Fishingboat vessel fishing in a rough sea
Policy Analysis

Un accord sur les subventions à la pêche à l’Organisation mondiale du commerce peut-il être conclu ?

Après plus de 20 ans de discussions, les membres de l’OMC prenant part aux négociations sur les subventions à la pêche sont plus près que jamais de conclure un accord. Tristan Irschlinger et Alice Tipping de l’IISD présentent les sujets finalisés et les questions qui restent en suspens dans le projet d’accord le plus récent, alors que les membres cherchent à dégager un consensus final.

Par Tristan Irschlinger, Alice Tipping on 7 juin 2022

Si les négociations sur les subventions à la pêche tenues à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) étaient une personne, elle aurait le droit de conduire et de boire une bière dans la plupart des pays. Cela fait 21 ans que l’organisation travaille à cet accord sur les subventions à la pêche, depuis le lancement du Programme de Doha pour le développement en 2001. Après des décennies de discussions et de revers successifs qui ont repoussé la conclusion des négociations ces dernières années, les membres de l’OMC semblent maintenant plus proches que jamais d’un accord. Le temps est-il enfin venu ?

Un problème simple, des questions difficiles

S’il y a bien un chiffre que les négociateurs de l’OMC connaissent maintenant sur le bout des doigts, c’est la part des stocks de poissons surexploités dans le monde : 34 %. La surpêche est généralisée dans les flottes mondiales et l’on sait que les subventions sont l’un des principaux facteurs de ce problème urgent. Le mandat des membres, approuvé par les ministres du Commerce à l’OMC et assorti de la date butoir de 2020 par les chefs d’États au titre de l’ODD 14.6, exige qu’ils interdisent « certaines formes de subventions à la pêche qui contribuent à la surcapacité et à la surpêche », tout en octroyant « un traitement spécial et différencié efficace et approprié » aux pays membres en développement.

Il est essentiel de lutter contre les subventions qui encouragent la pêche non durable pour veiller à ce que les ressources marines continuent de soutenir la sécurité alimentaire, les emplois et les moyens de subsistance de centaines de millions de personnes dans le monde, mais aussi pour préserver une source importante de revenus d’exportation de nombreux pays. Cet impératif général n’est pas remis en cause. Le problème qui divise les membres de l’OMC concerne la distribution des responsabilités dans le cadre d’un nouveau traité : entre les pays développés et ceux en développement, entre les petites nations de pêche et les plus grandes et entre les opérations de pêche commerciales, industrielles et les communautés de pêcheurs plus artisanales qui disposent de moyens de subsistance alternatifs limités.

Il est essentiel de lutter contre les subventions qui encouragent la pêche non durable pour veiller à ce que les ressources marines continuent de soutenir la sécurité alimentaire, les emplois et les moyens de subsistance de centaines de millions de personnes dans le monde.

Deux questions essentielles cristallisent une bonne partie de l’attention. Premièrement, les règles suggérées en demandent-elles suffisamment des grands acteurs ? Les cinq plus grandes nations ou entités de pêcheurs, c’est-à-dire la Chine, les États-Unis, l’Indonésie, le Pérou et l’Union européenne, représentent 42 % de la production mondiale de la pêche de capture marine. Les cinq pays octroyant le plus de subventions, c’est-à-dire la Chine, la Corée du Sud, les États-Unis, le Japon et la Russie, représentent environ 66 % des subventions qui seraient couvertes par les nouvelles règles. Un accord efficace doit imposer des disciplines significatives à ces acteurs.

Un débat connexe concerne le lien entre la gestion des pêcheries et les subventions. Si la gestion efficace de la pêche (ce qui arrive plutôt rarement) peut contribuer à atténuer le risque que les subventions n’entraînent la surpêche, des exemptions trop larges aux nouvelles disciplines, fondées sur la gestion, saperaient les effets d’un nouvel accord.

Deuxièmement, quel type de traitement spécial et différencié pour les pays membres en développement serait considéré comme « efficace et approprié » ? Là aussi, les chiffres sont importants. Les trois premières nations halieutiques, la Chine, l’Indonésie et le Pérou, sont des pays en développement et dans leur ensemble, les pays en développement représentent près de 70 % de la production mondiale de la pêche de capture marine. L'équation que les membres doivent résoudre consiste donc à accorder une certaine souplesse aux pays en développement membres lorsque cela se justifie du point de vue du développement, tout en évitant les exceptions générales qui favorisent les subventions généralisées qui encouragent l'épuisement des stocks de poissons et compromettent les perspectives de développement des communautés vulnérables.

