Le commerce électronique occupe le devant de la scène à l'Organisation mondiale du commerce à l'approche de la CM13
Cet article suit les discussions sur le commerce électronique en amont de la prochaine 13ème Conférence ministérielle de l'OMC, soulignant sa pertinence nouvelle dans le cadre du programme de travail sur le commerce électronique et de l'Initiative conjointe sur le commerce électronique. Yasmin Ismail et Rashmi Jose explorent le débat fondamental sous-jacent sur l'incidence du moratoire relatif au commerce électronique sur la politique commerciale internationale.
Cet article décrit l’état d’avancement et la dynamique des discussions dans le cadre du programme de travail sur le commerce électronique et de l’initiative conjointe sur le commerce électronique après la douzième Conférence ministérielle (CM12) en 2022, en vue d’une éventuelle avancée des deux discussions lors de la CM13 de février 2024.
Des discussions thématiques dédiées ravivent la pertinence du programme de travail
Les aspects commerciaux du commerce électronique sont examinés par l’Organisation mondiale du commerce (OMC) depuis 1998, conformément à la déclaration de la CM2 sur le commerce électronique mondial. Cette déclaration prévoyait un programme de travail sur le commerce électronique et un moratoire provisoire relatif aux droits de douane applicables aux transmissions électroniques. Ce moratoire a été prolongé d'environ deux ans à chaque réunion ministérielle depuis lors.
Les discussions dans le cadre du programme de travail ont été décrites comme étant lentes et hésitantes, mais importantes pour maintenir le commerce électronique à l’ordre du jour multilatéral convenu par les membres. Toutefois, lors de la CM12, alors que les discussions plurilatérales sur le commerce électronique (décrites ci-dessous) prenaient de l’ampleur, les membres ont publié une décision ministérielle soulignant leur intention de redynamiser les efforts dans le cadre du programme de travail et de veiller à ce que les discussions mettent l’accent sur la dimension du développement.
Les discussions dans le cadre du programme de travail ont été décrites comme étant lentes et hésitantes, mais importantes pour maintenir le commerce électronique à l’ordre du jour multilatéral convenu par les membres.
Le travail s’est en effet accéléré. Huit sessions de discussion dédiées ont eu lieu entre janvier et novembre 2023, couvrant une série de questions thématiques pertinentes pour le développement. Il s’agit notamment de la protection des consommateurs, de la fracture numérique, de l’amélioration de la participation des économies en développement et des pays les moins avancés (PMA) au commerce électronique, des cadres réglementaires et juridiques, des droits de douane sur les transmissions électroniques, de la facilitation du commerce numérique et des transactions électroniques, de l’industrialisation numérique, de l’amélioration des compétences et du transfert de technologie. Les membres s’engagent également en soumettant davantage de propositions ou de communications qui appuient les futurs points de l’ordre du jour, facilitent le partage des connaissances et soutiennent les discussions thématiques.
Dans la perspective de la CM13, la facilitatrice des discussions sur le programme de travail a demandé aux membres si l’une des questions discutées lors des réunions thématiques pourrait faire l’objet d’une recommandation lors de la conférence ministérielle. La facilitatrice a également demandé aux membres leur avis sur la manière de rendre le programme de travail encore plus efficace pour répondre aux défis d’aujourd’hui et pour le développement.
Plus de participants et des négociations intensifiées
Les discussions sur le commerce électronique se déroulent également de manière plurilatérale à l’OMC. Lors de la CM11 à Buenos Aires en 2017, 71 membres de l’OMC ont lancé une nouvelle initiative liée à une déclaration conjointe (IDC), en commençant par des discussions exploratoires en vue de négociations futures à l’OMC sur les aspects du commerce électronique liés au commerce. Ces discussions se sont transformées en négociations formelles en janvier 2019. Si tous les membres de l’OMC peuvent prendre part aux réunions de négociation, la participation formelle aux négociations est limitée à un sous-ensemble de membres (90 à l’heure actuelle).
Bien que ce groupe ne représente que 55 % de l’ensemble des membres de l’OMC, il comprend un grand nombre des plus grands pays commerçants : les échanges entre ces membres représentent plus de 90 % du commerce mondial. Les économies développées et les grandes économies émergentes y participent, notamment les États-Unis, l’Union européenne (UE), la Chine et l’Indonésie. Par rapport à l’autre IDC (l’Accord sur la facilitation des investissements pour le développement, ou Accord FID), la participation des économies en développement et des PMA est plus limitée. Seuls huit des 90 membres sont originaires d’Afrique et cinq sont des PMA. Certaines grandes économies émergentes, comme l’Inde et l’Afrique du Sud, n’y participent pas parce qu’elles s’opposent par principe à ces négociations plurilatérales.
