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Policy Analysis

Améliorer la coopération en matière d’agriculture et de commerce durables au sein de l’OMC

Il est de plus en plus nécessaire d’apporter des solutions liées à l’agriculture et aux échanges pour relever les défis futurs en matière de durabilité. Christophe Bellmann, responsable de l’analyse et de la stratégie politiques au Forum sur le commerce, l’environnement et les ODD, présente des stratégies permettant à l’Organisation mondiale du commerce d’améliorer la coopération dans ce domaine.

Par Christophe Bellmann on 14 avril 2023

La nécessité de discuter de l’agriculture et du commerce pour relever les défis de la durabilité est de plus en plus reconnue. Les gouvernements disposent d’une série d’options pour exploiter les politiques commerciales afin de promouvoir la production et le commerce durables et de décourager les pratiques non durables. Si bon nombre de ces options peuvent être mises en œuvre de manière unilatérale, des solutions efficaces pour relever les défis environnementaux transfrontaliers exigeront des approches multilatérales. Cet article explore les nouvelles opportunités de faire progresser la coopération dans ce domaine au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).

L’agriculture terrestre assure la majeure partie de l’approvisionnement alimentaire mondial et représente une source essentielle de matières premières, de combustibles et de moyens de subsistance pour des centaines de millions de petits exploitants agricoles. Cependant, ce secteur ne parvient pas à assurer la sécurité alimentaire et nutritionnelle pour tous. Après des progrès significatifs dans la réduction de l’insécurité alimentaire, le nombre de personnes souffrant de la faim dans le monde a atteint 828 millions en 2021, soit une augmentation de 150 millions depuis le début de la pandémie de COVID-19. Parallèlement, l’agriculture contribue directement ou indirectement à la dégradation environnementale, à la déforestation, à la pollution des sols et à la perte de biodiversité. Elle représente également près d’un quart des émissions mondiales si l’on tient compte de l’agriculture, de la sylviculture et des autres utilisations des terres, selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat.

Dans les années à venir, l’un des principaux défis consistera à fournir une alimentation saine et nutritive à 9 milliards de personnes d’ici à 2050, tout en répondant à l’évolution rapide du régime alimentaire d’une classe moyenne en pleine expansion dans les zones urbaines. Pour atteindre cet objectif, il faudra améliorer la productivité, l’accès, la disponibilité et la stabilité de l’approvisionnement alimentaire tout en protégeant les écosystèmes fragiles, en restaurant la biodiversité, en augmentant la productivité des sols, en rationalisant l’utilisation de l’eau et en réduisant les émissions de gaz à effet de serre.  

Commerce et agriculture durable : une relation multidimensionnelle

Le commerce international et les politiques commerciales ont un rôle complexe à jouer dans cette équation. En l’absence de réglementations efficaces, le commerce peut exacerber les problèmes environnementaux liés à la production d’aliments. Par ailleurs, compte tenu qu’environ 80 % de la population mondiale vit dans des pays importateurs nets de denrées alimentaires ou dépend des importations pour satisfaire au moins une partie de ses besoins nutritionnels, le commerce a un rôle essentiel à jouer pour satisfaire les besoins caloriques et assurer un régime équilibré en macro et micronutriments. Il est également essentiel pour compenser les déficits de production induits par le climat, la pénurie d’eau ou la désertification. Malgré cela, les marchés agricoles restent particulièrement étroits puisque la part de la production faisant l’objet d’échanges internationaux n’atteint que 23 % en moyenne, et encore moins pour les principaux aliments de base, tels que le riz ou le maïs. En conséquence, un nombre croissant de pays dépendent d’une poignée d’exportateurs pour satisfaire leurs besoins nutritionnels, ce qui les rend très vulnérables face aux perturbations des chaînes d’approvisionnement et à la volatilité des prix, comme l’ont illustré les envolées de prix entre 2006 et 2008 et, plus récemment, la crise des prix alimentaires et énergétiques associée à la guerre en Ukraine. Ces interdépendances soulignent l’importance d’un système commercial multilatéral ouvert et équitable, qui encourage les modes de production et de consommation durables et soutient la résilience des systèmes alimentaires. 

Le commerce a un rôle essentiel à jouer pour satisfaire les besoins caloriques et assurer un régime équilibré en macro et micronutriments.