Quel type de traitement spécial et différencié pour les pays membres en développement serait considéré comme « efficace et approprié » ?

Le fait de trouver une réponse unanime à ces questions, sur un sujet environnemental sensible qui tombe clairement en-dehors de la zone de confort habituelle des négociateurs de l’OMC n’est pas une mince affaire. Toutefois, les membres en sont tout proche. Un projet d’accord présenté par le président des négociations le 24 novembre 2021, quelques jours à peine avant le lancement original de la douzième Conférence ministérielle (CM12) de l’OMC, reflète un degré remarquable de convergence. En amont de la tenue de la CM12 reportée, prévue du 12 au 15 juin prochains, les membres s’efforcent maintenant de transformer cette convergence en consensus.

Trouver l’équilibre approprié

Le rapprochement progressif des positions des membres a exigé un équilibre prudent entre diverses considérations et priorités. Le projet de texte actuel fixe une bonne partie de l’équilibre général ; seules quelques questions en suspens restent ouvertes et les membres devront les résoudre pour atteindre un équilibre final. Le texte interdit les subventions dans trois domaines importants et inclut des règles innovantes sur la transparence qui jouent aussi leur rôle dans cet équilibrage.

La pêche illicite, non déclarée et non réglementée

La première interdiction se trouve à l’article trois du projet d’accord et s’applique aux subventions qui contribuent à la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN). Il interdit aux membres d’octroyer des subventions aux navires ou opérateurs pratiquant la pêche INN, ainsi qu’aux navires soutenant ces activités. Les États côtiers, les États du pavillon ou les organisations régionales de gestion de la pêche (ORGP) peuvent déterminer si un navire ou opérateur pratique la pêche INN, ce qui déclenche automatiquement l’application de la règle. Toutefois, cette interdiction stricte et automatique est assortie de trois dispositions spécifiques dans le texte.

Le projet de texte actuel fixe une bonne partie de l’équilibre général ; seules quelques questions en suspens restent ouvertes, et les membres devront les résoudre pour atteindre un équilibre final.

D’abord, les déterminations INN réalisées par les États côtiers ou les ORGP entraînent l’interdiction des subventions seulement si ces déterminations s’appuient sur les informations factuelles pertinentes et suivent des étapes procédurales basiques. Cela signifie que l’obligation d’un membre de ne pas accorder de subvention ne sera pas activée par les déterminations non fondées ou injustes réalisées par d’autres acteurs. Ensuite, le membre qui accorde la subvention décidera de la durée d’application de l’interdiction pour chaque infraction ; la seule prescription est qu’elle doit durer au moins aussi longtemps que la sanction originale ou l’inscription sur la liste INN. Finalement, les subventions accordées à la pêche artisanale des pays membres en développement ayant lieu près des côtes ne peuvent être contestées auprès de l’organe de règlement des différends de l’OMC pendant la période de grâce de 2 ans.

L’équilibre suggéré dans le texte est celui d’une interdiction forte, mais qui n’est déclenchée que sur la base de déterminations INN robustes, est appliquée d’une manière calibrée par le membre qui accorde la subvention et est assortie d’une période de transition au cours de laquelle elle ne peut être appliquée aux communautés halieutiques artisanales souvent vulnérables des pays en développement.

Les stocks surexploités

La deuxième interdiction (à l’article 4) concerne les situations présentant d’importantes préoccupations en termes de durabilité, car elle interdit aux membres de subventionner la pêche concernant des stocks déjà déclarés comme étant surexploités. Cette interdiction d’apparence stricte est atténuée par deux exemptions importantes à la règle, dans deux situations distinctes. D’abord, lorsque la subvention elle-même est accordée dans le but de reconstituer un stock, elle peut continuer d’être accordée. Ensuite, si des mesures de gestion de la pêche sont en place dans le but de reconstituer un stock, alors le maintien des subventions est permis.

Il semblerait que les disciplines concernant la pêche INN et les stocks surexploités soient maintenant stabilisées, et les discussions les plus récentes entre les membres se concentrent sur le troisième domaine des négociations : la surcapacité et la surpêche.