Ces différentes positions s’expliquent par les intérêts commerciaux et les approches réglementaires distincts des pays.
Les négociations ont dû concilier les différentes positions des membres sur les types de règles à privilégier dans un cadre international. Selon un expert, ces différentes positions s’expliquent par les intérêts commerciaux et les approches réglementaires distincts des pays. Par exemple, au début du processus, les États-Unis ont insisté sur les règles visant à garantir la libre circulation des données à travers les frontières, règles qui pourraient favoriser l’expansion des entreprises de services numériques. La Chine et l’UE ont préconisé une approche plus prudente, cherchant à maintenir une marge de manœuvre politique pour les priorités liées à la sécurité nationale ou à la protection de la vie privée. La Chine a surtout insisté sur les avantages liés à la facilitation des échanges et à l’accès au marché, ce qui favoriseraient le flux du commerce traditionnel rendu possible par les plateformes numériques. Les pays en développement membres se sont concentrés sur les flexibilités relatives à la mise en œuvre et les avantages liés au renforcement des capacités. Les membres ont également des positions distinctes sur les droits de douane, les économies développées plaidant pour un engagement à imposer un moratoire permanent et certaines économies en développement préférant lier leur engagement en faveur d’un moratoire aux décisions prises dans le cadre du programme de travail de l’OMC sur le commerce électronique.
Au cours du processus de négociation, les propositions qui ne bénéficiaient pas d’un soutien suffisant pour être intégrées au texte officiel, telles que les engagements supplémentaires en matière d’accès au marché des biens et des services, ont été déplacées dans une section annexe du texte de négociation. Ces questions ont ensuite été abandonnées à la fin de l'année 2023.
Les questions liées aux flux des données sont mises sur la touche
Il est important de noter qu’en raison de développements récents, les articles sur les flux de données, la localisation des données ou la domiciliation des installations informatiques, et le code source ne sont plus envisagés. Ces articles ont été mis de côté après que la représentante des États-Unis au commerce ait annoncé, le 23 octobre 2023, qu’elle ne soutenait plus les propositions sur ces questions, invoquant la nécessité de conserver une marge de manœuvre politique à mesure que les débats sur les considérations de politique intérieure se déroulent. Cette décision a entraîné la « mise sur la touche » des questions considérées comme les plus difficiles à négocier en raison des positions divergentes de membres tels que les États-Unis, l’UE et la Chine.
L’abandon des questions liées aux données a fait craindre que les négociations ne débouchent pas sur un résultat ambitieux. Mais les co-organisateurs – l’Australie, le Japon et Singapour – ont défendu la forme émergente de l’ensemble de résultats allégé, arguant que « même s’il ne répond pas à toutes nos espérances, cet ensemble de résultats substantiels bénéficiera aux consommateurs, aux entreprises et aux Membres ».
L’abandon des questions liées aux données a fait craindre que les négociations ne débouchent pas sur un résultat ambitieux.
Les co-organisateurs avaient pour objectif de parvenir à une conclusion substantielle sur plusieurs règles numériques de l’IDC d’ici à la fin de 2023. Ces articles comprennent un ensemble d’articles largement stabilisés grâce à des discussions en petits groupes (appelés « articles mis de côté ») et une autre série d’articles qui sont entièrement « propres ». Les co-organisateurs espèrent également voir une plus grande convergence vers des terrains d’entente sur les questions restantes. Le tableau ci-dessous résume les articles mis de côté et les questions restantes en cours de discussion en vue de terrains d’entente.
Les participants à cette IDC pourraient dévoiler une version finalisée du texte de base de l’accord sur le commerce électronique dans les mois à venir. Les discussions sur l’intégration de l’accord dans le cadre de l’OMC n’auront probablement lieu qu’après la CM13. L’intégration du texte d’un traité plurilatéral dans l’architecture juridique de l’OMC nécessite un consensus entre tous les membres de l’OMC et, comme indiqué ci-dessus, certains s’opposent en principe à ces négociations.
Les participants à l’IDC sur le commerce électronique suivront probablement de près le débat sur l’architecture juridique entourant l’incorporation dans le corpus de règles de l’OMC du texte du traité produit par l’autre initiative plurilatérale, l’Accord FID, afin d’évaluer leurs options. L’absence de consensus de l’ensemble des membres de l’OMC pour inclure l’Accord FID en tant qu’accord plurilatéral aura probablement un effet d’entraînement sur la faisabilité de l’intégration de l’accord sur le commerce électronique dans le cadre de l’OMC. Si ce scénario se réalise, l’on ne sait pas très bien ce qu’il adviendra des accords découlant des IDC s’ils ne deviennent pas des accords de l’OMC : peuvent-ils évoluer en tant qu’accords ne relevant pas de l’OMC ou bien d’autres options peuvent-elles voir le jour ?
