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Policy Analysis

L'intégration de l'Accord sur la facilitation de l'investissement dans le système de l'Organisation mondiale du commerce ne sera pas chose aisée

L'Accord sur la facilitation de l'investissement pour le développement vise à faciliter l'investissement et à accroître les flux mondiaux d'investissements directs étrangers, en particulier vers les économies en développement et les pays les moins avancés, afin de favoriser le développement durable. Rashmi Jose analyse l’objectif de l'Accord FID et le débat autour de son incorporation juridique dans la structure de l'OMC.

Par Rashmi Jose on 11 janvier 2024

Les membres de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) envisagent d’intégrer un nouveau traité – l’Accord sur la facilitation de l’investissement pour le développement (Accord FID) – dans le cadre de l’OMC. Pour ce faire, les membres à l’Accord FID devront convaincre les pays non signataires, y compris ceux qui s’opposent depuis longtemps aux nouvelles initiatives plurilatérales, d’accepter l’intégration de l’Accord FID en tant qu’accord plurilatéral au titre de l’annexe 4 de de l’Accord de Marrakech instituant l’OMC. Cet article explique le contenu de l’Accord FID et le débat quant à son intégration dans le système de l’OMC.

Quand et comment est-ce que tout a commencé ?

Lors de la 11ème Conférence ministérielle (CM11) à Buenos Aires en décembre 2017, un groupe de 70 membres de l’OMC a lancé une nouvelle initiative : une initiative liée à une déclaration conjointe (IDC) explorant la possibilité de créer un accord multilatéral axé sur les règles de facilitation de l’investissement à l’OMC. Après plus de deux ans de discussions structurées, les échanges se sont transformés en négociations formelles en septembre 2020. Après près de trois années, ces négociations ont abouti à une étape importante le 6 juillet 2023 : une version finalisée du texte juridique de l’accord.

La participation à l’IDC s’est accrue au fil du temps, 117 membres y prenant désormais part en tant que signataires et un membre s’y engageant en tant qu’observateur. Cela représente plus des deux tiers des 164 membres de l’OMC. Les membres sont diversifiés : 21 pays parmi les moins avancés (PMA), 59 économies en développement (en tenant compte des désignations de l’Accord sur la facilitation des échanges pour les économies en développement) et 38 économies développées y participent. Toutefois, certaines grandes économies, dont l’Afrique du Sud, les États-Unis et l’Inde, se sont abstenues de prendre part au processus.

L’OMC n’est pas le forum habituel de négociation des règles d’investissement international, puisqu’elle n’a produit qu’un seul accord multilatéral, l’Accord sur les mesures concernant les investissements et liées au commerce de 1995. Les règles de gouvernance en matière d’investissement sont principalement négociées dans le cadre d’accords internationaux d’investissement et de chapitres consacrés à l’investissement dans les accords commerciaux régionaux. Si les dispositions relatives à l’investissement étaient généralement absentes des accords internationaux d’investissement, depuis 2015, elles sont devenues plus courantes, plus diversifiées et contiennent davantage d’engagements.

Que contient l’Accord FID ?

L’accord vise à faciliter l’investissement et donc à augmenter les flux mondiaux d’investissements directs étrangers (IDE), en particulier vers les économies en développement et les PMA, afin de favoriser le développement durable. Il comprend une série d’engagements, tels que l’amélioration de la transparence des mesures d’investissement, la simplification et la rationalisation des procédures administratives, et le renforcement de la coopération avec les investisseurs et entre les gouvernements sur les questions de facilitation de l’investissement. Les obligations s’appliquent aux mesures prises par les organes gouvernementaux à différents niveaux, du niveau central et régional au niveau local, ainsi qu’aux entités disposant d’une délégation de pouvoir.

L’accord vise à faciliter l’investissement et donc à augmenter les flux mondiaux d’investissements directs étrangers, en particulier vers les économies en développement et les PMA.

L’un des piliers de l’accord est l’engagement à améliorer la transparence des mesures d’investissement afin de réduire les coûts de collecte d’informations auxquels les investisseurs étrangers peuvent être confrontés lorsqu’ils se familiarisent avec un marché étranger. La plupart des exigences sont des obligations de publication, en vertu desquelles les membres acceptent de publier ou de mettre à la disposition du public des informations sur les mesures réglementaires adoptées et proposées, et d’améliorer l’accès à d’autres informations pratiques qui pourraient s’avérer utiles pour les décisions en matière d’IDE. Certaines de ces informations doivent être disponibles en ligne et, idéalement, sur un portail d’information unique.