Ici, les membres semblent avoir trouvé un équilibre en combinant une interdiction forte avec une exemption relativement large lorsque des efforts politiques sont consentis pour reconstituer un stock à un niveau sain. La construction de cette flexibilité présente une certaine ambiguïté, car le texte ne précise pas ce que les membres devraient démontrer pour bénéficier de la disposition. Tout comme la règle pour la pêche INN, le projet d’accord prévoit également une période de grâce de 2 ans pour les subventions accordées par les pays en développement aux opérations de pêche artisanales menées le long des côtes et concernant des stocks surexploités.

Il semblerait que les disciplines concernant la pêche INN et les stocks surexploités soient maintenant stabilisées, et les discussions les plus récentes entre les membres se concentrent sur le troisième domaine des négociations : la surcapacité et la surpêche.

La surcapacité et la surpêche

Le troisième domaine substantif (l’article 5), qui a probablement le plus grand impact possible, inclut plusieurs règles. L’interdiction principale énonce une liste des types de subventions considérées comme étant celles qui contribuent le plus à la surcapacité et à la surpêche. Il s’agit des subventions qui aident les pêcheurs à couvrir les coûts opérationnels, tels que le carburant, ou les coûts en capital, notamment l’acquisition des navires, des moteurs et des équipements. Là encore, cette interdiction de base très stricte est équilibrée par une exemption relativement large fondée sur la gestion. Les subventions mentionnées sont interdites, sauf si un membre peut démontrer que des mesures de gestion des stocks sont en place pour maintenir les stocks dans les pêcheries pertinentes à « un niveau biologiquement durable ».

Si cette interdiction particulière a fait l’objet d’intenses débats, le texte actuel reflète la convergence des membres en faveur d’une approche « hybride » qui équilibre les éléments de diverses propositions. Il est probable qu’aucun membre ne soit pleinement satisfait avec tous les aspects de ce compromis, puisque le présupposé selon lequel toutes les subventions sont néfastes et l’étendue des exemptions ont tous deux fait l’objet d’intenses débats, mais il semble également que ce soit la seule option acceptable pour tous.

La principale interdiction a concentré la plupart des discussions sur le traitement spécial et différencié pour les pays membres en développement. Si les positions étaient à l’origine fort éloignées, elles se sont progressivement rapprochées, et presque tous les membres semblent maintenant d’accord sur la structure de base de ces dispositions. L’approche suggérée dans le projet d’accord inclut une combinaison de trois exceptions à l’interdiction principale :

  • Les subventions accordées par les pays membres en développement à la pêche dans leur zone économique exclusive (ZEE) nationale ou la zone de compétence d’une ORPG, mais seulement pour un temps limité (devant être négocié).
  • Les subventions accordées par les pays membres en développement à la pêche à faibles revenus, limitée en ressources et de subsistance, dans une zone d’une certaine distance mesurée depuis les lignes de base (le texte suggère une limite de 12 milles marins).
  • Toutes les subventions accordées par les petites nations halieutiques (le texte suggère qu’il s’agit des membres représentant moins de 0,7 % de la production mondiale de la pêche de capture marine) et par les pays membres les moins avancés (PMA).

Le projet de texte inclut également une note de pied de page qui, si elle était conservée, empêcherait les pays membres en développement qui représentent plus de 10 % de la production mondiale de la pêche de capture marine d’invoquer les dispositions relatives au traitement spécial et différencié. D’après les données les plus récentes de la FAO, cela concernerait uniquement la Chine. Le texte contient également un autre élément important, une obligation non contraignante pour tous les membres en développement invoquant ces exemptions de s’efforcer de faire en sorte que ces subventions ne contribuent pas à la surcapacité et la surpêche.

Le texte actuel reflète une tentative d’adapter les flexibilités en fonction des différents rôles des membres dans la pêche mondiale et des différents types d’activités liées à la pêche.

