Le protocole numérique de la ZLECAf
vue d'ensemble
L'économie numérique présente des opportunités considérables pour le continent africain, et le protocole sur le commerce numérique de la ZLECAf pourrait jouer un rôle clé et débloquer ce potentiel. Kholofelo Kugler présente les principaux éléments de ce nouveau protocole et ses avantages potentials, tout en examinant les défis qui se présentent.
Cet article fair partie de la Trade and Sustainability Review de l'IISD, gros plan sur le commerce numérique, octobre 2024.
Introduction
Les États parties à la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) ont adopté le protocole sur le commerce numérique de la ZLECAf (PCN de la ZELCAf) en février 2024. Ce protocole est le chapitre sur le commerce numérique de l’accord portant création de la ZLECAf et en constitue une partie intégrante. Si le PCN de la ZLECAf a été adopté, les négociations sur ses huit annexes relatives aux règles d’origine, aux paiements numériques transfrontaliers, aux transferts transfrontaliers de données, aux critères permettant de déterminer les raisons légitimes et d’intérêt public légal pour demander le code source, aux identités numériques, à la technologie financière, aux technologies émergentes et avancées, et à la sûreté et à la sécurité en ligne sont en cours. Une fois le processus de ratification achevé, le PCN de la ZLECAf entrera en vigueur et les États parties disposeront alors de cinq années supplémentaires pour aligner leurs lois nationales sur le protocole.
Étant donné qu’un tiers de la population et des travailleurs du monde seront africains d'ici à 2075, investir pour combler le fossé numérique, en particulier en formant les jeunes et les femmes, pourrait également faire du continent le prochain grand exportateur mondial de services numériques.
L’économie numérique offre la promesse d’un meilleur développement économique en Afrique. En 2020, la Société financière internationale et Google ont estimé que l’économie numérique africaine pourrait atteindre 180 milliards USD d’ici à 2025, soit 5,2 % du PIB du continent. D’ici à 2050, sa contribution potentielle anticipée pourrait atteindre 712 milliards USD, soit 8,5 % du PIB. En outre, si les taux de pénétration de l’internet en Afrique pouvaient être portés à ceux du Nord, l’économie numérique pourrait créer 140 millions d’emplois et ajouter 2 200 milliards USD au PIB de l’Afrique. Étant donné qu’un tiers de la population et des travailleurs du monde seront africains d’ici à 2075, investir pour combler le fossé numérique, en particulier en formant les jeunes et les femmes, pourrait également faire du continent le prochain grand exportateur mondial de services numériques.
En plus d’une infrastructure physique efficace et fiable, un bon environnement réglementaire est d’une importance capitale pour réaliser la promesse de dividendes numériques significatifs en Afrique. Le PCN de la ZLECAf cherche à promouvoir un tel environnement réglementaire favorable.
Que contient le PCN de la ZLECAf ?
Le PCN de la ZLECAf est un cadre ambitieux et complet conçu pour faciliter le commerce numérique à travers l’Afrique. Au-delà du préambule, l’accord comporte 52 articles, répartis en 11 sections, qui abordent différents aspects du commerce numérique ainsi que les questions administratives :
- Section I : dispositions générales, qui aborde les définitions, les objectifs, le champ d’application et le droit de réglementer ;
- Section II : accès au marché et traitement des produits numériques, inclut des dispositions relatives à une annexe sur les règles d’origine, les droits de douane et la non-discrimination des produits numériques ;
- Section III : facilitation du commerce numérique grâce aux services de confiance électroniques, l’authentification électronique, le commerce dématérialisé, la logistique et la livraison au dernier kilomètre, les contrats électroniques, la facturation électronique, les identités numériques, les paiements numériques, le cadre des transactions électroniques nationale, les documents électroniques transmissibles, l’infrastructure numérique, l’interopérabilité et la reconnaissance mutuelle ;
- Section IV : gouvernance des données, concerne les transferts transfrontaliers de données, la protection des données personnelles, l’emplacement des services informatiques (localisation des données) et l’innovation en matière de données ;
- Section V : entreprise et confiance des consommateurs, aborde les questions relatives au code source, à la cybersécurité, à l’accès à l’internet, à la protection en ligne des consommateurs, aux courriels commerciaux non sollicités (pourriels) ainsi qu’à la sûreté et la sécurité en ligne ;
- Section VI : inclusion dans le commerce numérique, notamment l’inclusion numérique, les micro, petites et moyennes entreprises (MPME), l’innovation et l’entreprenariat numériques ainsi que le développement des compétences numériques ;
- Section VII : technologies émergentes et innovation, aborde les technologies émergentes et avancés, la technologie financière ainsi que les technologies de l’information et de la communication ;
- Section VIII : arrangements institutionnels, prévoit la création d’un comité du commerce numérique ;
- Section IX : transparence, qui contient des dispositions sur la publication des renseignements, la transparence des informations gouvernementales, la notification et la non-divulgation d’informations confidentielles ;
- Section X : assistance technique, renforcement des capacités et coopération, aborde les questions relatives à l’assistance technique et au renforcement des capacités, ainsi que les domaines de coopération ;
- Section XI : dispositions finales, qui clarifie notamment la relation entre le PCN de la ZLECAf et d’autres protocoles à l’accord portant création de la ZLECAf ; le règlement des différends ; les annexes ; l’entrée en vigueur ; l’application, la mise en œuvre, le suivi et l’évaluation ; la révision ; les amendements ; et les textes authentiques.
