L’ensemble des demandes formulées par Isolux Infrastructure Pays-Bas à l’encontre de l’Espagne ont été rejetées

Isolux Infrastructure Netherlands B.V. c. le Royaume d’Espagne, Affaire CCS n° V2013/153

Un tribunal arbitral administré par l’Institut d’arbitrage de la Chambre de commerce de Stockholm (CCS) a rejeté toutes les demandes introduites à l’encontre de l’Espagne par Isolux Infrastructure B.V. (Isolux). L’affaire a été portée devant le tribunal en 2013 en vertu du Traité de la Charte de l’énergie (TCE).

Les faits et les recours

Isolux, société de droit néerlandais constituée en 2012, a entamé un arbitrage en tant qu’actionnaire majoritaire de plusieurs sociétés espagnoles, parmi lesquelles Grupo T-Solar Global S.A (T-Solar) qui contrôle T-Solar Global Operating Assets S.L. (TGOA). TGOA et Tuin Zonne Origen S.L.U., détenaient à leur tour la majorité des parts dans 117 entreprises espagnoles, propriétaires de centrales solaires photovoltaïques situées en Espagne.

Isolux a affirmé avoir investi en Espagne, attiré par sa promesse de maintenir sur le long terme un tarif de rachat (FIT) visant la production d’électricité photovoltaïque lui permettant de bénéficier d’un régime spécial, qui a ensuite été supprimé en violation de l’article 10 du TCE, relatif au traitement juste et équitable (TJE). Isolux a également reproché à l’Espagne d’avoir enfreint l’article 13 du TCE (expropriation) au motif que la suppression du régime spécial a détruit la valeur économique de son investissement. Isolux a demandé une compensation de 80 million d’euros.

Le tribunal accueille l’objection quant à la compétence fondée sur la suppression de mesures fiscales

Avant d’examiner le fond, le tribunal a rejeté toutes les objections d’ordre juridictionnel formulées par l’Espagne, à l’exception d’une seule, concernant l’introduction par l’Espagne en décembre 2012, de la taxe sur la valeur de la production d’électricité (TVEP). L’Espagne a fait valoir que cette mesure était exclue de la demande formulée en vertu de l’article 21(1) du TCE.

Pour décider si une mesure fiscale était couverte par la disposition litigieuse, le tribunal s’est d’abord attaché à déterminer si la taxe avait pour seul objectif d’établir un nouvel impôt, c’est-à-dire si elle avait été adoptée en toute bonne foi. Le tribunal a constaté qu’Isolux n’est pas parvenu à prouver que la TVEP n’a pas été adoptée en toute bonne foi. Par conséquent, il a conclu qu’il n’était pas compétent pour connaître des demandes concernant les violations présumées du TCE en raison de l’imposition de la TVEP.

L’Espagne n’a pas commis de violation de son obligation de réserver un TJE aux investissements d’Isolux

Isolux a reproché à l’Espagne d’avoir créé des attentes légitimes découlant de son cadre réglementaire concernant les FIT à long terme et qu’elle a porté atteinte aux dites attentes légitimes en supprimant et en remplaçant le régime spécial.

Dans le cadre de sa prise de décision, le tribunal a examiné la sentence dans l’affaire Perenco c. Équateur pour déclarer que « l’aspect central de l’analyse d’une violation alléguée de la norme TJE sont les attentes raisonnables de l’investisseur concernant le traitement futur de son investissement par l’État hôte » (para. 777).

Le tribunal a établi que, pour déterminer s’il y avait EU violation du principe de TJE, il fallait d’abord déterminer si, au moment de la réalisation de l’investissement, le cadre réglementaire en vigueur permettait à Isolux de nourrir des attentes légitimes que celui-ci ne serait pas modifié, comme il l’a été par la suite. Le tribunal a conclu que tel n’était pas le cas, car lorsque la société Isolux a décidé d’investir en Espagne (le 29 octobre 2012), le cadre réglementaire relatif aux énergies renouvelables avait déjà été modifié et faisait l’objet de plusieurs études qui ont rendu sa modification inévitable. Par conséquent, aucun investisseur ne pouvait s’attendre raisonnablement à ce que le cadre réglementaire reste inchangé.

En outre, le tribunal a constaté qu’Isolux disposait des connaissances spécifiques qui ne lui permettaient pas d’avoir une attente légitime quant à l’application du principe de TJE tout au long du cycle de vie des installations. Dans un recours administratif déposé par Isolux Corsan S.A., la société mère du groupe Isolux, devant la Cour suprême espagnole, Isolux Corsan S.A., fait expressément référence à la jurisprudence de la Cour suprême établissant que la seule limite au pouvoir du gouvernement à modifier le cadre réglementaire est la garantie d’un rendement raisonnable prévue par la loi régissant le secteur de l’énergie. Cela a été ratifiée par la décision de la Cour suprême dans cette affaire, et notifiée à Isolux Corsan S.A. en septembre 2012. Le tribunal a constaté que l’Espagne n’avait pas commis de violation de son obligation en matière de TJE concernant les investissements d’Isolux, car, au moment de la prise de décision d’investir en Espagne, Isolux avait connaissance de la jurisprudence permettant au gouvernement de modifier le cadre réglementaire tout en garantissant à l’investisseur un retour raisonnable sur investissement.

