Renforcement de la question de la protection de l’environnement en droit international de l’investissement par l’intégration des principes relatifs à la responsabilité civile internationale

Après plus d’une décennie de débats, il ne fait plus de doute que le cadre mondial régissant les accords internationaux d’investissements (AII) doit faire l’objet d’un vaste processus de réforme afin d’éliminer l’asymétrie qui existe entre les investisseurs étrangers et les États hôtes, et de garantir un meilleur équilibre entre leurs droits et obligations respectifs.

La nécessité de rééquilibrer le régime des AII s’impose particulièrement dans le domaine de la protection de l’environnement. En effet, les activités liées aux investissements peuvent provoquer des dommages environnementaux importants dans chaque pays hôte. En l’occurrence, les États hôtes et les victimes sont souvent dépourvus de tout recours en raison d’une part des particularités propres aux arbitrages entre États et investisseurs, et d’autre part de la nature et des caractéristiques des investisseurs étrangers qui opèrent généralement par le biais de sociétés transnationales.

L’introduction dans les AII de principes relatifs à la responsabilité civile adaptés au droit international de l’environnement figure parmi les pistes pouvant être explorées en vue de renforcer la protection de l’État hôte en cas de dommages environnementaux causés à son territoire par les activités des investisseurs. Une telle solution permettrait de tenir les investisseurs étrangers responsables des dommages environnementaux qu’ils causent sur le territoire de l’État qui accueille leurs investissements et les activités qui en découlent.

Cet article propose d’examiner la façon dont les principes relatifs à la responsabilité civile internationale peuvent être incorporés aux AII. Dans ce but, il est nécessaire en premier lieu d’exposer les principes exacts dont il est ici question et en second lieu d’analyser les outils disponibles pour ce faire.

1. Aperçu des régimes de responsabilité civile internationale

Les « régimes de responsabilité civile internationale » font référence à une série de conventions internationales conclues pour faire face aux conséquences potentiellement dévastatrices de certaines activités dangereuses pour l’environnement et faciliter les demandes en responsabilité civile des États hôtes et des victimes de telles activités sur les territoires de ces États, ainsi que la restauration de l’environnement atteint[1]. Ces conventions créent un système uniforme de règles en matière de responsabilité qui doivent être transposées et appliquées par les États parties au niveau national, moyennant l’adoption de la législation nécessaire à leur mise en œuvre.

Les conventions en matière de responsabilité civile internationale ont été négociées pour parer aux conséquences de certaines activités extrêmement dangereuses, telles que l’énergie nucléaire[2] et les activités pétrolières entraînant des risques de dommages et de pollution importants[3]. Elles ont été suivies peu après par d’autres régimes destinés à lutter contre les dommages causés par les mouvements de marchandises dangereuses et les déchets[4], les organismes vivants modifiés[5] et les activités industrielles sur les eaux transfrontalières[6] ainsi qu’à limiter les atteintes portées à la région antarctique[7]. Toutes ces conventions reposent sur une série de principes uniformes qui peuvent être résumés comme suit :

  • Les conventions donnent une définition de la notion de « dommages » qui, dans les traités les plus récents, exige l’adoption de mesures préventives et de mesures de remise en état de l’environnement endommagé.
  • Elles canalisent la responsabilité pour dommages en la faisant peser sur « l’exploitant » qui est la personne physique ou morale qui contrôle l’activité extrêmement dangereuse.
  • Il s’agit d’une responsabilité objective, c’est-à-dire qu’elle est imposée indépendamment de la faute de l’exploitant ; mais elle peut également faire l’objet d’une exonération.
  • La responsabilité est limitée dans le temps ou en ce qui concerne son montant, ou les deux.
  • L’exploitant doit prouver qu’il est convenablement assuré ou fournir d’autres garanties financières.
  • Des mécanismes d’indemnisations complémentaires sont établis pour les cas où l’exploitant n’est pas responsable en raison de l’application de mécanismes d’exonération de responsabilité et ceux où, même si l’exploitant est responsable, les dommages dépassent les plafonds de responsabilité fixés dans les conventions.
  • Les conventions prévoient quels sont les tribunaux compétents pour connaître des demandes d’indemnisation et quel est le droit applicable.