Le PCN de la ZLECAf présente des similitudes avec les accords sur le commerce numérique (ACN) les plus avancés. Il suit le modèle d’ACN global établi par l’Accord de partenariat transpacifique global et progressiste (PTPGP) de 2018. En tant que projet autonome, le PCN de la ZLECAf n’adopte pas l’approche modulaire utilisée dans l’Accord de partenariat sur l’économie numérique (APEN) conclu entre le Chili, la Corée du Sud, la Nouvelle-Zélande et Singapour. Néanmoins, l’influence de l’APEN est manifeste, car les différents sujets sont répartis dans des sections spécifiques, ce qui le rend bien organisé et facile à examiner. Bien qu’assez complet, il n’aborde pas autant de questions que l’APEN ou l’Accord sur l’économie numérique entre le Royaume-Uni et Singapour (AEN Royaume-Uni-Singapour), qui sont les ACN les plus complets à ce jour. Contrairement aux pays à revenu élevé parties à ces accords, les États parties au PCN de la ZLECAf comprennent 33 pays parmi les moins avancés (PMA). Il n’est donc pas surprenant que des accords tels que l’APEN ne soient pas la référence en matière de commerce numérique pour les pays africains.
Le développement du commerce numérique en Afrique : principales dispositions
Les règles du protocole s’appliqueraient à un large éventail de mesures relatives au commerce numérique puisqu’il couvre « les mesures adoptées ou maintenues par un État partie qui affectent le commerce numérique ». Toutefois, il exclut expressément l’application aux marchés publics et aux informations gouvernementales (sauf dans les cas prévus à l’article 39).
Le protocole contient de larges dispositions relatives à la facilitation du commerce numérique. Ces dispositions comprennent la digitalisation des processus et des documents commerciaux afin de faciliter les échanges. La pandémie de COVID-19 a contraint de nombreux pays africains à moderniser leurs procédures douanières pour permettre les paiements numériques et le traitement à distance des documents et des certifications. Cependant, bon nombre d’entre eux ne disposent toujours pas de l’infrastructure réglementaire nécessaire autorisant les versions électroniques des documents commerciaux afin de faciliter le commerce dématérialisé. Le protocole vise à combler cette lacune en exigeant des parties qu’elles mettent à jour leur réglementation relative à divers cadres de transactions électroniques, notamment les services de confiance, l’authentification, les identités numériques et la facturation. Les dispositions axées sur la logistique et la livraison sur le dernier kilomètre sont également mises en avant par le biais de prescriptions visant à renforcer l’environnement réglementaire et à améliorer la coopération.
La mise en œuvre complète de ces dispositions sur la facilitation du commerce numérique devrait améliorer de manière significative les conditions commerciales en Afrique. Le continent affiche toujours les délais moyens d’importation les plus élevés, les délais de procédure douanière dans la plupart des pays étant en moyenne de plus de 8 jours. En plus de l’amélioration de l’efficacité des échanges, une mise en œuvre complète peut apporter d’autres avantages, comme le souligne une étude sur la région Asie-Pacifique publiée en 2018. La Commission économique et sociale des Nations Unies pour l’Asie et le Pacifique a estimé que la mise en œuvre intégrale des mesures de facilitation des échanges numériques dans cette région permettrait de réduire les coûts commerciaux de 26,2 % ou d’économiser 1 200 milliards USD en coûts de transaction internationaux.
