Un tribunal du CIRDI détermine que la saisie réalisée par le Venezuela en 2009 est une expropriation légale, et accorde une indemnisation de 46,4 millions USD

Tidewater Investment SRL & Tidewater Caribe, C.A. c. la République bolivarienne du Venezuela, Affaire CIRDI n° ARB/10/5

Le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) a rendu une décision dans un différend portant sur des services maritimes pétroliers et impliquant le Venezuela.

Le tribunal se rangea du côté des demandeurs, deux entreprises du groupe Tidewater, et détermina que la saisie réalisée en 2009 par le gouvernement constituait une expropriation au titre du Traité bilatéral d’investissement Barbade-Venezuela (TBI). Il leur accorda une indemnisation de 46,4 millions USD plus intérêts composés à partir de la date de l’expropriation.

Les dommages accordés étaient nettement inférieurs aux 234 millions USD réclamés par les demandeurs. Le tribunal n’a pas reconnu l’expropriation comme illégale au titre du TBI. En outre, l’analyse fondée sur une actualisation des flux de trésorerie employée par le tribunal mena à une évaluation de la juste valeur marchande nettement inférieure à la suggestion des demandeurs.

Le contexte

SEMARCA, une entreprise vénézuélienne du groupe Tidewater, exploite des services de transport maritime depuis 1958. Depuis 1975, SEMARCA fournit également ces services aux filiales de PDVSA, l’entreprise pétrolière d’État du Venezuela, au titre de divers accords.

Le 7 mai 2009, le Venezuela a promulgué la « Loi organique réservant à l’État les actifs et services relatifs aux principales activités du secteur des hydrocarbures » (Loi de réserve). Le lendemain, le 8 mai 2009, le Venezuela publia la Résolution n° 51, identifiant les demandeurs et 38 autres fournisseurs de services, comme assujettis à la Loi de réserve.

Presqu’immédiatement, les filiales de PDVSA ont saisi les actifs de SEMARCA sur le Lac Maracaibo, soit ses bureaux et onze navires, et plus tard, les quatre navires de l’entreprise situés dans le golfe de Paria. Tidewater a lancé l’arbitrage en février 2010.

Dans sa décision de février 2013 sur la compétence, le tribunal avait rejeté les recours de six des huit demandeurs du groupe Tidewater. Le tribunal n’établit sa compétence que pour deux recours, ceux de Tidewater Caribe C.A., une entreprise vénézuélienne détenant SEMARCA en tous temps pertinents, et de Tidewater Investment SRL, une entreprise de la Barbade qui détient Tidewater Caribe, C.A. depuis 2009 (conjointement appelés Tidewater).

La saisie des actifs de Tidewater avait effet d’expropriation

Le tribunal évalua si la saisie des navires de Tidewater constituait une expropriation. Il remarqua que l’article 5 du TBI sur l’expropriation incluait un libellé commun à de nombreux traités d’investissement. Le tribunal souligna la question de l’« effet », affirmant que « il est bien accepté en droit international que l’expropriation n’implique pas nécessairement la saisie d’un titre de propriété valable. Il suffit que la mesure de l’État ait une effet équivalent » (para. 104).

En évaluant si les mesures contestées en l’espèce avaient des effets équivalents à ceux d’une expropriation, le tribunal jugea utile de tenir compte des facteurs utilisés par le tribunal de l’affaire Pope & Talbot, c’est-à-dire si :

  • L’investissement a été nationalisé ou la mesure est de nature confiscatoire
  • L’État a pris le contrôle de l’investissement et le gère au quotidien
  • L’État supervise maintenant le travail des employés de l’investissement
  • L’État encaisse les recettes découlant des ventes de l’entreprise

Compte tenu des preuves, notamment les déclarations des témoins présentés par Tidewater et par les filiales de PDVSA, le tribunal détermina que la saisie physique des navires constituait une expropriation.

