Vers une économie circulaire faible en carbone : le rôle émergent du commerce
Les solutions fondées sur l’économie circulaire jouent un rôle essentiel dans la voie vers la décarbonisation. Kevin Moss du World Resources Institute, Mari Pantsar du Sitra, le Fond finnois pour l’innovation, et Scott Vaughan du Conseil chinois de coopération internationale en matière d’environnement et de développement expliquent la manière dont la politique commerciale peut soutenir la transition.
L’élan en vue du sommet de Glasgow sur le climat se poursuit : plus de 60 pays ont déjà communiqué des objectifs nets zéro, et quelques 90 gouvernements ont mis à jour leurs Contributions déterminées au niveau national (CDN) pour inclure de nouveaux objectifs, des détails supplémentaires quant à la manière d’y parvenir, ou les deux. Les initiatives telles que No New Coal (Pas de nouvelles centrales à charbon) et les annonces selon lesquelles la Chine n’investira plus dans des centrales à charbon étrangères, donnent l’espoir prudent que cette conférence des parties pourrait donner lieu à des résultats concrets.
Les engagements des acteurs non étatiques en faveur du net zéro surpassent maintenant le rythme des négociations du traité international. Au mois de septembre 2021, plus de 4 500 entreprises, villes et régions, hôpitaux, institutions éducatives et autres s’étaient engagés à diviser par deux leurs émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030, et à atteindre zéro émissions nettes au plus tard en 2050, et plus de 1 900 entreprises se sont engagées à se fixer des objectifs climatiques fondés sur la science.
Les solutions proposées par l’économie circulaire jouent un rôle indispensable dans les modalités de décarbonisation.
Les solutions proposées par l’économie circulaire jouent un rôle indispensable dans les modalités de décarbonisation. À ce jour, rares sont les CDN qui identifient explicitement des actions circulaires. Pourtant, il sera impossible d’atteindre les objectifs de l’Accord de Paris sans cela : l’empreinte carbone associée à l’extraction et à la transformation des ressources matérielles (y compris les combustibles fossiles et l’agriculture) représente la moitié des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Aussi, le Forum mondial de l’économie circulaire 2021 s’est attaché à identifier non pas si, mais plutôt en quoi, l’économie circulaire était essentielle aux résultats du sommet de Glasgow.
L’un des aspects des mesures d’économie circulaire implique plusieurs aspects du commerce et des chaînes d’approvisionnement.
Adopter des incitations gouvernementales qui permettent d’extraire de la valeur des déchets
Chaque année, le commerce des déchets génère un marché mondial de 315 milliards USD. La Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED) estime que 550 tonnes de déchets de métaux, plastiques, produits électroniques, papier, vêtements, et autres sont échangés chaque année. L’un des objectifs fondamentaux de l’économie circulaire consiste à réduire les flux de déchets grâce à la réutilisation et au recyclage des matériaux. Le fait de revaloriser les vieux matériaux permet notamment d’accroître la part des matières brutes secondaires et de réduire la transformation des matières premières. Cela est très important du point de vue du climat : la transformation des matières premières émet beaucoup plus d’émissions carbone que celle des matières secondaires. Autrement dit, le recyclage des matières brutes demande beaucoup moins d’énergie, jusqu’à 90 % selon le matériau, que l’obtention des ressources primaires (Organisation de coopération et de développement économiques [OCDE], 2019).
L’un des objectifs fondamentaux de l’économie circulaire consiste à réduire les flux de déchets grâce à la réutilisation et au recyclage des matériaux.
Il est essentiel d’opérer cette transition des matières premières en faveur des matières secondaires pour découpler la croissance du PIB de l’intensité en matériaux : l’OCDE estime un taux de découplage d’environ 1,3 % par an. Le recyclage des métaux croît déjà plus rapidement que l’extraction primaire, et devrait même la surpasser dans les décennies à venir.
Alors qu’un tiers de l’ensemble des ressources naturelles extraites et transformées sont échangées, ces transitions vers les matériaux secondaires ont d’importantes implications pour le commerce. Par exemple, les échanges de déchets métalliques et de ferraille, qui représentent la majeure partie de tous les échanges de déchets, sont passés de 22 milliards USD en 2002 à 82 milliards USD en 2017. Si ces tendances exercent une pression sur l’extraction primaire et les milliers d’emplois du secteur, la croissance des matériaux secondaires créé de nouveaux services de reprise/d’échange et les emplois connexes, allant des consultants spécialisés dans la conception initiale aux fins de la réutilisation et de la réparation, aux services de retransformation des matériaux et de transport, en passant par les services d’ingénierie sur site pour le remplacement et la maintenance.