Le protocole comprend une série de dispositions relatives à l’accès au marché, notamment les règles d’origine, les droits de douane et la non-discrimination des produits numériques. L’inclusion d’un article sur les règles d’origine (actuellement entre crochets) est intéressante. Les règles d’origine sont courantes dans les accords de libre-échange mais le sont moins dans les ACN en raison de la difficulté à déterminer l’origine des produits numériques, y compris des données. Néanmoins, la disposition relative aux règles d’origine indique qu’une annexe sur les règles d’origine sera élaborée et qu’elle établira les règles permettant de déterminer l’origine des entreprises détenues par des Africains, des plateformes numériques africaines et du contenu africain. En outre, l’annexe définira la portée des produits numériques (la gamme de produits numériques) devant être couverts par le protocole, tout en « tenant compte de l’objectif visant à développer un marché numérique de la ZLECAf, le commerce des produits africains, la promotion des entreprises africaines et l’utilisation des plateformes numériques africaines ». La disposition entre crochets sur les droits de douane, par laquelle une partie accepte de ne pas imposer de droits de douane sur les produits numériques transmis par voie électronique en provenance d’autres États parties, est étroitement liée à cette disposition. Cette disposition s’inspire du moratoire de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) relatif aux droits de douane sur les transmissions électroniques, désormais controversé, qui a été couramment adopté dans les ACN. L’annexe sur les règles d’origine déterminera les contours exacts (champ d’application et critères relatifs à l’origine) sur lesquels l’interdiction s’appliquera.
Le PCN de la ZLECAf contient des obligations relatives à la gouvernance des données (y compris les flux de données transfrontaliers, la localisation des données) ainsi qu’une disposition sur le code source. Ces dispositions mettent l’accent sur la libre circulation des données et empêchent les États parties d’exiger l’accès au code source comme condition d’accès au marché. Toutefois, elles précisent également que des exceptions peuvent être appliquées pour des raisons légitimes de politique publique et de sécurité nationale. L’adoption de ces dispositions a fait l’objet de certaines critiques, notamment après le revirement des États-Unis, l’un des plus grands partisans des dispositions relatives à la libre circulation des données au niveau mondial, qui ont modifié leurs positions sur ces questions dans le cadre des négociations plurilatérales de l’OMC sur le commerce électronique, invoquant la nécessité de conserver une marge de manœuvre politique. Certains estiment que ces règles ne sont pas adaptées à un ACN africain, car elles risquent de permettre aux grandes entreprises technologiques étrangères de continuer de dominer le marché africain et d’empêcher le transfert de technologies dont l’économie numérique africaine naissante a tant besoin.
L'accent mis sur l'établissement de cadres réglementaires visant à améliorer la confiance dans les transactions numériques est une caractéristique louable du protocole.
L’accent mis sur l’établissement de cadres réglementaires visant à améliorer la confiance dans les transactions numériques est une caractéristique louable du protocole. Les États parties doivent, par exemple, adopter des lois sur la protection des données, la protection des consommateurs et la cybersécurité, qui sont nécessaires pour garantir la confiance dans les transactions numériques. Selon la CNUCED, seuls 33 des 54 pays africains (61 %) disposent de lois sur la protection des données, et 10 pays n’ont aucune réglementation en la matière. En outre, seuls 39 pays (72 %) disposent de lois sur la cybersécurité, et 12 n’en ont aucune. Enfin, seuls 28 pays africains (52 %) disposent de lois sur la protection des consommateurs applicables aux transactions en ligne, 15 d’entre eux n’en ont aucune. L’absence d’une réglementation complète concernant la confiance dans l’économie numérique est un défi pour un continent qui subit régulièrement des violations de données et dont le nombre d’incidents liés à la cybercriminalité et à la cybersécurité est parmi les plus élevés au monde.
Parmi les caractéristiques innovantes du PCN de la ZLECAf figurent des dispositions étendues sur l’inclusion numérique qui mentionnent expressément la réduction de la fracture numérique pour, entre autres, les micro, petites et moyennes entreprises, la promotion de l’entrepreneuriat numérique, l’innovation et le développement des compétences. L’accord institutionnalise également l’assistance technique et le renforcement des capacités et dresse une longue liste de domaines de collaboration. Ces dispositions ne sont généralement pas présentes sous cette forme dans les ACN (bien qu’il existe des dispositions relatives au traitement spécial et différencié [TSD] spécifiques à un pays dans des accords tels que l’Accord de partenariat transpacifique global et progressiste et l’Accord de partenariat économique régional global). Toutefois, les dispositions relatives au développement dans la déclaration conjointe de l’OMC sur le commerce électronique sont plus étendues. Elles prévoient un soutien technique et un renforcement des capacités, des délais de mise en œuvre plus longs et un régime de mise en œuvre plus souple, ainsi qu’une clause de paix plus longue pour les PMA. À cet égard, les neuf pays africains qui sont parties à l’initiative liée à la déclaration conjointe sur le commerce électronique (le Bénin, le Burkina Faso, le Cap-Vert, le Cameroun, la Côte d’Ivoire, la Gambie, le Kenya, Maurice et le Nigeria) bénéficieront probablement de l’assistance technique prévue par cet accord, qui les aidera également à mettre en œuvre leurs obligations au titre de la ZLECAf.