Le texte actuel reflète une tentative d’adapter les flexibilités en fonction des différents rôles des membres dans la pêche mondiale et des différents types d’activités liées à la pêche. La flexibilité fondée sur les ZEE et les ORPG qui couvre tous les pays membres en développement, exempte une grande partie de la capture mondiale, des efforts de pêche et des subventions de l’application des règles, mais elle n’est que temporaire. D’un autre côté, les exemptions accordées à la pêche artisanale, aux petites nations halieutiques et aux PMA membres s’appliquent de manière permanente, mais ne couvrent qu’une part beaucoup plus restreinte de la capture mondiale, des efforts de pêche et des subventions (voir  A Draft World Trade Organization Agreement on Fisheries Subsidies: What’s on the Table?). Les discussions récentes se sont centrées sur les chiffres spécifiques des seuils et périodes de temps inclus dans ces exemptions. Les chiffres finaux précis seront un élément important de l’équilibre final de l’accord.

En plus d’interdire des types de subventions spécifiques, l’article 5 du projet d’accord inclut des règles s’appliquant spécifiquement aux subventions accordées aux activités de pêche lointaine. Elles incluent une interdiction des subventions ciblant la pêche en dehors de la juridiction du membre qui accorde la subvention (actuellement dans l’interdiction principale) ; une interdiction autonome des subventions accordées à la pêche dans les eaux internationales non réglementées ; et une interdiction des subventions à un navire ne battant pas le pavillon du Membre qui accorde la subvention (ou, alternativement, qui n’est pas sous son contrôle effectif). De nombreux membres ont indiqué que ces disciplines étaient une priorité pour eux, car elles pourraient contribuer à réduire les activités intenses liées à la pêche des flottes distantes subventionnées qui ont souvent lieu à proximité des limites des ZEE nationales. La forme finale de ces disciplines sera également un facteur important dans l’équilibre général de cet article.

Les notifications et la transparence

Un dernier ensemble de dispositions clés est contenu à l’article 8 du projet d’accord, qui porte sur les notifications et la transparence. Si les membres sont déjà sous le coup d’obligations de notification au titre des règles existantes de l’OMC, le texte exige qu’ils notifient les renseignements liés à leurs subventions à la pêche. Essentiellement, le projet d’accord restreint l’utilisation des diverses exemptions qu’il contient à la réalisation de ces obligations de notification, garantissant ainsi la transparence quant aux subventions exemptées et aux stocks de poissons auxquels elles s’appliquent. Les membres en développement ne peuvent invoquer les exemptions liées au traitement spécial et différencié que pour les subventions qu’ils ont notifiées, notamment en fournissant les renseignements sur le type d’activités et de capture des pêcheries concernées. Et pour pouvoir invoquer les flexibilités fondées sur la gestion (contenues à l’article 4 et la principale interdiction de l’article 5), les membres doivent également fournir des renseignements supplémentaires sur les mesures de gestion pertinentes et le statut des stocks concernés, ce qui peut donner une première idée de la robustesse de ces mesures.

Deux éléments supplémentaires importants du projet de texte sur la transparence seront en jeu. Le premier est une proposition d’obligation pour les membres de notifier toute information indiquant le recours au travail forcé à bord des navires de pêche, qui est une priorité pour de nombreux membres, mais une question sensible pour d’autres, notamment pour des raisons systémiques. Le deuxième est une proposition visant à obliger les membres à notifier, ou peut-être à inclure dans la portée générale de l’accord, les subventions au carburant non spécifiques accordées à leur flotte. Certains membres considèrent que ces subventions portent autant atteinte à l’environnement que les subventions au carburant accordées spécifiquement aux pêcheries, tandis que d’autres s’inquiètent des implications systémiques de l’inclusion de mesures économiques plus larges dans la portée de l’accord.

Conclure l’accord

Si le projet d’accord inclut encore quelques questions en suspens, il montre également l’ampleur des progrès réalisés par les membres en vue de la conclusion de cet accord tant attendu. Évidemment, celui-ci ne sera le traité idéal d’aucun des membres. Mais les compris sont inhérents au principe même de la négociation internationale, et du point de vue de la durabilité, le texte actuel est beaucoup plus ambitieux que les règles similaires sur les subventions à la pêche convenues dans les accords commerciaux entre des groupes de pays beaucoup plus restreints.

Il reste donc à savoir si tous les membres de l’OMC seront en mesure de voir suffisamment de valeur potentielle dans l’équilibre final, qui doit encore être élaboré, et de montrer leur volonté de conclure un résultat qui serait historique pour l’OMC, l’environnement et les populations du monde entier qui dépendent d’un océan sain.

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Sujet
Trade
Subsidies
Project
Fisheries Subsidies
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Economies