Chypre repousse le recours pour expropriation présenté par des investisseurs polonais auprès de la CCS portant sur les mesures de sauvetage des banques

Tomasz Częścik et Robert Aleksandrowicz c. Chypre, Affaire CCS n° V 2014/169

Dans une décision datée du 11 février 2017, un tribunal de la CCS rejetait les recours pour expropriation présentés contre Chypre par deux investisseurs polonais, portant sur les diverses mesures adoptées par Chypre en 2013 pour recapitaliser son secteur bancaire. Le tribunal ne fut notamment pas convaincu, compte tenu des éléments présentés, que « la valeur de l’investissement des demandeurs avait été si affectée que cela équivalait à une expropriation » (para. 221).

Le contexte et les recours

Les demandeurs, Tomasz Częścik et Robert Aleksandrowicz, étaient des citoyens polonais et seuls actionnaires d’une entreprise chypriote à responsabilité limitée non mentionnée. En mars 2013, la Banque centrale chypriote émit un décret lançant certaines mesures législatives et réglementaires visant à restructurer son système bancaire (mesures de renflouement), et en particulier ses deux principales banques – la Banque de Chypre (BoC) et la banque Laiki. Compte tenu des risques découlant de la mise en œuvre du décret, le ministère chypriote des Finances déclara deux jours fériés les 19 et 20 mars 2013.

À cette époque, les demandeurs donnèrent ordre à la BoC de réaliser deux payements pour l’achat de parts dans une jeune start-up polonaise connexe. Si BoC réalisa la première transaction, elle bloqua la deuxième qui tombait un jour férié. Au terme du jour férié, Chypre avait décidé de renflouer BoC, en gelant les comptes présentant plus de 100 000 € ou en les convertissant en actions.

Le 5 décembre 2014, les demandeurs lancèrent un arbitrage auprès de la CCS au titre du TBI Pologne-Chypre (le TBI), arguant que « les actions législatives de l’État (Chypre) et les mesures restrictives adoptées par les organes d’État chypriotes et ses agences, limitant et bloquant partiellement le transfert du capital de l’entreprise déposé chez BoC, avait entrainé l’expropriation de l’entreprise des demandeurs » (para. 120).

En plus des dommages réclamés correspondant à la valeur des fonds perdus (1,3 millions PLN, soit environ 340 000 USD), les demandeurs réclamaient plus de 16 millions PLN (environ 4,1 millions USD) à titre d’indemnisation des gains manqués, alléguant que la conduite de Chypre les avait empêchés de consolider leur position dans la jeune start-up polonaise et donc de protéger cet investissement des prises de contrôle externes hostiles.

Le tribunal ne convient pas d’étendre sa compétence au-delà du recours pour expropriation

Chypre s’opposait à la compétence du tribunal pour plusieurs raisons et demanda la bifurcation des procédures afin d’aborder son objection fondée sur la portée limitée de la clause de règlement des différends du TBI. Le pays argua que l’article 9 du TBI n’autorisait l’arbitrage que dans le cas de « différends… portant sur l’expropriation d’un investissement » et que les demandeurs ne pouvaient invoquer la clause NPF de l’article 7 du TBI dans le but d’élargir la compétence du tribunal pour que celui-ci puisse entendre les recours des investisseurs fondés sur la violation de la norme TJE au titre de l’article 3 du TBI. Le tribunal accorda à Chypre sa demande de bifurcation des procédures. Dans une décision partielle du 4 mars 2016, le tribunal se rangeait du côté de Chypre, déterminant qu’il n’avait pas compétence sur le recours des investisseurs fondé sur le TJE, par le biais de la clause NPF (para. 165).

Le tribunal a compétence prima facie ; le recours pour expropriation est recevable

La deuxième objection de Chypre à la compétence s’appuyait sur la supposée incompatibilité entre les recours pour expropriation fondés sur un traité d’une part, et le droit européen d’autre part. D’abord, Chypre s’appuya sur l’article 59 CVDT pour affirmer qu’en accédant à l’Union européenne par le biais du Traité de Lisbonne le 1er mai 2014, Aussi, selon Chypre, les TBI conclus entre les États membres de l’Union avant leur accession et couvrant des domaines régis par le droit européen étaient supplantés par le droit de l’Union. Ensuite, il argua que le recours pour expropriation fondé sur le TBI était contraire au droit européen relatif à la réglementation bancaire et au transfert des capitaux (articles 63 et 65 TFUE).