Il convient de noter que le PCN de la ZLECAf ne contient pas de clause d’exception générale ni de clause sur la sécurité nationale, qui sont généralement incluses dans les ACN, même si elles font partie de l’accord-cadre. Toutefois, l’accord prévoit des exceptions dans des dispositions spécifiques qui reprennent le libellé des clauses d’exception générale et des clauses sur la sécurité nationale figurant à l’article XX de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994 (GATT 1994), à l’article XIV de l’Accord général sur le commerce des services (AGCS) (exceptions générales) et à l’article XXI du GATT 1994/article XIV bis de l’AGCS (exception relative à la sécurité nationale). L’accord intègre également une disposition relative au droit de réglementer, qui permet aux États parties de réglementer sur leur territoire et de « garantir le bien-être public, promouvoir le développement durable, protéger les intérêts essentiels de sécurité et poursuivre des objectifs légitimes de politique publique ».
Les prochaines étapes, les attentes et les principaux défis
Comme nous l’avons mentionné, les pays africains négocient encore huit annexes au PCN de la ZLECAf qui établiront un plan pour la réalisation de certains des objectifs de l’accord. Le contenu de ces annexes n’est pas connu. L’on ne sait pas non plus quand les textes seront adoptés.
Malgré l’ambition des pays africains de créer un marché numérique unique, le continent continue de faire face à d’importants défis qui pourraient compromettre ses objectifs. Tout d’abord, la preuve de la valeur du PCN de la ZLECAf sera révélée par sa mise en œuvre. Les obstacles à la mise en œuvre du PCN seront élevés en raison des difficultés propres à l’Afrique, telles que les lacunes en matière d’infrastructures, la fragmentation de la réglementation et les capacités relativement faibles. De nombreux pays africains sont encore confrontés à des déficits importants en matière d’infrastructure numérique, notamment un accès limité à l’internet, des coûts élevés de l’internet et des réseaux large bande peu fiables. Deuxièmement, il ne sera pas facile d’harmoniser les réglementations numériques entre divers États dont les niveaux de développement et les cadres réglementaires varient. Le PCN de la ZLECAf vient s’ajouter au grand panier d’accords sous-régionaux de l’Afrique, y compris les engagements des États parties au titre d’autres instruments de la ZLECAf, tels que le protocole sur le commerce des services. Par conséquent, les engagements pris dans le cadre d’autres forums pourraient affecter la mise en œuvre complète du PCN de la ZLECAf. Enfin, d’importantes ressources sont nécessaires pour soutenir le développement des compétences et le renforcement des capacités afin de permettre aux États parties de récolter les bénéfices du commerce numérique. Cela va du développement des compétences numériques nationales au soutien des efforts réglementaires, en passant par la mise en place d’une expertise et de structures de collaboration dans le domaine de la cybersécurité et de la protection des données.
Une part considérable de volonté politique, d'engagement, de solidarité et de ressources doit être investie dans le projet d’économie numérique de l'Afrique.
Il va sans dire qu’une part considérable de volonté politique, d’engagement, de solidarité et de ressources doit être investie dans le projet d’économie numérique de l’Afrique. À défaut, la volonté et les engagements exprimés par les parties dans le PCN de la ZLECAf et ses futures annexes pourraient être remis en cause, et ces accords relégués à la pile croissante de documents qui prétendent faire avancer significativement le développement durable en Afrique.
Soutenir le futur numérique de l’Afrique : la promesse du PCN de la ZLECAf
Le PCN de la ZLECAf représente un effort audacieux et complet visant à intégrer le commerce numérique dans le cadre économique régional de l’Afrique. L’accent mis sur la facilitation du commerce électronique, ainsi que sur des questions d’intégration plus profondes, notamment la protection des données, la cybersécurité et le développement des infrastructures, témoigne d’un engagement à relever les défis auxquels le continent est confronté.
Bien qu’il reste d’importants obstacles à surmonter, notamment les lacunes en matière d’infrastructure et l’harmonisation réglementaire, le PCN de la ZLECAf promet de transformer l’économie numérique de l’Afrique et de favoriser une plus grande intégration économique. Alors que les États parties concluent leurs négociations et travaillent à sa mise en œuvre, le succès du PCN de la ZLECAf dépendra d’une coopération fructueuse, de l’investissement dans l’infrastructure réglementaire et physique, et de l’engagement à respecter les obligations des États parties.
Kholofelo Kugler est une juriste sudafricaine spécialisée dans le droit commercial international, la réglementation du commerce numérique, ainsi que la réglementation et la conformité en matière d’intelligence artificielle.
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