Les membres conviennent également d’améliorer les pratiques relatives à l’élaboration des lois et des réglementations. Par exemple, ils donneront la possibilité aux parties prenantes de formuler des observations au cours du processus d’élaboration des réglementations et réaliseront des évaluations d’impact ex ante pour les réglementations proposées qui pourraient affecter de manière significative les décisions en matière d’IDE.

En outre, les membres s’engagent à simplifier et à rationaliser leurs procédures d’autorisation afin de réduire les obstacles bureaucratiques et d’améliorer la fiabilité et la prévisibilité des procédures gouvernementales. Les membres veilleront, par exemple, à ce que les mesures administratives liées à l’IDE soient élaborées de manière objective, transparente et impartiale et amélioreront leurs pratiques en matière de mise en œuvre des procédures d’application. Des engagements sont pris pour garantir l’intégrité et la confiance dans les processus décisionnels en veillant à ce que les décisions soient prises de manière indépendante et en établissant des procédures d’appel et de révision.

Les engagements pris pour améliorer la coopération avec les investisseurs et entre les gouvernements sont également essentiels. Les membres maintiendront, par exemple, des points de contact qui pourront répondre aux questions sur les sujets couverts par l’accord. Ces points de contact peuvent se voir déléguer des fonctions supplémentaires, telles que l’aide aux investisseurs pour résoudre les obstacles sur le terrain ou la réception des recommandations politiques pour améliorer le climat d’investissement. Les membres sont également encouragés à améliorer les liens entre les investisseurs et les acteurs locaux, par exemple en gérant des bases de données contenant des informations utiles sur les fournisseurs et en adoptant des programmes de développement des fournisseurs afin de renforcer la capacité des fournisseurs locaux à répondre aux besoins des investisseurs étrangers. Les organismes compétents sont invités à coopérer sur les questions de facilitation de l’investissement.

Un dernier type de mesure concerne les efforts visant à promouvoir les investissements durables. Les membres conviennent d’adopter des politiques qui facilitent non pas n’importe quel investissement, mais des investissements de meilleure qualité qui contribuent davantage aux objectifs de durabilité. Par exemple, les membres encourageront les entreprises étrangères opérant sur leur territoire à intégrer des principes, des normes ou des lignes directrices sur la conduite responsable des entreprises (CRE) et à s’engager avec les communautés locales sur les questions relatives à la CRE. Les membres qui accueillent des investissements acceptent également d’élaborer des politiques de lutte contre la corruption et le blanchiment d’argent. C'est la première fois qu’un traité potentiel de l’OMC inclut des règles sur la conduite responsable des entreprises.

Bien que ces efforts aient été salués, le manque de dispositions axées sur la durabilité dans l’accord a également suscité des critiques. L’une de ces critiques concerne la logique de l’application de l’obligation de CRE aux pays d’accueil plutôt qu’aux pays d’origine, étant donné que ce dernier groupe comprend principalement des économies développées, qui disposent de plus de ressources pour encourager et contrôler les pratiques de CRE.

Les flexibilités et les avantages offerts aux pays en développement et aux PMA membres

L’accord comprend une section sur le traitement spécial et différencié (TSD) qui s’inspire de l’approche utilisée dans l’Accord sur la facilitation des échanges. Alors que les pays développés sont censés se conformer à toutes les règles de l’accord dès son entrée en vigueur, les pays en développement membres peuvent sélectionner les dispositions qu’ils peuvent mettre en œuvre immédiatement ou un an après l’entrée en vigueur dans le cas des PMA (catégorie A), celles qu’ils ne peuvent mettre en œuvre qu’après un certain temps (catégorie B), et les dispositions dont la mise en œuvre nécessite non seulement plus de temps, mais aussi un soutien au renforcement des capacités (catégorie C). Si ces membres ne respectent pas leurs délais initiaux de mise en œuvre, ils peuvent demander des prolongations, modifier les catégories, accéder aux recommandations d’experts et, enfin, bénéficier de périodes de grâce temporaires en cas de différends. En outre, les membres donateurs acceptent de fournir un soutien au renforcement des capacités de manière bilatérale ou par l’intermédiaire d’organisations intergouvernementales, selon des modalités convenues d’un commun accord.

Un autre avantage auquel les pays en développement et les PMA membres espèrent avoir accès à terme est un mécanisme doté de fonds dédiés pour soutenir la mise en œuvre de l’accord. Si le traité entre en vigueur, un comité examinera la possibilité de mettre en place un tel mécanisme.

Que peut-on attendre de la CM13 ?

