L’Espagne est reconnue coupable dans une autre affaire sur les énergies renouvelables, et condamnée à verser 22 millions EUR en dommages-intérêts

BayWa r.e. Renewable Energy GmbH et BayWa r.e. Asset Holding GmbH c. Espagne, Affaire CIRDI n° ARB/15/16

Dans sa décision finale du 25 janvier 2021, un tribunal CIRDI ordonnait à l’Espagne de verser des dommages-intérêts à des investisseurs allemands en indemnisation de la réduction d’un régime de subventions. Même s’il n’a accepté aucun des recours primaires des demandeurs au titre du TCE, le tribunal a conclu que la disposition de récupération incluse dans le nouveau cadre réglementaire violait l’obligation de stabilité au titre de l’article 10(1) du TCE.

Le contexte et les recours

Entre 2009 et 2012, l’entreprise allemande BayWa R.E. Renewable Energy GmbH acquit BayWa R.E. Asset Holding GmbH (ensemble, « BayWa »), anciennement connue sous le nom de Renerco Renewable Energy Concepts AG (« Renerco »). Renerco détenait des parts et d’autres intérêts dans deux entreprises enregistrées en Espagne, Parque Eólico La Carracha, S.L. et Parque Eólico Plana de Jarreta, S.L. (ensemble, les « SPV »). Les SPV détiennent et opèrent plusieurs parcs éoliens dans le nord de l’Espagne. Suite aux changements apportés au cadre réglementaire espagnol relatif aux énergies renouvelables, BayWa lança un arbitrage au titre du TCE. 

La décision sur la compétence, la responsabilité et les indications sur le quantum

Dans une décision sur la compétence, la responsabilité et les indications sur le quantum datée du 2 décembre 2019, le tribunal concluait que la disposition de récupération du nouveau régime réglementaire équivalait à une violation du TJE. Aussi, BayWa pouvait prétendre à une indemnisation compte tenu de ses pertes de recettes au titre de l’article 10(1) du TCE. La majorité du tribunal expliqua qu’elle concluait à une violation générale du TJE. Les demandeurs pouvaient prétendre à une indemnisation des pertes de retours sur ses parcs éoliens. Le tribunal rejeta les autres recours des demandeurs, ainsi que les objections de l’Espagne à la compétence fondées sur la nature intra-UE du différend.

Dans un avis divergent partiel, l’arbitre Horacio Grigera Naón considérait que l’Espagne avait violé les attentes légitimes des demandeurs en imposant un « fardeau économique disproportionné, déraisonnable et inattendu », entraînant l’annulation du cadre réglementaire précédent sur lequel les demandeurs avaient fondé leur décision d’investir (opinion divergente, para. 24 à 29).

Cependant, le tribunal indiqua à l’unanimité que la date de la violation à retenir était le 13 juillet 2013, mais ne se prononça pas sur le quantum, chargeant les parties de trouver une solution quant à l’effet de l’application rétroactive abusive des nouvelles mesures dans les trois mois (para. 7 et 8).

Le 22 mars 2020, les demandeurs informèrent le tribunal que les parties n’avaient pas été en mesure de trouver un accord final quant au montant dû, et demandèrent au tribunal de déterminer les questions du quantum en suspens. 

La décision finale : la décision du tribunal sur le quantum

La quantification des dommages-intérêts

Le tribunal commença par expliquer que si l’Espagne n’avait pas promulgué la disposition de récupération, l’investissement de BayWa n’aurait pas été affecté. Il clarifia en outre que les demandeurs pouvaient prétendre à des dommages-intérêts compte tenu de l’impact économique enduré après l’application rétroactive aux parcs éoliens de la disposition de récupération (para. 26).

