Les recours contre l’Albanie sont rejetés par un tribunal du CIRDI qui détermine qu’Anglo-Adriatic Group n’avait pas d’investissement protégé

Anglo-Adriatic Group Limited c. la République d’Albanie, Affaire CIRDI n° ARB/17/6

Un tribunal du CIRDI a déterminé qu’il n’avait pas compétence sur les recours présentés contre l’Albanie par Anglo-Adriatic Group (AAG), une entreprise enregistrée dans les Îles vierges britanniques. Les arbitres ont rendu leur décision le 7 février 2019.

Le contexte et les recours

L’entreprise Anglo Adriatika Investment Fund (AAIF) fut créée en 1996 pour participer au processus de privatisation post-soviétique de l’Albanie. Quatre actionnaires non albanais détenaient la moitié des parts de l’entreprise, et un citoyen albanais détenait l’autre moitié.

La même année, AAG fut enregistrée dans les Îles vierges britanniques avec, pour objectif commercial principal, la détention des parts d’AAIF. AAG arguait qu’elle avait réalisé deux investissements : d’abord, les actionnaires étrangers avaient déclaré détenir, en 1996, leur participation en fiducie au bénéfice d’AAG, donnant à cette dernière la propriété effective d’AAIF (le premier investissement) ; ensuite, AAG avait octroyé des prêts à AAIF (le deuxième investissement).

AAG alléguait que l’Albanie avait empêché AAIF de prendre part au processus de privatisation, expropriant indirectement AAIF de sa valeur et la traitant de manière discriminatoire par rapport à d’autres investisseurs étrangers et nationaux. En décembre 2016, AAG lança un arbitrage fondé sur la loi albanaise n° 7764 (Loi sur les investissements étrangers), qui prévoit l’arbitrage au titre du CIRDI.

Dans leur décision, les arbitres ont abordé deux questions : (1) AAG détenait-elle le premier investissement ? Et (2) le deuxième investissement était-il un investissement protégé au titre de la Loi sur les investissements étrangers ?

AAG ne détenait pas de parts dans AAIF

AAG arguait qu’elle avait réalisé un investissement protégé en recevant la propriété effective des parts détenues par les actionnaires étrangers en 1996.

Pour évaluer s’il avait compétence sur l’affaire, le tribunal appliqua un test en trois étapes : (1) existe-t-il un investissement protégé ?; (2) y a-t-il un investisseur protégé ?; et (3) l’investisseur protégé détient-il l’investissement protégé ? Compte tenu du raisonnement de l’affaire Phoenix Action c. la Tchéquie, il incombait à AAG de prouver le respect de ces trois points.

D’après les arbitres, AAG avait démontré l’existence d’AAIF et de ses parts de propriété étrangère, ainsi que la contribution en capital, respectant ainsi le premier point. En outre, il conclut qu’AAG avait établi qu’elle était une personne juridique enregistrée conformément aux lois d’un pays étranger, et donc un investisseur protégé. Cependant, le tribunal conclut qu’AAG n’avait pas respecté le troisième point, puisqu’elle n’avait pas démontré être la propriétaire ou la tenante des parts de propriété étrangère.

AAG alléguait que les parts avaient été transférées au moyen de quatre actes de fiducie régis par le droit britannique. Le tribunal définit une fiducie en common law comme étant « une relation juridique créée par un ‘constituant’ par laquelle les actifs […] sont placés sous la propriété d’un ‘fiduciaire’ pour le bénéfice d’un ‘bénéficiaire’ » (para. 226). Après analyse des documents, les arbitres constatèrent qu’AAG apparaissait à la fois comme constituante et comme bénéficiaire. Aussi, les actes de fiducie ne soutenaient pas l’argument d’AAG selon lequel les actionnaires étrangers avaient transférés la propriété effective de leurs parts à AAG.

En outre, le tribunal remarqua que la loi albanaise n° 7979 (Loi sur les fonds d’investissement) exigeait l’enregistrement des transferts de participations auprès des autorités dans les 10 jours, et l’identification des actionnaires tous les trimestres. Il ne trouva malgré tout aucun élément attestant de l’enregistrement par AAIF ou par AAG du soi-disant transfert des parts de propriété étrangère.

