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Policy Analysis

L’Initiative de déclaration conjointe sur le commerce électronique à la croisée des chemins en vue d’un aboutissement « concret » d’ici à la CM13

L’IDC sur le commerce électronique a réalisé des progrès significatifs, engageant un nombre croissant de Membres de l’OMC à travers de multiples cycles de négociation. Yasmin Ismail, chargée de programme à CUTS International Geneva, examine les progrès, les perspectives et les défis à relever pour parvenir à un texte consolidé d’ici la CM13.

Par Yasmin Ismail on 17 juillet 2023

L’Initiative de déclaration conjointe (IDC) sur le commerce électronique, lancée lors de la 11ème Conférence ministérielle de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en décembre 2017 par un groupe de 71 Membres de l’OMC, vise à « obtenir un résultat de haut niveau qui s’appuie sur les accords et cadres existants de l’OMC avec la participation du plus grand nombre possible de Membres de l’OMC ». Dans le même temps, le paysage mondial de la gouvernance du commerce électronique s’est développé rapidement grâce à des interventions politiques nationales, à la négociation et à l’adoption d’Accords commerciaux régionaux (ACR) contenant des chapitres spécifiques sur le commerce électronique, et à la montée en puissance d’accords « uniquement numériques » connus sous le nom d’Accords sur l’économie numérique (AEN). Ce paysage dynamique a influencé l’IDC, soit en facilitant les progrès vers un résultat, soit en ralentissant le processus en raison des divergences croissantes entre les approches des participants dans certains domaines politiques, notamment les flux de données transfrontaliers et la localisation des données.

L’IDC compte aujourd’hui 89 Membres de l’OMC, dont seulement 7 pays africains et 4 pays parmi les moins avancés (PMA). L’absence de la plupart des nations africaines et des PMA a suscité des préoccupations quant à la fracture numérique au centre des discussions de l’OMC sur le commerce électronique, en particulier dans le cadre de son Programme de travail sur le commerce électronique, le volet multilatéral non négocié établi en 1998, et la capacité du monde en développement de participer sur un pied d’égalité aux négociations sur le commerce électronique ou le commerce numérique. Les organisations internationales, les organisations non gouvernementales et le monde universitaire ont de plus en plus mis en avant et étudié ces préoccupations.

L’Institut international du développement durable et CUTS International Geneva ont publié en mars un rapport offrant une vue d’ensemble du contexte plus large de la gouvernance du commerce électronique affectant les progrès de l’IDC. Le rapport attire l’attention sur les derniers développements du texte de négociation distribué en décembre 2022 et explore des scénarios en vue d’un résultat lors de la prochaine Conférence ministérielle de l’OMC, la CM13.

Cet article résume les points saillants du rapport et présente les mises à jour récentes, ainsi qu’un examen à mi-parcours de l’état d’avancement des négociations de l’IDC en 2023.

Des interventions réglementaires nationales accrues et une hétérogénéité

L’augmentation des interventions politiques nationales, qui se traduit par une plus grande hétérogénéité réglementaire, est une tendance significative dans le paysage politique mondial du commerce électronique. Le Digital Policy Alert Activity Tracker révèle que depuis janvier 2020, les gouvernements de l’Union européenne, du G20 et de la Suisse ont procédé à 3 799 changements politiques ou réglementaires. Ces interventions couvrent un large éventail de domaines, notamment la gouvernance des données, la protection des consommateurs, la modération des contenus en ligne, la concurrence, la fiscalité et le commerce international. Le tracker révèle que la gouvernance des données est le domaine politique le plus activement ciblé par les interventions et les actions des États. L’adoption unilatérale de politiques nationales avec des approches divergentes d’une juridiction à l’autre, en particulier sur les flux de données transfrontaliers et les politiques de localisation des données, a créé des difficultés pour parvenir à un texte propre de convergence sur les flux de données transfrontaliers dans le cadre de l’IDC sur le commerce électronique.

L’obtention d’un texte propre sur les flux de données transfrontaliers et d’autres questions réglementaires liées aux données...constitue la principale étape vers une conclusion « technique » des négociations.

Les discussions menées dans le cadre de l’IDC ont abouti à des textes de convergence sur de nombreuses questions techniques relevant de la catégorie de la facilitation du commerce électronique, telles que les signatures électroniques, les contrats électroniques, les pourriels et le commerce dématérialisé. Les discussions convergent également sur la question clé de la confiance qu’est la protection des consommateurs. Les flux de données transfrontaliers sont désormais au cœur des négociations de 2023. L’obtention d’un texte propre sur les flux de données transfrontaliers et d’autres questions réglementaires liées aux données, telles que la protection des données personnelles et la vie privée, constitue la principale étape vers une conclusion « technique » des négociations.