La méthodologie du tribunal

Le tribunal établit un ensemble de quatre critères successifs pour calculer le montant des pertes des parcs depuis le 13 juillet 2013. Pour se faire, il :

  1. Commença par calculer la valeur nette standard des actifs à la date du 13 juillet 2013, la date de l’évaluation (1ère étape).
  2. Calcula un retour cible annuel de 7,398 % pour les années suivantes, représentant le retour économique total des parcs pour chaque année, puis, en a soustrait les recettes estimées provenant des ventes de l’électricité au prix du marché (2ème étape).
  3. Traduisit ces pertes en dommages-intérêts en tenant compte des impôts, de l’actionnariat et du fait que les pertes futures étaient compensées à l’avance (3ème étape).
  4. Calcula les intérêts (4ème étape).

Calcul de la valeur nette standard des actifs en 2013 (VNA)

Les parties avaient utilisé des approches différentes pour calculer la VNA. D’un côté, les demandeurs n’avaient pas utilisé le prix du marché, mais plutôt une formule fondée sur l’investissement initial pour un parc standard et son retour connexe pour la période, équivalent à un retour de 7,398 %, considérant que la VNA devait être calculée depuis la date d’entrée en vigueur du nouveau régime réglementaire (c.-à-d. juillet 2013). Selon leur calcul, la VNA s’élevait à 73,413 millions EUR.

L’Espagne arguait quant à elle pour une date d’évaluation différente, le 16 juin 2014. Elle prétendait également que pour calculer la VNA, le tribunal devait s’appuyer sur la valeur des parcs, donnant lieu à un total de 40,5 millions EUR, plutôt que les 73 millions mis en avant par les demandeurs.

Le tribunal rejeta l’approche de l’Espagne, et se rangea du côté des demandeurs. Selon lui, la date du 13 juillet 2013 était la date correcte à retenir pour le calcul de la VNA car « la seule VNA qui importe est celle calculée au titre de la formule prévue dans le RDL 9/2013 », c’est-à-dire le nouveau régime réglementaire.

Calcul du tort porté aux parcs

Les parties n’étaient pas non plus d’accord sur la question de savoir si les événements ultérieurs à la violation devaient être pris en compte dans le calcul du tort porté aux parcs. Le tribunal considéra que le calcul des dommages ne devait pas ignorer les événements survenus après la violation initiale (para. 51 à 53).

Les dommages-intérêts et les coûts

Le tribunal détermina à l’unanimité que les dommages dus aux demandeurs à compter de la date d’évaluation représentaient 22,006 millions EUR, au titre des pertes subies par les parcs éoliens.

Les parties n’étaient pas non plus d’accord quant au taux d’intérêt à appliquer. BayWa arguait que le tribunal ne devait pas appliquer un taux inférieur à 7,398 %, auquel l’Espagne s’opposa et proposa d’utiliser le taux d’intérêt sans risque à court terme. Le tribunal retint la proposition de l’Espagne et expliqua que le taux de 7,398 % était le taux de croissance brut de l’investissement des parcs avant impôts. Le tribunal conclut donc qu’un taux d’intérêt équivalent au taux EURIBOR à six mois était acceptable. Il expliqua en outre que les intérêts sans risque à court terme devaient être calculés dès le 13 juillet 2013 jusqu’à la date du paiement des dommages-intérêts (para. 62).

S’agissant des coûts, le tribunal indiqua que puisqu’il avait accepté et rejeté des arguments des deux parties, et qu’il était parvenu à une « conclusion équilibrée », il semblait juste de diviser équitablement les coûts de la procédure, et que chacune des parties paye ses propres frais juridiques (para. 75).

Remarques : le tribunal était composé du juge James R. Crawford (président, d’Australie), d’Horacio A. Grigera Naón (nommé par les demandeurs, d’Argentine) et de Loretta Malintoppi (nommée par le défendeur, d’Italie). La décision du 25 janvier 2021 est disponible sur https://www.italaw.com/cases/7698.

Auteure

Maria Bisila Torao est une avocate internationale basée à Londres. Elle détient un master en droit, arbitrage international au titre des traités, de l’Université d’Uppsala, un master en droit, arbitrage commercial international, de l’Université de Stockholm, et une licence en droit de l’Université de Málaga.