Globalement, les conventions internationales en matière de responsabilité civile ne connaissent qu’un faible taux de ratification et donc peu sont les instruments qui entrent en vigueur. Toutefois, lorsqu’une convention est entrée en vigueur, l’application des principes énoncés plus haut a été particulièrement efficace pour assurer l’indemnisation des victimes. C’est le cas précisément des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures pour lesquels le régime prévu par la Convention sur la responsabilité civile de 1992 et les accords connexes ont permis le versement de plus de 674 millions de livres sterling à titre de réparation depuis 1978[8]. Ceci vient donc renforcer l’idée selon laquelle les principes de responsabilité civile internationale pourraient jouer un rôle plus important dans le domaine environnemental, en assurant la responsabilisation et en facilitant l’indemnisation des dommages environnementaux.

2. L’intégration des principes de responsabilité civile internationale au droit international de l’investissement

L’incorporation des principes de responsabilité civile internationale aux AII pourrait offrir aux États hôtes et à leurs citoyens une protection supplémentaire et très efficace contre les effets néfastes des activités économiques dangereuses des investisseurs étrangers. Une telle intégration permettrait d’une part de garantir une protection adéquate des victimes des dommages causés à l’environnement, en leur donnant accès à une forme d’indemnisation rapide et appropriée, et d’autre part de faciliter la réhabilitation des zones affectées en leur état d’origine.

Sur le plan pratique, cette intégration pourrait se faire de trois façons différentes qui sont exposées dans les paragraphes qui suivent.

a.      Responsabilité de l’investisseur

Dans un premier temps, les AII pourraient prévoir expressément que les investisseurs seront responsables des dommages environnementaux causés dans le cadre de l’exécution de leurs activités dans le pays d’accueil, se voyant ainsi conférer la qualité « d’exploitant » aux fins des régimes de responsabilité civile internationale.

En ce qui concerne la définition du terme « investissement » nécessaire en vue de faire peser une responsabilité quelconque sur l’investisseur, elle devrait être alignée sur celle prévue par les AII correspondant aux « investissements » protégés. Cela permettrait d’éviter le risque de limiter la responsabilité aux investissements réalisés dans certaines activités, tout en omettant certaines autres activités aussi dangereuses auxquelles aucune responsabilité ne serait attachée.

b.      Obligations environnementales de l’investisseur

En lieu et place, ou en plus de ce qui précède, les AII pourraient prévoir des obligations spécifiques s’imposant aux investisseurs, lesquelles sont de plus en plus reconnues comme des outils à même de rééquilibrer les droits et devoirs des investisseurs en vertu de ces accords[9], dans le but d’améliorer la protection de l’environnement.

Par exemple, les AII pourraient incorporer les dispositions de certaines conventions sur la responsabilité civile internationale concernant l’adoption de mesures préventives ou de restauration. Dans ce cas, l’investisseur serait tenu de mettre en place toutes les mesures préventives nécessaires pour éviter un danger grave et imminent de dommages environnementaux susceptibles d’être provoqués par ses activités dans le pays hôte. Si des dommages ont déjà été causés à l’environnement, l’investisseur serait plutôt tenu de prendre toutes les mesures possibles et nécessaires afin de réduire, de contenir ou de gérer les dommages et de remettre les zones affectées dans leur état d’origine.

Les AII pourraient également imposer des obligations aux investisseurs visant à permettre aux victimes d’obtenir une indemnisation rapide et appropriée en cas de dommages environnementaux causés par les activités d’investissement, et ce en application de principes de responsabilité au sens strict, et sous réserve d’éventuelles exonérations dans les cas où les dommages survenus échapperaient complètement à leur contrôle. En outre, les AII pourraient exiger des investisseurs qu’ils souscrivent des polices d’assurance à hauteur de leurs obligations ou d’autres garanties financières couvrant les dommages pouvant découler de leurs investissements dans l’État d’accueil, facilitant par là même le droit des victimes à être indemnisées.

