En outre, il n’appliqua pas le test de Salini, notant qu’il avait été développé dans le contexte de la Convention du CIRDI qui ne définit pas l’investissement, tandis que l’ALE CEU le définit expressément (para. 98). Il remarqua cependant que la définition non exclusive de l’ALE lui permet de tenir compte des critères du test de Salini.

« L’engagement de capitaux » ne doit pas nécessairement être d’origine étrangère, mais il doit être important

Rejetant l’affirmation de la Corée, le tribunal détermina que la définition contenue à l’article 11(28) n’exige pas nécessairement que les ressources engagées soient d’origine étrangère. Il détermina également que le critère de l’origine étrangère, sous-entendue dans le préambule de l’ALE CEU, est satisfait pas d’autres prescriptions de fond : un « investisseur de l’autre partie » ou « un investisseur d’un État non partie » (para. 103).

Se rangeant du côté de la Corée, le tribunal détermina que l’engagement de capitaux est un critère pertinent, qui, comme le mentionne le préambule, vise « à améliorer les conditions de vie, promouvoir la croissance et la stabilité économiques, créer de nouveaux emplois, et améliorer le bien-être général dans [les] territoires [des parties] en libéralisant et en accroissant les échanges » (para. 104). Il considéra toutefois que si les investissements individuels ne peuvent être tenus d’atteindre, par eux-mêmes, les objectifs du traité, un investissement si minime qu’il n’est pas en mesure de contribuer à l’économie du pays d’accueil ne peut bénéficier des protections du traité. En l’espèce, le tribunal détermina que l’engagement de 300 000 USD de la part de la demanderesse n’était pas « insignifiant », et aurait sans aucun doute été admis comme « significatif » si l’objet de l’investissement était « clairement de nature commerciale », tel que l’acquisition d’un bureau ou d’une usine (para. 106).

C’est l’objectif prédominant au moment de l’acquisition de la propriété qui détermine s’il existe une « attente d’un gain ou d’un profit », plutôt que les fins d’utilisation du profit

Le tribunal détermina que l’existence d’une attente d’un gain ou d’un profit dépendait de l’objectif prédominant de l’investissement au moment de l’acquisition de la propriété (para. 125) : celui-ci devrait être de réaliser un profit, et non pas, comme c’est le cas en l’espèce, d’acquérir une résidence privée ; et il ne devrait pas être différent, puis modifié par la suite en faveur de la réalisation d’un profit (para. 127).

Le tribunal concéda à la demanderesse que l’utilisation des profits n’était pas pertinente pour déterminer si la caractéristique existait (para. 109) ; aussi, le transfert, par la demanderesse, des loyers tirés de la location de la propriété à ses parents n’était pas pertinent. Il détermina qu’il n’est pas nécessaire, pour qu’existe « l’attente d’un gain ou d’un profit », de prendre part à des activités commerciales puisque cet élément fait partie inhérente du critère de « la prise de risques » (para. 110).

Le tribunal remarqua, comme l’arguait la Corée, que la demanderesse avait acquis la propriété comme résidence privée et ne l’avait pas loué au cours des deux premières années ; seule une unité non occupée par ses parents était louée. Il remarqua également que la demanderesse n’avait pas avancé qu’elle avait cherché des locataires, et qu’elle n’avait mis la propriété en location que peu de temps avant de déménager aux États-Unis. Aussi, le tribunal conclut que puisque l’objectif prédominant au moment de l’investissement était d’acquérir une résidence privée plutôt qu’un investissement générateur de revenus (para. 126), il était peu enclin à accepter l’existence de cette caractéristique.

Les caractéristiques d’un investissement, notamment « la prise de risque », doivent aller au-delà des aspects inhérents d’un actif pour être admis comme un investissement au titre de l’article 11(28) de l’ALE CEU

La demanderesse argua qu’elle avait fait face à quatre risques : (1) le déclin de la valeur de la propriété après son acquisition, (2) le risque d’expropriation de la propriété, (3) le fait que la propriété soit assujettie aux lois du pays d’accueil, et (4) la non matérialisation des loyers anticipés.

Se rangeant du côté de la Corée, le tribunal détermina que les risques (1), (2) et (3) ne pouvaient en eux-mêmes constituer une « prise de risques », notant que tous les propriétaires fonciers font face à ces risques. Selon le tribunal, les caractéristiques requises d’un investissement, notamment la prise de risques, doivent aller au-delà des caractéristiques inhérentes à tout type d’actif ; dans le cas contraire, il serait futile d’exiger d’un investissement qu’il présente certaines « caractéristiques » (para. 130). Le tribunal nota par ailleurs que l’acquisition d’un actif dans un autre État comporte inévitablement les risques (2) et (3) (para. 132).

Le tribunal était disposé à admettre le risque (4) comme attestant d’une prise risque puisque s’il existe une attente de profits, il y a un risque que celle-ci soit frustrée. Il remarqua toutefois que puisque l’on pouvait douter de l’attente d’un gain ou d’un profit, le risque qu’il ne se matérialise pas était tout aussi faible.

Un « investissement couvert » au titre de l’ALE CEU

Bien qu’il conclut que la propriété de la demanderesse ne constituait pas un « investissement », le tribunal examina si elle pouvait être admise en tant qu’« investissement couvert », par le biais de son « établissement », ou de son « développement » après l’entrée en vigueur de l’ALE CEU.

Dans le contexte de son analyse, le tribunal rejeta l’affirmation de la demanderesse selon laquelle elle avait établi son investissement présumé lorsque sa nationalité étasunienne était mentionnée dans le registre foncier, pour trois motifs. D’abord, elle n’avait fait modifier le registre foncier qu’après l’expropriation alléguée (par. 148). Ensuite, sa nationalité n’était pertinente que pour son statu personnel en tant qu’« investisseur de l’autre partie », et ne concernait pas l’investissement (para. 149). Enfin, seuls les actes portant création d’un actif auraient permis d’« établir » un investissement, comme par exemple la construction d’une usine ou l’enregistrement de droits de propriété intellectuelle. Puisqu’elle n’avait réalisé que des engagements supplémentaires minimes et apporté des modifications insignifiantes à la propriété – notamment l’érection d’une clôture, le pavage du parking et le changement du papier-peint – le tribunal considéra que la demanderesse n’avait pas « développé » son investissement.

En outre, le tribunal détermina qu’au titre de l’ALE CEU, la définition d’un « investissement couvert » cherche à exclure les cas où l’investisseur n’avait pas un engagement équivalant à la détention, l’acquisition ou l’établissement de l’investissement (para. 163). Selon lui, le changement de nationalité de la demanderesse, ou les modifications mineures apportées à sa propriété ne constituaient pas le niveau d’engagement requis.

La décision et les coûts

Rejetant tous les recours présentés contre la Corée, compte tenu de son absence de compétence, le tribunal ordonna à chacune des parties de payer ses propres frais juridiques, ainsi que la moitié des frais et dépenses du tribunal et du HKIAC.

Remarques : le tribunal était composé de Bruno Simma (arbitre président, nommé par les co-arbitres au titre du règlement du HKIAC, d’Allemagne), de Benny Lo (nommé par la demanderesse, de Hong-Kong) et de Donald McRae (nommé par le défendeur, du Canada et de Nouvelle-Zélande). La décision du 27 septembre 2019 est disponible sur https://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw10880.pdf

Yashasvi Tripathi est une juriste basée à New York. Elle détient une maitrise en droit, arbitrage international et différends, de la Faculté de droit de l’Université de New York, et une licence de droit (avec distinction) de l’Université nationale de droit de New Delhi, en Inde.