Finalement, les arbitres conclurent qu’aucun élément n’attestait qu’AAG avait payé une contrepartie appropriée aux actionnaires étrangers en échange des parts. S’appuyant sur l’affaire KT Asia c. le Kazakhstan, ils déterminèrent qu’un investisseur qui n’avait pas payé de contrepartie ne pouvait bénéficier de la protection de son investissement.

Aussi, le tribunal conclut qu’AAG n’avait pas réussi à démontrer que les actionnaires étrangers avaient transféré la propriété de leurs parts, ou qu’AAG avait payé une contrepartie en échange des parts. Il détermina donc qu’AAG ne détenait pas le premier investissement, et donc qu’il n’avait pas compétence sur l’affaire.

AAG n’a pas réalisé d’investissement protégé

AAG affirmait également avoir réalisé un investissement protégé, puisqu’elle avait prêté 5 334 133 USD à AAIF pour couvrir ses coûts opérationnels. Pour démontrer l’existence des prêts, AAG produisit un document intitulé « Accord de financement en cours » ainsi qu’une feuille de calcul présentant les dépenses opérationnelles d’AAIF.

Le tribunal revint sur le test préliminaire en trois étapes et conclut qu’AAG n’avait pas démontré le respect du premier point – l’existence d’un investissement protégé. Selon les arbitres, l’Accord de financement en cours se contentait de mentionner la possibilité future d’octroyer des prêts, mais ne démontrait pas qu’AAG avait bel et bien prêté de l’argent à AAIF. En outre, selon le tribunal, la feuille de calcul présentant les dépenses opérationnelles d’AAIF ne démontrait pas non plus comment ou quand AAG avait couvert les coûts d’AAIF. Il considéra par ailleurs qu’il était, en principe, aisé pour une entreprise prêtant plus de 5 millions USD de produire des preuves convaincantes du transfert d’argent.

Malgré l’incapacité de l’entreprise de démontrer l’existence des prêts, le tribunal détermina que seuls les investissements réalisés conformément au droit albanais pouvaient être reconnus comme investissements étrangers protégés au titre de la Loi sur les investissements étrangers. Il nota cependant que la loi albanaise en vigueur lorsque l’investissement avait soi-disant été réalisé, interdisait aux fonds d’investissement tels qu’AAIF de recevoir un prêt ou d’emprunter de l’argent. Ainsi, les prêts soient disant accordés par AAG à AAIF auraient été contraires à la Loi albanaise sur les fonds d’investissement.

Le tribunal conclut qu’AAG n’avait pas réalisé d’investissement protégé, car elle n’avait pas démontré l’existence des prêts soient disant octroyés à AAIF, et car, s’ils avaient existé, l’investissement aurait été réalisé en violation de la loi albanaise.

La décision et les coûts

Le tribunal conclut qu’AAG ne détenait pas de parts dans AAIF et n’avait pas réalisé par ailleurs d’investissement protégé au titre de la Loi albanaise sur les investissements étrangers. Aussi, le CIRDI n’avait pas compétence et le tribunal n’avait pas compétence sur les recours présentés par AAG.

S’appuyant sur l’article 61(2) de la Convention du CIRDI, les arbitres ordonnèrent à AAG de payer l’intégralité des coûts de l’arbitrage. Toutefois, considérant que les recours d’AAG n’étaient pas déraisonnables, ils déterminèrent que chacune des parties payerait ses propres frais et dépenses juridiques.

Remarques : le tribunal était composé de Juan Fernández-Armesto (arbitre président nommé par les coarbitres, de nationalité espagnole), de Georg von Segesser (nommé par le demandeur, de nationalité suisse) et de Brigitte Stern (nommée par le défendeur, de nationalité française). La décision du 7 février 2019 est disponible sur https://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw10349.pdf

Pietro Benedetti Teixeira Webber est juriste chez Judith Martins-Costa Advogados (Porto Alegre, Brésil). Il est également Président de l’Association brésilienne des étudiants en arbitrage (ABEArb).