L’influence des ACR et des AEN

Les ACR ont joué un rôle crucial dans l’élaboration de la gouvernance du commerce électronique, puisque des chapitres complets sur le commerce électronique ou numérique sont inclus dans des accords tels que l’Accord de partenariat transpacifique global et progressiste, l’Accord Canada-États-Unis-Mexique et le Partenariat économique régional global. L’influence de ces ACR s’étend aux négociations de l’IDC, où la région Asie-Pacifique s’est imposée comme un acteur central de la gouvernance du commerce électronique.

En outre, l’émergence d’AEN, tels que l’Accord de partenariat sur l’économie numérique conclu entre le Chili, la Nouvelle-Zélande et Singapour, a élargi le champ de la gouvernance du commerce électronique pour englober des questions plus larges liées à l’économie numérique, notamment les technologies émergentes telles que l’intelligence artificielle et les identités numériques. Ces accords ont influé sur la dynamique et l’orientation de l’IDC, qui a davantage mis l’accent sur la facilitation des échanges électroniques que sur l’accès au marché.

Les progrès vers un « aboutissement concret » des discussions de l’IDC d’ici à la CM13

En décembre 2022, l’Australie, le Japon et Singapour, les coorganisateurs de l’IDC, ont distribué aux participants le troisième texte de négociation consolidé mis à jour. Ce texte sert de base aux discussions et au futur accord, et incorpore les propositions soumises par les participants à l’IDC. La révision montre les progrès réalisés en 2022 par plusieurs petits groupes thématiques engagés dans des négociations techniques dans le but de parvenir à des dispositions « nettoyées » ou « convergentes ». Selon le texte consolidé, dix articles ont atteint le stade du texte propre, notamment le cadre des transactions électroniques, les signatures/authentifications électroniques et la protection des consommateurs en ligne. Ils représentent un accord « facile à atteindre » visant à faciliter une conclusion « technique » des négociations d’ici à la CM13, prévue pour février 2024.

Il a été difficile de parvenir à une conversion dans certains domaines, tels que la protection de la vie privée et des informations personnelles et le code source.

Toutefois, il a été difficile de parvenir à une conversion dans certains domaines, tels que la protection de la vie privée et des informations personnelles et le code source. Le texte le plus récent comporte également des changements notables, tels que la suppression de la section relative à l’accès au marché (qui figurait dans les versions précédentes) et l’ajout d’une nouvelle section intitulée « Annexe ». En outre, certains articles ont été déplacés dans d’autres sections du texte mis à jour, reflétant ainsi l’évolution de la dynamique. Par exemple, les articles relatifs à la libre circulation des données ont été déplacés de la section intitulée « ouverture et commerce électronique » à la section intitulée « questions transversales », et plusieurs articles, dont l’accès au marché des services, ont été déplacés dans la nouvelle section « Annexe ».

En général, l’annexe est destinée à regrouper les propositions qui ne sont pas encore incluses dans une négociation en groupe restreint ou qui ne font pas l’objet d’une attention particulière lors des négociations. L’annexe couvre également les questions qui compliquent les perspectives d’incorporation du futur accord dans l’architecture juridique de l’OMC, ce qui constitue un autre défi auquel le processus de négociation devra bientôt faire face.

Une convergence mineure sur la question des flux de données transfrontaliers et une nouvelle proposition de la Chine

Comme nous l’avons déjà mentionné, les débats de 2023 doivent parvenir à une convergence sur les flux de données transfrontaliers et la localisation des données, pour lesquels il existe des approches et des propositions variées. Le texte consolidé le plus récent indique une convergence mineure des positions. Une proposition de texte commune à sept Membres participants limite les exceptions aux flux de données transfrontaliers à des « objectifs légitimes de politique publique ». Les partisans de la proposition commune sont les suivants : l’Australie, le Canada, la Corée du Sud, les États-Unis, le Japon, le Royaume-Uni, Singapour et le Territoire douanier distinct de Taïwan, Penghu, Kinmen et Matsu. Toutefois, d’autres propositions restent en jeu, comme celle de l’Union européenne concernant une exception pour la protection de la vie privée et des données personnelles, et celle du Nigeria visant à permettre aux pays en développement et aux PMA de bénéficier de flexibilités et d’exemptions. Par ailleurs, la Chine vient de soumettre sa proposition tant attendue sur les flux de données, ce qui représente une nouvelle étape vers des négociations plus constructives en vue d’une approche convergente sur les flux de données.