Accélération des débats sur le moratoire relatifs aux droits de douane
Le moratoire relatif aux droits de douane sur les transmissions électroniques est un sujet important discuté au niveau multilatéral dans le cadre du programme de travail et du processus d’initiative conjointe plurilatérale.
Comme nous l’avons mentionné, la déclaration de la CM2 qui mandatait la mise en place du programme de travail appelait également au maintien sur une base provisoire d’un moratoire relatif aux droits de douane sur les transmissions électroniques. Ce moratoire a été prolongé lors des conférences ministérielles suivantes. Toutefois, lors des dernières conférences ministérielles, un débat animé a eu lieu sur la question de savoir si ce moratoire devait être maintenu. Un groupe d’économies en développement a menacé de bloquer la prolongation lors de la 12ème Conférence ministérielle, et ce n’est que dans les derniers jours qu’un accord sur le maintien du moratoire n’a été obtenu. La décision de la CM12 indique que les membres conviennent de prolonger le moratoire jusqu’à la prochaine ministérielle ou jusqu’en mars 2024 si une conférence ministérielle n’a pas lieu d’ici là. Les membres ont également convenu d’intensifier leur engagement dans l’examen de la portée, de la définition et de l’incidence du moratoire.
Les débats sur la définition et la portée visent à déterminer quels produits peuvent être taxés en premier lieu. L’un des débats porte sur la question de savoir si les transmissions électroniques doivent être traitées comme un bien (auquel cas des droits de douane peuvent être appliqués) ou comme un service, ou si l’on doit renoncer à toute catégorisation. Un autre débat vise à déterminer si les droits doivent être appliqués au contenu véhiculé par les transmissions électroniques ou seulement au signal de la transmission (les bits et les octets).
Toutefois, le débat fondamental sous-jacent porte sur I’incidence du moratoire. L’un des volets du débat porte sur la perte potentielle de recettes publiques. Certaines grandes économies en développement affirment qu’en n’imposant pas de droits de douane sur des marchandises de plus en plus numérisées, elles s’exposent à d’importantes pertes de recettes publiques. Les opposants affirment que la perte de recettes est relativement faible et qu’elle peut être couverte par l’application de taxes internes.
Le débat fondamental sous-jacent porte sur I’incidence du moratoire.
Un autre volet concerne la capacité des membres à mettre en œuvre des stratégies de politique industrielle. Certaines économies en développement estiment que la levée du moratoire est importante pour que les pays puissent accéder à l’espace politique, mettre en œuvre des stratégies visant à protéger et à faciliter le transfert de technologies, et aider leurs industries numériques naissantes qui accusent un retard important par rapport à leurs homologues des économies développées. Les points de vue opposés, présentés par un groupe d’économies développées ainsi que par plusieurs économies en développement membres, affirment que le moratoire réduit les coûts commerciaux, ce qui profite aux consommateurs et augmente les opportunités pour les entreprises, notamment en permettant à un plus grand nombre de petites entreprises de commercer. En substance, ils affirment que les avantages économiques du maintien d’un moratoire surpassent de loin les avantages potentiels de l’imposition de droits de douane sur les transmissions électroniques dans le cadre d’une stratégie de politique industrielle orientée vers le protectionnisme.
Les membres débattront de ces questions lors de réunions spécifiques avant la CM13. Les positions des membres évolueront-elles ou devons-nous nous attendre à une nouvelle confrontation tendue lors de la conférence ministérielle, qui aboutira à l’expiration du moratoire ou à une nouvelle prorogation provisoire ? L’issue des discussions multilatérales sur le moratoire déterminera les options pour les discussions plurilatérales sur le même sujet qui se poursuivront après la CM13.
Le commerce électronique sera présent à bien des égards à la CM13. Plus important encore, les négociations détermineront si le moratoire prend fin ou s’il est prolongé. Les négociations de l’IDC sur le commerce électronique présenteront un texte de base quasi définitif d’une proposition de traité. La conférence ministérielle pourrait révéler s’il existe une voie possible pour incorporer les IDC — y compris le traité sur le commerce électronique — dans le corpus de règles de l’OMC. Enfin, les discussions multilatérales revigorées dans le cadre du programme de travail y auront l’occasion de formuler des recommandations précieuses et de devenir encore plus efficaces.
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