La nécessité de veiller à ce que les politiques commerciales favorisent l’agriculture durable de manière proactive a été réaffirmée au plus haut niveau politique par le biais de la Déclaration des dirigeants sur les forêts et l’utilisation des terres, signée par 141 pays lors de la conférence des Nations Unies sur le changement climatique à Glasgow, ou dans le cadre du Dialogue sur les forêts, l’agriculture et le commerce des produits de base, soutenu par les principaux exportateurs et importateurs mondiaux de produits agricoles de base. Les pays prennent également une série de mesures unilatérales, comme l’illustre la nouvelle obligation de diligence raisonnable de l’Union européenne concernant les chaînes d’approvisionnement exemptes de déforestation. Enfin, de nombreuses initiatives du secteur privé et des organisations internationales s’efforcent d’améliorer la durabilité des chaînes d’approvisionnement mondiales, par exemple au moyen de normes volontaires et d’exigences en matière de traçabilité et de transparence.

Comment la politique commerciale peut-elle contribuer à l’agriculture durable ?

Au niveau national, les gouvernements disposent d’une série d’outils de politique commerciale pour promouvoir des pratiques agricoles ou des méthodes de production plus durables sur le plan environnemental. Ces outils peuvent soit encourager la production et les échanges agricoles durables, soit décourager les pratiques non durables. Les mesures elles-mêmes peuvent prendre la forme de : 

  1. Mesures à la frontière, telles que des droits de douane visant principalement les importations, 
  2. Incitations économiques, telles que les subventions destinées principalement aux producteurs nationaux, 
  3. Mesures réglementaires de nature volontaire ou obligatoire visant à la fois les producteurs nationaux et les importations, 
  4. Mesures internationales de soutien visant à promouvoir la production et les échanges durables dans les pays tiers, par exemple par le biais d’une assistance technique ou d’un transfert de technologie. 

Voir le tableau 1. Outils de politique commerciale visant à promouvoir l’agriculture durable, dans la note politique du Forum TESS intitulée Commerce et durabilité dans le secteur agricole : options pour la coopération commerciale multilatérale (en anglais seulement).

Dans une économie mondialisée dominée par des chaînes d’approvisionnement fortement intégrées, relever les défis transfrontaliers exige des approches politiques cohérentes entre les juridictions.

Les mesures mises en évidence ici peuvent sans doute, pour la plupart, être appliquées de manière unilatérale. Toutefois, leur efficacité augmentera considérablement si elles sont appliquées de manière collective et cohérente par une série de pays. C’est notamment le cas des mesures conçues pour supprimer les incitations perverses (telles que les subventions néfastes à l’environnement) ou pour favoriser les échanges de produits écologiques. Dans le même ordre d’idées, la coopération internationale est nécessaire pour veiller à ce que les réglementations et normes environnementales soient appliquées de manière à garantir l’interopérabilité entre les juridictions (par ex., par le biais d’équivalences ou de reconnaissances mutuelles) et à minimiser les frictions commerciales. Plus généralement, dans une économie mondialisée dominée par des chaînes d’approvisionnement fortement intégrées, relever les défis transfrontaliers exige des approches politiques cohérentes entre les juridictions. 

Quel rôle pour l’OMC ?

Les discussions au sein de l’OMC constituent une voie essentielle pour la coopération multilatérale, et plusieurs membres ont souligné la nécessité d’aborder les préoccupations liées à la durabilité. Cependant, depuis l’accord de Nairobi de 2015 visant à éliminer progressivement les subventions à l’exportation, les négociations restent dans l’impasse et deux conférences ministérielles consécutives de l’OMC n’ont pas réussi à fournir des orientations quant aux prochaines étapes. Lors de la 12ème Conférence ministérielle de l’OMC tenue en juin 2022, les membres ont néanmoins émis une déclaration historique sur la réponse urgente à l’insécurité alimentaire en réaction aux perturbations commerciales et à la volatilité excessive résultant de la pandémie et du conflit en Ukraine. La déclaration appelle à l’adoption d’un programme de travail au Comité de l’agriculture pour examiner les besoins des pays les moins avancés et des pays en développement importateurs nets de produits alimentaires (PDINPA) et la manière d’accroître leur capacité de résilience pour répondre à une grave instabilité alimentaire.

