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Policy Analysis

M. Ossa de l’OMC : le commerce est à la fois une cause et une solution du changement climatique

Le commerce peut avoir des effets de plus en plus négatifs sur l’environnement et le changement climatique. Toutefois, une politique commerciale assortie des mesures incitatives appropriées peut également apporter des solutions à ces défis. Jennifer Freedman, rédactrice en chef du magazine Trade and Sustainability Review de l’IISD, s’entretient avec l’économiste en chef de l’OMC, Ralph Ossa, pour discuter de ces details.

Par Jennifer Freedman on 14 avril 2023

Les militants de la lutte contre le changement climatique ont souvent pointé du doigt le commerce international comme l’une des principales raisons de la hausse des températures et de la prolifération des phénomènes météorologiques extrêmes sur la planète. Même l’Organisation mondiale du commerce (OMC) a noté, dans une note d’information datant de 2021, que la production et le transport des biens et services exportés et importés génèrent jusqu’à 30 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre.

Mais Ralph Ossa, le nouvel économiste en chef de l’OMC, affirme que le commerce peut être « un élément important de la solution » au changement climatique, avec les bonnes incitations.

« Le commerce a mauvaise réputation en ce qui concerne le changement climatique parce que les gens l’associent aux émissions découlant du transport », a déclaré M. Ossa lors d’un entretien. « Mais les émissions découlant du transport ne représentent qu’une petite partie des émissions totales, et les émissions liées à la production varient considérablement d’un pays à l’autre, de sorte que l’importation est en réalité souvent le choix le plus écologique. Acheter écologique n’est pas la même chose qu’acheter local ».

Selon M. Ossa, professeur d’économie à l’université de Zurich, qui a pris ses fonctions d’économiste en chef et de directeur de la division de la recherche économique et des statistiques de l’OMC en janvier, la mise en place d’incitations adéquates, telles qu’une taxe « appropriée » sur le carbone permettrait de libérer le potentiel d’approvisionnement écologique du commerce international.

Acheter écologique n’est pas la même chose qu’acheter local.

« Nous avons récemment montré que cette solution présentait un potentiel énorme en simulant les effets d’une taxe mondiale sur le carbone de 100 USD/tonne dans un modèle de l’économie mondiale », a-t-il déclaré.

Le résultat ? « Nous constatons que plus d’un tiers des réductions d’émissions obtenues sont dues à l’approvisionnement écologique ou, plus généralement, au fait que les pays se spécialisent dans les domaines où ils sont relativement verts. Le commerce présente donc des avantages environnementaux considérables, que nous devons exploiter dans la lutte contre le changement climatique ». 

Ralph

Selon M. Ossa, une action décisive en faveur du climat n’est possible que si elle a un coût économique raisonnable. 

« L’économie peut nous aider à trouver les solutions les plus efficaces et devrait donc être un élément important du débat. L’un des principaux messages qui ressort de la recherche économique est que nous devons intégrer le commerce international à la lutte contre le changement climatique ».

Dans son rapport phare sur le commerce mondial 2022, rendu public en novembre à l’occasion de la 27ème conférence des Nations Unies sur le changement climatique, l’OMC indique que ses simulations montrent que l’élimination des obstacles non tarifaires visant un sous-ensemble de biens environnementaux liés à l’énergie pourraient donner lieu à une augmentation des exportations de 5 % et une réduction des émissions mondiales de 0,6 %. Selon le rapport, la coopération commerciale internationale pourrait limiter l’augmentation de la température moyenne mondiale à moins de 2 °C d’ici à 2050. En outre, le commerce a un effet multiplicateur sur les efforts d’adaptation et d’atténuation menés par les pays, en réduisant les coûts et intensifiant les impacts.

« Nous savons que le commerce génère d’importants gains économiques si les pays se spécialisent dans les domaines où ils sont relativement bons », a déclaré M. Ossa, âgé de 44 ans. « Dans le même ordre d’idées, les gains environnementaux du commerce sont également importants si les pays se spécialisent dans les domaines où ils sont relativement verts ».