Les co-coordonnateurs ont défini trois priorités pour les travaux préparatoires à la CM13. La première se concentrera sur le processus de révision juridique, dans le cadre duquel les membres conviennent des dispositions finales, procèdent à des ajustements textuels dans un souci de cohérence et de clarté, et traduisent le texte finalisé en français et en espagnol. La seconde concerne les activités de communication visant à impliquer les non-signataires et à encourager les pays en développement et les PMA membres à procéder à une analyse de l’évaluation de leurs besoins. Cette analyse est importante pour aider les pays à comprendre la mesure dans laquelle leur cadre national est déjà conforme aux règles de l’Accord FID et à utiliser éventuellement ces informations pour déterminer les catégories et le calendrier en lien avec le TSD.

Le dernier défi, et le plus important, consiste à trouver un moyen d’incorporer légalement l’accord dans les règles de l’OMC, c’est-à-dire la question de l’architecture juridique. Les membres ont souligné leur intention de finaliser les négociations au sein de l’OMC, renonçant ainsi à l’option de conclure l’accord en tant que traité ne relevant pas de l’OMC. Ils ont souligné leur intention de maintenir le traité en tant qu’accord autonome, écartant ainsi la possibilité d’intégrer les obligations dans les traités existants de l’OMC.

Le dernier défi, et le plus important, consiste à trouver un moyen d’incorporer légalement l’accord dans les règles de l’OMC, c’est-à-dire la question de l’architecture juridique.

Plus récemment, les membres ont décidé de plaider en faveur de l’intégration de l’accord dans l’architecture de l’OMC en tant qu’accord plurilatéral relevant de l’annexe 4 de l’Accord de Marrakech instituant l’OMC. Bien qu’ils aient exprimé leur préférence pour l’inclusion de l’accord en tant qu’accord multilatéral, il a été jugé trop difficile de convaincre certains non-signataires d’être liés par des obligations qu’ils n’ont pas contribué à façonner. Avec la voie plurilatérale, seuls les signataires de l’accord devront en respecter les règles. Les non-parties pourront bénéficier des réformes entreprises, mais n’auront pas de droits formels dans le cadre de l’accord, notamment le droit de déposer une plainte si un membre n’accorde pas les avantages à leurs investisseurs.

Bien que les non-signataires ne participent pas à l’initiative, leur accord consensuel est nécessaire pour inclure l’Accord FID en tant qu’accord plurilatéral dans l’OMC. L’obtention de cette accord sera difficile et donnera probablement lieu à des discussions animées au cours de la période précédant la CM13 et au cours de cette dernière.

Les positions divergentes des membres

Certains pays non signataires, dont l’Afrique du Sud et l’Inde, expriment depuis longtemps leur opposition à l’Accord FID. Ils remettent en question la base juridique des initiatives liées à des déclarations conjointes à l’OMC, arguant qu’elles ont été lancées sans mandat multilatéral, sapant ainsi le principe de consensus sur lequel l’OMC est fondée. Ils affirment également que les initiatives plurilatérales détournent l’attention du mandat multilatéral qui consiste à conclure les négociations sur le programme de Doha pour le développement. Certains membres rétorquent que l’Accord FID n’est pas une distraction mais un prototype visant à injecter plus de géométrie variable dans le système de l’OMC et à moderniser la fonction de négociation pour répondre aux besoins variés des membres et à l’évolution du paysage commercial mondial.

Les partisans de l’accord vantent également les avantages en matière de développement qu’ils attendent de sa mise en œuvre. Ils affirment que les réformes aideront les pays à accéder à davantage d’investissements et que les pays en développement et les PMA membres bénéficieront d’un soutien accru en matière de renforcement des capacités pour entreprendre des réformes. Les opposants font valoir que le soutien au renforcement des capacités est déjà largement disponible pour les pays qui entreprennent des réformes volontaires en matière de gouvernance. Ils craignent que l’Accord FID ne modifie la dynamique du pouvoir en matière de financement, les pays ne pouvant désormais accéder aux fonds que s’ils s’engagent à respecter des obligations contraignantes. Une autre préoccupation concerne la charge de la mise en œuvre, certains membres notant que la mise en œuvre des mesures de l’Accord FID nécessite des réformes de l’ensemble du gouvernement, ce qui peut s’avérer difficile pour les pays les plus pauvres ou les plus grands pays dotés d’une bureaucratie compliquée. Cela soulève également des inquiétudes quant à la possibilité de lier des différends potentiels à des réformes institutionnelles lourdes et complexes.

Ces débats se poursuivront probablement jusqu’à la CM13 et pendant celle-ci. Il reste à voir si les participants à l’Accord FID parviendront à convaincre l’ensemble des membres d’accepter d’intégrer l’accord dans le corpus de règles de l’OMC ou si l’opposition persistera, non seulement contre l’Accord FID, mais aussi contre l’injection d’une géométrie plus variable dans le système de l’OMC.

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