Dans les deux cas visés aux points a. et b., d’aucuns pourraient avancer que l’introduction de telles obligations dans les AII ferait double emploi, étant entendu en particulier que des dispositions similaires existent souvent dans la législation interne des États hôtes et que les AII applicables imposent aux investisseurs l’obligation de respecter cette législation interne. Cela dit, l’inclusion de telles obligations dans les AII peut quand même s’avérer utile dans les cas où le droit interne est muet sur ce point ou lorsque la nature transfrontalière ou encore la structure des activités de l’investisseur empêchent l’exercice efficace de recours en matière environnementale.

c.       Mécanismes d’indemnisation complémentaire

Si l’inclusion dans les AII de dispositions ou d’obligations imposant aux investisseurs une responsabilité en matière environnementale en cas de dommages causés par leurs activités est – du moins en théorie – simple à concevoir, l’incorporation d’un mécanisme d’indemnisation complémentaire peut s’avérer plus difficile.

Les régimes de responsabilité civile ont suivi deux approches distinctes en ce qui concerne les mécanismes d’indemnisation complémentaire : l’une, reprise par les conventions sur la responsabilité dans le domaine nucléaire, demande aux États parties de mettre à disposition des fonds publics en cas d’accident nucléaire, et l’autre, adoptée dans les conventions relatives aux pollutions dues aux hydrocarbures, conduit à l’établissement de fonds internationaux financés par des contributions de l’industrie.

Entre ces deux modèles, la première option semble plus facile à intégrer aux AII dans la mesure où l’accord pourrait se limiter à prévoir que les États parties auraient l’obligation de mettre à disposition des ressources publiques pour couvrir les dommages à l’environnement causés par les investissements de leurs ressortissants sur le territoire d’une autre partie. La deuxième option, en revanche, pourrait poser des problèmes de mise en œuvre, par exemple la nécessité pour les États intéressés de conclure un accord distinct régissant le fonctionnement du fonds ou l’identification des investisseurs qui seraient tenus d’alimenter le fonds.

3. Conclusion

D’un point de vue théorique, il n’y a pas d’incompatibilité générale et intrinsèque entre les principes régissant les régimes de responsabilité civile et les AII. De fait, les dispositions relatives aux obligations des investisseurs ont déjà commencé à faire leur apparition dans les nouveaux modèles et les versions les plus récentes d’AII[10], alors même que l’imposition d’une responsabilité civile aux investisseurs a été défendue dans certains modèles d’AII préparés par des experts[11]. Pour autant, ces avancées pourraient être poussées plus loin afin de trouver un équilibre plus satisfaisant entre la protection des investisseurs et les préoccupations de l’État hôte pour son environnement.

Dans la pratique, cependant, l’incorporation pourrait être plus difficile. Indépendamment de la question de savoir si les États seraient disposés à adopter cette solution, la première difficulté serait de mettre sur pied des mécanismes appropriés permettant de transposer dans les AII les principes les plus complexes applicables en matière de responsabilité civile, et en particulier l’imposition de mécanismes complémentaires d’indemnisation. Par ailleurs, une réforme de la procédure relative au règlement des différends investisseur-État (RDIE) serait également nécessaire pour créer des voies procédurales appropriées permettant aux victimes et aux États hôtes de faire valoir leurs droits fondamentaux contre ceux des investisseurs dans le cadre du régime réformé des AII.


Auteure

Alessandra Mistura est doctorante à l’Institut de hautes études internationales et du développement (Genève), où elle se penche sur la question de l’intégration du développement durable dans le droit international de l’investissement. Cet article est tiré d’une analyse plus large menée par l’auteure dans Mistura, A. (2019), Integrating Civil Liability Principles into International Investment Law: A Solution to Environmental Damage Caused by Foreign Investors? in L. Sachs; L. Johnson & J. Coleman (Eds.), Yearbook on international investment law and policy 2017. Oxford: Oxford University Press, pp. 446–491. Accessible sur https://global.oup.com/academic/product/yearbook-on-international-investment-law-and-policy-2017-9780198830382


Notes

[1] Churchill, R. R. (2002). Facilitating (transnational) civil liability litigation for environmental damage by means of treaties: progress, problems, and prospects. Yearbook of international environmental law12(1), 3.