Services et subventions

Une autre publication de l’OMC, le Baromètre du commerce des services publié fin décembre, prévoyait que le commerce des services « devrait faiblir » dans les premiers mois de 2023. Mais les perspectives du commerce des services se sont « considérablement améliorées » entre-temps, selon M. Ossa, en grande partie grâce à la décision de la Chine de rouvrir ses frontières le 8 janvier. Cette décision devrait stimuler le transport de passagers ainsi que le tourisme mondial, qui représentait près de 25 % du commerce des services avant la pandémie de COVID-19, selon M. Ossa.

« Les deux secteurs sont restés bien en deçà des niveaux d’avant la pandémie en 2022. Cela permettra de compenser le ralentissement de la croissance cette année dans le secteur du transport maritime, car les taux mondiaux de fret sont revenus à la normale à la fin de l’année 2022, après avoir connu une forte hausse au cours des deux dernières années ».

Pourtant, le New York Times a écrit le 29 janvier que même s’il y avait eu une « augmentation » du nombre de touristes chinois vers des destinations voisines telles que Macao, Hong Kong, la Thaïlande et Singapour, « les destinations plus éloignées attendent toujours leur retour ». Avant la pandémie, la Chine a envoyé plus de voyageurs à l’étranger que n’importe quel autre pays, avec quelque 150 millions de touristes chinois dépensant plus de 277 milliards USD dans des destinations étrangères en 2018.

Malgré les prévisions encourageantes pour le commerce des services, les plans récemment annoncés par les États-Unis et l’Union européenne visant à subventionner leurs industries nationales inquiètent beaucoup de monde, en particulier les pays en développement et les petits acteurs qui tentent d’intégrer les chaînes de valeur mondiales.

En ce qui concerne l’impact sur les économies en développement des subventions généreuses offertes par les États-Unis dans le cadre de la Loi de réduction de l’inflation (Inflation Reduction Act, conçue pour protéger les entreprises américaines de l’impact de la hausse des prix et pour subventionner les investissements dans les nouvelles technologies vertes) et par l’Union européenne, qui découlent de la révision des règles relatives aux aides d’État destinées à aider les États membres à faire face aux retombées de la guerre en Ukraine, voici ce qu’en pense M. Ossa :

« Les pays en développement ont exprimé leur inquiétude face aux vastes programmes de subventions mis en place aux États-Unis et dans l’Union européenne. Ils se considèrent comme les perdants probables d’une course aux subventions, car ils n’ont pas la capacité budgétaire de contrer ces mesures par leurs propres moyens. Ceci étant dit, il est également important de reconnaître que l’économie des subventions n’est pas manichéenne. Par exemple, l’on peut économiquement justifier les subventions vertes dans le cadre de la lutte contre le changement climatique ».

L’on peut économiquement justifier les subventions vertes dans le cadre de la lutte contre le changement climatique.

L’Union européenne, qui craint que la loi sur la réduction de l’inflation, d’un montant de 369 milliards USD, ne sape la compétitivité des entreprises européennes en Amérique du Nord et ne provoque un exode des entreprises de l’autre côté de l’océan Atlantique, a dévoilé son propre plan industriel du pacte vert le 1er février afin de soutenir les industries propres de l’Union européenne. 

M. Ossa déclare qu’il a pris ses nouvelles fonctions sur une « base solide » grâce au travail de son prédécesseur, Robert Koopman, qui a quitté l’OMC en juillet dernier pour rejoindre la School of International Service de l’université américaine à Washington, D.C. « Mais, bien sûr, j’ai aussi beaucoup de nouvelles idées qui, je l’espère, nous aideront à passer à l’étape suivante. L’une d’entre elles est que j’aimerais tirer parti de mes liens étroits avec le secteur universitaire pour inciter la communauté universitaire à mener des recherches pertinentes pour l’OMC ». 

« Mon principal objectif en tant qu’économiste en chef est de soutenir l’OMC dans sa mission de faciliter la coopération en matière de politique commerciale en fournissant des recherches et des analyses pertinentes », a déclaré M. Ossa, qui aime faire de la randonnée dans les montagnes suisses avec sa femme et ses deux enfants lorsqu’il retire sa casquette d’économiste. « Je pense que nous avons plus que jamais besoin de la coopération multilatérale dans ce monde de plus en plus complexe ».

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Economies