L’Espagne n’a pas commis d’acte d’expropriation indirecte de l’investissement d’Isolux

Isolux a reproché à l’Espagne d’avoir exproprié indirectement son investissement, qui consistait en sa participation dans T-Solar et dans les rendements des activités commerciales de T-Solar. L’Espagne a soutenu que l’investissement d’Isolux devrait être limité à sa participation dans T-Solar et à la participation indirecte qu’il aurait pu avoir, par l’intermédiaire des filiales de T-Solar, dans des sociétés holding des installations.

Le tribunal a estimé que, conformément à l’article 13 du TCE, Isolux avait réalisé des investissements et avait droit à une protection contre toute violation substantielle par l’Espagne de sa participation dans T-Solar, ce qui impliquait la protection de la propriété des actions et de leur valeur. Pour déterminer s’il y a eu expropriation, le tribunal a établi qu’il fallait déterminer si le rendement d’Isolux avait été impacté par des mesures prises par l’Espagne et si sa baisse était suffisamment importante pour être assimilée à une expropriation indirecte.

Les parties ont convenu d’utiliser le critère appliqué dans l’affaire Electrabel c. la Hongrie pour déterminer si les mesures prises par l’Espagne ont eu un effet expropriatoire. Selon ce critère, pour conclure à une expropriation, le tribunal doit conclure à « une privation substantielle, radicale, sévère, dévastatrice ou fondamentale de droits ou d’un anéantissement virtuel, d’une neutralisation réelle ou d’une destruction de facto de l’investissement, de sa valeur ou de sa jouissance » (para. 837).

Compte tenu de ce qui précède, le tribunal a jugé que l’ampleur de l’impact des mesures prises par l’État hôte sur les droits ou les actifs de l’investisseur devait être tel que son investissement perdait toute ou une partie considérable de sa valeur et que cette perte pouvait être assimilée à une privation de propriété. Par conséquent, le tribunal a estimé qu’il était nécessaire d’évaluer si les mesures prises par l’Espagne entraînaient une perte de rentabilité des installations dont l’ampleur pourrait affecter sensiblement l’investissement.

L’Espagne a versé au dossier un rapport élaboré par Deloitte en mai 2011, initialement présenté par Isolux Corsan S.A. et les sociétés du groupe T-Solar devant la Cour suprême espagnole. Le rapport indique que la prévision de rentabilité des usines était de 6,19 pour cent, tandis que le bénéfice enregistré par Isolux à la suite de la mise en œuvre par l’Espagne des mesures prétendument expropriatoires, était de 7,19 pour cent après impôts.

À la lumière du rapport, le tribunal est parvenu à la conclusion selon laquelle Isolux ne pouvait pas prétendre que son investissement avait été exproprié puisque sa rentabilité au moment des faits était supérieure à 6,19 pour cent. Le tribunal a estimé que, pour que la privation soit considérée comme substantielle et significative pour étayer l’expropriation, la rentabilité d’Isolux devrait être inférieure à 6,19 pour cent.

Sur la base de ce qui précède, le tribunal a conclu à l’absence d’expropriation de l’investissement d’Isolux, la perte enregistrée n’étant ni conséquente, ni radicale.

Coûts

Le tribunal a décidé de la prise en charge des frais et dépens d’arbitrage par Isolux à hauteur de 70 pour cent et par l’Espagne à hauteur de 30 pour cent restants.

Opinion dissidente de l’arbitre Santiago Tawil

Selon Tawil, une atteinte aux attentes légitimes survient lorsqu’un investisseur respecte toutes les exigences de la loi de l’État hôte pour obtenir un avantage spécifique et l’État hôte refuse par la suite cet avantage à l’investisseur. Il a conclu que, même si l’Espagne avait le droit de modifier ou de supprimer le régime spécial, l’élimination de l’avantage accordé à Isolux dans le cadre de ce régime spécial sans qu’une compensation adéquate ne lui soit versée, constitue une violation des attentes légitimes de l’investisseur et, par conséquent, de la clause TJE du TCE.

Remarques : Le tribunal était composé de Yves Derains (arbitre président nommé par le CCN, de nationalité française), Guido Tawil (nommé par le demandeur, de nationalité argentine) et Claus von Wobeser (nommé par le défendeur, de nationalité mexicaine). La sentence du 11 juillet 2016 est disponible en espagnol à https://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw9219.pdf.

Claudia Maria Arietti Lopez est une juriste paraguayenne et titulaire d’un LL.M. en Affaires internationales, réglementation et arbitrage de la faculté de droit de l’université de New York.