[2] Par exemple, la Convention de Paris sur la responsabilité civile dans le domaine de l’énergie nucléaire, du 29 juillet 1960, 956 UNTS 251, accessible sur https://treaties.un.org/Pages/showDetails.aspx?objid=080000028010a6ab ; la Convention de Vienne relative à la responsabilité civile en matière de dommages nucléaires, 21 mai 1963, 1063 UNTS 265, accessible sur https://treaties.un.org/Pages/showDetails.aspx?objid=08000002800fb0a7, telle que modifiée par le Protocole d’amendement de la Convention de Vienne relative à la responsabilité civile en matière de dommages nucléaires du 12 septembre 1997, 2241 UNTS 270. Accessible sur https://treaties.un.org/Pages/showDetails.aspx?objid=0800000280079ad5.

[3] Par exemple, le Protocole de Londres de 1992 modifiant la Convention internationale de 1969 sur la responsabilité civile pour les dommages dus à la pollution, 27 novembre 1992, 1956 UNTS 255. Accessible sur https://treaties.un.org/Pages/showDetails.aspx?objid=08000002800a5777 [ci-après la Convention sur la responsabilité civile de 1992].

[4] Par exemple, le Protocole de Bâle sur la responsabilité et l’indemnisation en cas de dommages résultant des mouvements transfrontaliers du 10 décembre 1999, modifiant la Convention sur le contrôle des mouvements transfrontaliers de déchets dangereux et leur élimination. Accessible sur https://treaties.un.org/Pages/ViewDetails.aspx?src=IND&mtdsg_no=XXVII-3-b&chapter=27&clang=_fr

[5] Protocole additionnel de Nagoya-Kuala Lumpur sur la responsabilité du 15 octobre 2010, complétant le Protocole de Carthagène sur la biosécurité, accessible sur https://treaties.un.org/pages/ViewDetails.aspx?src=IND&mtdsg_no=XXVII-8-c&chapter=27&clang=_fr

[6] Protocole sur la responsabilité civile et l’indemnisation en cas de dommages causés par les effets transfrontaliers des accidents industriels sur les eaux transfrontières du 21 mai 2003. Accessible sur https://treaties.un.org/pages/ViewDetails.aspx?src=TREATY&mtdsg_no=XXVII-16&chapter=27&clang=_fr

[7] Par exemple, l’Annexe VI du Protocole au Traité sur l’Antarctique relatif à la protection de l’environnement, concernant la responsabilité découlant de situations critiques pour l’environnement, accessible sur https://ats.aq/documents/recatt/Att249_f.pdf

[8] Fonds internationaux d’indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures (FIPOL). (2017), Rapport annuel 2017, p. 17. Londres : IOPC Funds. Accessible sur https://www.iopcfunds.org/fr/publications/publications-des-fipol/

[9] CNUCED. (2018). Réforme globale du régime des investissements internationaux de la CNUCED. Genève : CNUCED. Accessible sur https://investmentpolicyhub.UNCTAD.org/Upload/UNCTADs%20Reform%20Package_web_09-03-2018.pdf ; IISD (avril 2018). Intégrer les obligations des investisseurs et les dispositions sur la redevabilité des entreprises aux accords commerciaux et d’investissement. Genève : IISD. Accessible sur https://www.iisd.org/library/integrating-investor-obligations-and-corporate-accountability-provisions-trade

[10] Accord sur la promotion et la protection réciproques des investissements entre le Gouvernement du Royaume du Maroc et le Gouvernement de la République fédérale du Nigeria [TBI Maroc–Nigeria], 3 décembre 2016, art. 14. Accessible sur https://investmentpolicyhub.unctad.org/Download/TreatyFile/5409 ; Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC), (juillet 2012). Modèle de traité bilatéral d’investissement de la SADC avec commentaires, article 21. Gaborone : SADC. Accessible sur http://www.iisd.org/ITN/wp-content/uploads/2012/10/SADC-Model-BIT-Template-Final.pdf; Gouvernement de l’Inde, (2015). Modèle de texte pour le traité bilatéral d’investissement de l’Inde. Accessible sur http://indiainbusiness.nic.in/newdesign/upload/Model_BIT.pdf

[11] Mann, H., von Moltke, K., Peterson, L. E., Cosbey, A. (2005). IISD Model international agreement on investment for sustainable development: negotiators’ handbook. Genève : IISD. Accessible sur https://www.iisd.org/library/iisd-model-international-agreement-investment-sustainable-development-negotiators-handbook ; voir également IISD, 2018, supra note 9.