Le tribunal rejeta les objections de Chypre affirmant que, puisque ni Chypre ni la Pologne n’avaient pris de mesures pour mettre fin à leur TBI, le traité était, prima facie, toujours en vigueur et le tribunal avait prima facie compétence sur les recours. Il remarqua cependant que « cette conclusion prima facie serait annulée » si la CJUE devait établir dans l’affaire  Achmea BV c. la République de Slovaquie que les TBI intra-UE sont incompatibles avec le droit européen » (para. 170).

Pas d’expropriation en l’absence de la « privation substantielle » de l’investissement

S’agissant du recours pour expropriation, une question liminaire importante consistait à déterminer si les fonds déposés chez BoC et soi-disant expropriés, qui appartenaient à leur filiale chypriote, pouvaient être considérés comme un investissement au titre du TBI. Les demandeurs s’appuyaient sur la très grande portée de l’article 1(3) du TBI pour affirmer que les fonds transférés vers le compte bancaire chez BoC pouvaient être considérés comme un investissement protégé par le TBI. Alternativement, ils arguaient que leur participation dans l’entité chypriote représentait leur investissement, dont la valeur avait été affectée par l’expropriation des fonds déposés chez BoC.

S’agissant de la position initiale des demandeurs, le tribunal détermina que les fonds assujettis aux mesures de renflouement interne n’avaient pas vocation à être investis « à Chypre » et n’étaient donc pas un investissement au titre du TBI, qui s’appliquait seulement aux « investissement réalisés sur le territoire de Chypre ». Toutefois, le tribunal admit que les parts des demandeurs dans l’entité chypriote pourraient constituer un investissement conformément aux concepts subjectifs et objectifs de l’investissement.

Les demandeurs soutenaient que leur investissement avait été indirectement exproprié par les actions de Chypre, à commencer par l’imposition de jours fériés extraordinaires, associée à l’émission de décrets autorisant les mesures de renflouement interne.

Compte tenu de l’absence de définition de l’expropriation dans le TBI, le tribunal examina la jurisprudence arbitrale en la matière, notamment les discussions dans les affaires LG&E c. Argentine et Azurix c. Argentine, et décida que le test pour déterminer une expropriation consistait à évaluer s’il existait une privation permanente et substantielle de la valeur de l’investissement. Toutefois, le tribunal remarqua que les demandeurs n’avaient pas tenté de démontrer qu’ils avaient été complètement privés de ces parts, ni n’avaient démontré qu’une privation substantielle de la valeur de ces parts avait EU lieu. Au contraire, aux cours des auditions, le tribunal trouva des éléments sapant les allégations des demandeurs selon lesquelles la valeur de leurs parts dans l’entité chypriote avait été substantiellement affectée par les mesures contestées. Il conclut donc que les mesures de renflouement interne n’équivalaient pas à une expropriation de leur investissement au titre de l’article 4 du TBI.

Les coûts

Le tribunal remarqua en premier lieu que, puisque les demandeurs n’avaient pas eu gain de cause, notamment s’agissant des objections de Chypre à la compétence, ils devaient payer les coûts de l’arbitrage, et rembourser Chypre des montants versés à la CCS à titre de provision. Parallèlement, il remarqua cependant « une énorme différence » entre les frais juridiques de Chypre, et ceux des demandeurs (ces derniers totalisant seulement 170 000 €). Selon le tribunal, les frais de Chypre étaient disproportionnés, notamment au regard des montants en jeu ; il ordonna donc aux demandeurs de rembourser 70 % des frais juridiques de Chypre.

Remarques : le tribunal était composé de . La décision est disponible sur https://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw10243_0.pdf

Gladwin Issac est diplômé de l’Université nationale de droit de Gujarat, en Inde.