Même si le commerce de matières secondaires continue de croître, il demeure inférieur à la demande de matières premières, qui devrait doubler d’ici à 2060. La majeure partie de la demande future émane des pays en développement à mesure que leurs populations sortent de la pauvreté pour former les classes moyennes. Par ailleurs, l’importante croissance de l’utilisation des métaux primaires tels que le lithium et le cobalt qui sous-tendent l’électrification et les technologies de l’information se poursuit à un rythme soutenu.
Les politiques gouvernementales jouent un rôle important en aidant les marchés et les consommateurs à identifier de nouvelles valeurs dans les matières secondaires. Les Pays-Bas ont adopté des mesures plafonnant la part des matières premières à 50 %, et le 14ème Plan quinquennal de la Chine décourage la démolition des anciens bâtiments, limite la taille des gratte-ciels et encourage la rénovation et la modernisation. Au titre de son Plan d’action sur l’économie circulaire 2020, l’Union européenne s’est engagée à développer une nouvelle politique de produits circulaires, visant d’abord les secteurs les plus intensifs en énergie et en ressources. Le plan envisage de nouvelles réglementations, notamment des obligations et normes relatives au contenu recyclé, qui couvriront non seulement les produits fabriqués dans l’UE mais également toutes les importations.
Alors que les mesures d’économie circulaire continuent de modifier la composition des échanges dans de nombreux secteurs, les partenaires commerciaux doivent intensifier leurs efforts de partage des bonnes pratiques. Idéalement, il faudrait s’attacher à développer des normes internationales de l’économie circulaire qui couvrent non seulement les caractéristiques du produit fini, mais également la conception des produits, puisque 80 % de l’impact environnemental d’un produit est déterminé lors de la conception. Les travaux menés par l’Organisation internationale de normalisation (ISO) et son Comité technique 323 sur les normes de qualité des matériaux pourraient contribuer à ces normes.
Étendre les modèles commerciaux circulaires qui maximisent la valeur des biens réutilisés
L’un des effets de l’économie circulaire, plus important encore que la croissance des matières secondaires, est l’accélération du rythme de l’innovation dans les marchés de consommation. Dans la hiérarchie de l’économie circulaire, les stratégies relatives à la longévité des produits l’emportent sur le recyclage des matériaux. L’un des principaux objectifs de l’économie circulaire consiste à conserver et réutiliser les matériaux avant qu’ils ne soient finalement recyclés.
La croissance de l’économie de partage, menée en grande partie par les jeunes générations, et rendue possible grâce à la numérisation, est un autre de ces changements bien amorcés. Le secteur de la mode et de l’habillement est un bon exemple. Lancée en 2009, la plateforme de commerce électronique Rent the Runway permet aux utilisateurs de louer et d’acheter des vêtements de marque ; dix ans plus tard, la valeur de marché du site internet était de plus d’1 milliard USD. Des plateformes de ce type proposant d’autres produits de consommation, allant de l’électroménager aux outils de jardinage, continuent de croître.
Mais les consommateurs doivent également changer leurs habitudes et utiliser les produits plus longtemps avant de les remplacer. Dans le domaine des technologies de l’information et de la communication par exemple, les smartphones, ordinateurs et autres équipements électroniques pourraient être utilisés plus longtemps. L’on estime que 85 % à 95 % des deux premières années de l’empreinte carbone totale d’un smartphone proviennent de l’extraction minière des métaux qu’il contient. Trouver des moyens d’étendre la durée de vie moyenne d’un smartphone au-delà des 29 mois actuels permettrait de réduire les émissions carbone. L’ordre exécutif de juillet 2021 adopté par Joe Biden est un premier pas dans la bonne direction qui vise à inclure le secteur de la technologie dans les efforts de réparation. Des initiatives similaires en France, par le Parlement européen et ailleurs suggèrent un élan en faveur de l’extension de la durée de vie des produits électroniques, et une décision récente du Parlement européen d’adopter une norme de chargeur universel pour tous les smartphones et équipements connexes promet de réduire l’empreinte carbone et la quantité de déchets électroniques de ces équipements.
Pour les entreprises, les opportunités de réaliser des profits passent des ventes de nouveaux produits aux services tels que la réparation, la modernisation et l’amélioration qui étendent la durée de vie de ces produits. De telles initiatives promettent une croissance continue des emplois liés aux services de l’économie circulaire, tels que les experts de la réparation.
Les consommateurs doivent également changer leurs habitudes et utiliser les produits plus longtemps avant de les remplacer.