Plus d’importance accordée à la réduction de la fracture numérique

Établi par le Conseil général de l’OMC en 1998, le Programme de travail de l’OMC sur le commerce électronique (PT) représente le forum multilatéral sur le commerce électronique chargé d’explorer ses liens avec les accords de l’OMC et ses impacts sur ceux-ci, bien qu’il n’ait pas été mandaté pour négocier des règles sur le commerce électronique. À ce jour, le PT est le seul forum multilatéral de discussion sur le commerce électronique où tous les Membres, y compris les pays en développement et les PMA, sont pleinement représentés.

Lors de la 12ème Conférence ministérielle en 2022, les Membres ont convenu de relancer les travaux dans le cadre du PT, en mettant l’accent sur la dimension développementale du commerce électronique. Les discussions qui ont suivi ont mis en lumière des questions importantes telles que la fracture numérique, les capacités de concurrence des petites entreprises, le transfert de technologie, la protection des consommateurs, les cadres juridiques et réglementaires, la facilitation du commerce numérique, ainsi que l’autonomisation et l’inclusion économiques. Des organisations internationales (notamment la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement et le Cadre intégré renforcé) et des organisations non gouvernementales (telles que CUTS International, l’Institut international du développement durable et la DiploFoundation) ont contribué à l’analyse et organisé des discussions sur les moyens de collaboration pour répondre à la question de la fracture numérique dans le cadre des négociations de l’OMC et de l’IDC.

La participation des pays africains et des PMA aux discussions de l’IDC reste très limitée.

Alors que le PT met de plus en plus l’accent sur la fracture numérique, la participation des pays africains et des PMA aux discussions de l’IDC reste très limitée, ce qui souligne la nécessité d’un futur accord dans le cadre de l’IDC qui mette les économies en développement sur un pied d’égalité. Ces discussions reflètent la reconnaissance croissante de la nécessité de veiller à ce que les avantages du commerce électronique soient accessibles à tous, en particulier aux pays en développement et aux PMA. Deux propositions récentes ont été prises en compte dans le texte de négociation de l’IDC de décembre 2022, ouvrant la voie à une intensification des discussions en 2023 sur une dimension complète de développement et d’inclusion du futur accord.

La première, INF/ECOM/70, est une proposition globale de neuf pages soumise par la Côte d’Ivoire qui intègre une nouvelle sous-section dans la section D sur les questions transversales : « D.5. Dispositions relatives au traitement spécial et différencié pour les pays en développement Membres et les pays les moins avancés Membres ». Les articles proposés reprennent presque intégralement le texte de l’Accord sur la facilitation des échanges de l’OMC.

La seconde proposition, INF/ECOM/71, soumise par la Nouvelle-Zélande, propose un libellé pour divers articles tout en se concentrant sur la coopération en soutien de l’inclusion numérique des peuples autochtones, ainsi que des femmes, des communautés rurales et des petites et moyennes entreprises. Reconnaissant également les difficultés rencontrées par les économies en développement et les PMA pour participer aux négociations, les ministres des coorganisateurs de l’IDC ont annoncé le lancement d’initiatives de développement visant à soutenir leur participation significative. Cependant, l’on dispose de peu d’informations sur la contribution de cette initiative.

La perspective et les défis d’une conclusion potentielle d’ici à la CM13

L’IDC sur le commerce électronique a réalisé d’importants progrès, avec plusieurs cycles de négociations et la participation active d’un nombre croissant de Membres de l’OMC. L’initiative a créé une plateforme de discussion sur l’établissement de règles de haut niveau pour l’économie numérique mondiale, abordant un large éventail de questions liées au commerce électronique et aux échanges numériques. La convergence sur les propositions relatives aux flux de données transfrontaliers a été limitée, mais certains signes indiquent que l’IDC pourrait être sur la bonne voie pour un aboutissement « concret » des aspects techniques du texte de convergence consolidé « facile à atteindre » d’ici à la CM13.

Certains signes indiquent que l’IDC pourrait être sur la bonne voie pour un aboutissement « concret » des aspects techniques du texte de convergence consolidé « facile à atteindre » d’ici à la CM13.

Il est essentiel de fournir aux négociateurs des pays en développement une plus grande assistance technique pour les aider à élaborer des dispositions qui répondent à leurs aspirations en matière de développement. Une dernière étape sur laquelle les coorganisateurs et les participants à l’IDC doivent intensifier leurs efforts consiste à déterminer comment le futur accord peut être conçu dans le cadre de l’architecture juridique de l’OMC, conformément à l’objectif initial de l’initiative annoncé en 2017, à savoir parvenir à un résultat qui « s’appuie sur les accords et cadres existants de l’OMC avec la participation du plus grand nombre possible de Membres de l’OMC ».


Yasmin Ismail est chargée de programme chez CUTS International à Genève.

Policy Analysis details

Sujet
Trade
Focus area
Economies