Le tribunal conclut que « si la saisie avait sans doute été une surprise », il était naturel pour les demandeurs de ne pas accepter ses effets immédiatement. Selon le tribunal, « la portée de cet effet sur l’investissement des demandeurs n’est devenue claire qu’au moment de la saisie des derniers navires à Corocoro [dans le golfe de Paria] quelques mois plus tard. Dans ces circonstances, les documents présentés par les demandeurs et affirmant la continuation de leurs opérations commerciales dans l’intervalle sont conformes à la prise de conscience naissante de la nationalisation de leur entreprise » (para. 109).

Tidewater ne parvient pas à démontrer que l’expropriation était abusive

Tidewater cherchait à convaincre le tribunal que le non paiement par le gouvernement d’une indemnisation rendait l’expropriation abusive au titre du TBI. Compte tenu des mémoires des parties, le tribunal examina la jurisprudence internationale à partir de l’affaire Chorzow Factory et portant sur des saisies auxquelles seule manquait l’indemnisation pour qu’elles soient légales. Il prit également note de décisions arbitrales sur l’investissement récentes, dans une approche cohérente. Le tribunal de l’affaire Goetz c. Burundi, par exemple, conclut que « toutes les autres conditions d’une saisie légale ayant été respectées, le non-respect du paiement rapide d’une indemnisation adéquate ne suffisait pas « pour qualifier la mesure d’abusive au titre du droit international » » (para. 135).

En l’espèce, Tidewater argua que la saisie était abusive puisque le niveau d’indemnisation envisagé par le Venezuela au titre de la Loi de réserve était contraire à la norme d’indemnisation imposée par le TBI. Le tribunal observa que, si le TBI définit l’indemnisation due en cas d’expropriation comme la valeur marchande immédiatement avant que l’expropriation envisagée ne soit connue, le calcul de cette valeur marchande est délégué au tribunal.

Le recours fondé sur le Traitement juste et équitable est rapidement rejeté

Le recours portait réellement non pas sur l’équité du traitement accordé aux demandeurs par le Venezuela, mais sur sa saisie de leur investissement. Le tribunal considéra que les recours fondés sur une violation du traitement juste et équitable, du traitement national et de la nation la plus favorisée n’étaient pas à propos.

Les facteurs matériels de la juste valeur, tels que le risque souverain, sont définis par le tribunal

Le tribunal considéra que l’utilisation de la valeur de liquidation ou la valeur comptable des actifs saisis pour déterminer la juste valeur marchande, comme le proposait le Venezuela, n’était approprié que lorsque les entreprises n’étaient pas en activité. Mais puisque SEMARCA n’était pas une société cotée en bourse et que ses activités ne se limitaient qu’à un seul pays et un seul client, une analyse fondée sur une actualisation des flux de trésorerie était appropriée.

Compte tenu que le rapport de l’expert des parties avait tendance à présenter des estimations plus qu’optimistes, le tribunal réalisa sa propre évaluation des six facteurs pris en compte dans l’analyse fondée sur l’actualisation des flux de trésorerie : le périmètre, les comptes débiteurs, les flux de trésorerie historiques, le risque sur capitaux propres, le risque souverain et le risque commercial. S’agissant du risque souverain, l’expert des demandeurs avait décompté un modeste 1,5 % pour inciter les acheteurs intéressés avant la saisie de 2009. De son côté, l’expert du Venezuela avait pris le risque de décompter 14,75 % du fait des risques politiques perçus. Le tribunal trouva que la position du défendeur d’adopter une réduction de 14,75 % était raisonnable. Finalement, la valeur du marché des actifs expropriés a été évaluée à un montant nettement inférieur à celui réclamé.

Remarques : Le tribunal était composé de Campbell McLachlan QC (président, nommé par le président du conseil administratif du CIRDI, de nationalité néozélandaise), d’Andrés Rigo Sureda (nommé par les demandeurs, de nationalité espagnole) et de Brigitte Stern (nommée par le défendeur, de nationalité française). La décision finale du 13 mars 2015 est disponible sur http://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw4206_0.pdf.

Matthew Levine est avocat au Canada et contributeur du programme Investissement étranger et développement durable de l’IISD.