Nous constatons également un intérêt croissant de la part des entreprises dans le rachat et la revente de biens de seconde main. Des entreprises physiques telles qu’IKEA et Walmart, aux services en ligne notamment thredUP aux États-Unis et Xianyu en Chine, et aux services entre entreprises tels que Shopify et Trove, le marché des biens de seconde main est en plein essor.
Utiliser la politique commerciale internationale comme facilitateur d’une économie pleinement circulaire
À ce jour, le commerce a joué un rôle limité dans l’économie circulaire. La Convention de Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontières des déchets dangereux reste faible, tandis que la portée de la couverture internationale des mécanismes de responsabilité élargie des producteurs est ambigüe.
Les deux mesures commerciales liées à l’économie circulaire les plus utilisées concernent l’interdiction des importations et les restrictions à l’exportation. Dans la première catégorie, l’interdiction la plus marquante reste l’annonce par la Chine en 2017, mise à jour en 2018, de l’interdiction des importations de la plupart des déchets. Dans la deuxième catégorie, l’OCDE note une augmentation annuelle d’environ 7 % du recours aux restrictions à l’exportation affectant principalement les matières premières, et indique qu’une fois adoptées, les restrictions à l’exportation sont rarement levées.
Compte tenu de l’impact grandissant des mesures d’économie circulaire sur les chaînes d’approvisionnement nationales et internationales, des politiques commerciales plus proactives sont nécessaires.
Compte tenu de l’impact grandissant des mesures d’économie circulaire sur les chaînes d’approvisionnement nationales et internationales, des politiques commerciales plus proactives sont nécessaires. Les actions de lutte contre la pollution par les plastiques sont un bon point de départ : une réunion ministérielle récente a examiné la manière dont la politique commerciale peut soutenir les mesures nationales visant à réduire les plastiques à usage unique. En plus des politiques, qui peuvent stimuler ou imposer, les ententes entre le gouvernement et les entreprises sont également un signal fort de cette volonté de réduire le plastique, ou de concevoir des nouveaux plastiques faciles à recycler et donc à réutiliser. Le Pacte plastique européen en est un exemple.
La meilleure contribution que la politique commerciale puisse apporter à l’économie circulaire consiste à éliminer les droits de douanes, les obstacles non tarifaires, les subventions et autres mesures qui restreignent les échanges de biens et de services circulaires, et à définir un panier de préférences qui s’inspire des efforts de soutien actuels aux biens et services environnementaux.
L’Organisation mondiale du commerce (OMC) a éludé ces efforts, ce qui s’explique en partie par le fait que d’autres organisations, telles que l’Organisation mondiale des douanes, n’ont pas réussi à distinguer les produits échangés en fonction de la manière dont ils sont fabriqués (en fonction de la quantité d’énergie, des matériaux recyclés, etc.). Il ne fait aucun doute que la communauté commerciale doit faire mieux et différencier les produits nets zéro, durables ou circulaires de leurs homologues : quel que soit le sort du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières de l’UE, il est urgent de compter avec des normes pour faciliter un commerce plus vert.
Les accords de libre-échange bilatéraux et régionaux représentent la meilleure option pour étendre les mesures d’économie circulaire.
Les accords de libre-échange bilatéraux et régionaux représentent la meilleure option pour étendre les mesures d’économie circulaire. L’Accord économique et commercial global Canada-UE mentionne par exemple l’évaluation du cycle de vie et des mesures pour améliorer les échanges des biens et services environnementaux. Compte tenu de la demande de la Chine en septembre 2021 de se joindre à l’Accord de Partenariat transpacifique global et progressif, et de son engagement renouvelé en faveur d’une économie circulaire faible en carbone, le partenariat donne lui aussi l’occasion de faire progresser la circularité et les échanges grâce à ses dispositions environnementales.
Conclusion
Le commerce peut réaliser une contribution précieuse en faveur d’un avenir plus durable. Les flux commerciaux émergents de matières secondaires vont continuer de croître à court terme. De nouveaux modèles commerciaux plus circulaires remplaceront les approches linéaires existantes : réparer, réutiliser, rénover, refabriquer et reconvertir. Et le commerce des services deviendra donc plus important.
Cela étant dit, il est vital que les gouvernements nationaux adoptent des politiques favorables. Il n’a jamais été aussi important que maintenant d’élaborer un accord OMC contenant des règles et dispositions respectueuses du climat, qui créent un pied d’égalité pour déployer à grande échelle les biens et services durables, afin que les accords bilatéraux et régionaux puissent ensuite adopter des chapitres et clauses détaillés sur l’économie circulaire faible en carbone. La transition vers une société équitable, juste et zéro émissions exige un engagement, un soutien et un esprit d’innovation plus importants de la part de la communauté commerciale.
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