Les Discussions structurées sur le commerce et la durabilité environnementale lancées en novembre 2020 à l’OMC offrent un nouveau moyen de stimuler les discussions sur l’agriculture et le commerce durables.

Enfin, les Discussions structurées sur le commerce et la durabilité environnementale lancées en novembre 2020 à l’OMC offrent un nouveau moyen de stimuler les discussions sur l’agriculture et le commerce durables. Son axe de travail sur les subventions, en particulier, a identifié l’agriculture et les mesures de soutien préjudiciables à l’environnement comme un domaine d’intérêt clé en 2023. Plus généralement, l’initiative offre un espace pour discuter d’une série de questions liées à l’agriculture, comme le reflète l’appel de la déclaration ministérielle à promouvoir des chaînes d’approvisionnement durables et à prendre en compte les difficultés et les possibilités découlant de l’application de normes en matière de durabilité et de toutes mesures connexes, en particulier pour les pays en développement.

Trois fenêtres d’opportunité

À l’approche de la 13ème Conférence ministérielle de l’OMC, ces développements ouvrent trois fenêtres d’opportunité critiques pour aborder les questions de durabilité dans l’agriculture. Les discussions dans ces domaines devraient compléter, et non remplacer, les discussions en cours dans le cadre de la session extraordinaire du Comité de l’agriculture, qui traitent principalement de la distorsion des échanges et de la dimension de sécurité alimentaire des politiques agricoles. Une première piste concerne l’impact environnemental des subventions agricoles. Un défi important dans ce domaine consistera à définir ce qui constitue des subventions préjudiciables à l’environnement, en gardant à l’esprit la nature très spécifique au contexte des mesures de soutien, et l’équilibre à trouver entre les différents objectifs politiques. Pour ce faire, les membres devront aller au-delà des catégories existantes de subventions. Sur la base des enseignements tirés des négociations sur les subventions à la pêche, une approche prometteuse pourrait consister à identifier un ensemble de pratiques indubitablement préjudiciables à l’environnement et à donner la priorité aux actions portant sur toutes les formes de subventions qui les soutiennent. Au final, cela pourrait prendre la forme d’une liste négative ciblant les pratiques agricoles clairement non durables (par exemple, les subventions au travail mécanique du sol ou les subventions aux intrants portant sur des produits chimiques dangereux ou interdits). Cela pourrait directement contribuer à la cible 18 du nouveau Cadre mondial de la biodiversité, qui appelle à réduire les subventions d’au moins 500 milliards USD par an d’ici à 2030, en commençant par les incitations les plus néfastes.

Un défi important dans ce domaine consistera à définir ce qui constitue des subventions préjudiciables à l’environnement, en gardant à l’esprit la nature très spécifique au contexte des mesures de soutien, et l’équilibre à trouver entre les différents objectifs politiques.

Une deuxième série de questions concerne les exigences en matière de durabilité, y compris les normes volontaires de durabilité, les réglementations et les procédures d’évaluation de la conformité. Dans ce domaine, des préoccupations ont été exprimées concernant les initiatives unilatérales, telles que les exigences de diligence raisonnable proposées par l’Union européenne et le Royaume-Uni pour les chaînes d’approvisionnement exemptes de déforestation et les coûts de mise en conformité que cela impliquerait pour les exportateurs des pays en développement. À cet égard, les membres souhaiteront peut-être explorer une série d’approches liées au commerce permettant de promouvoir les chaînes d’approvisionnement durables, y compris par le biais d’incitations positives sous la forme d’un accès supplémentaire au marché pour les biens produits de manière durable. Il est également possible de discuter de la manière d’utiliser les normes volontaires reconnues pour démontrer la conformité avec les différentes réglementations gouvernementales. Les producteurs disposeraient ainsi d’une certaine souplesse et de divers moyens pour satisfaire aux exigences obligatoires en matière de durabilité, ce qui contribuerait grandement à réduire les coûts de mise en conformité tout en favorisant la reconnaissance mutuelle ou les équivalences. 

Le nouveau programme de travail sur l’insécurité alimentaire offrent une occasion unique d’examiner la manière dont le système commercial multilatéral peut soutenir la résilience des pays les moins avancés et des PDINPA pour répondre à une grave instabilité alimentaire et aux chocs externs.

Enfin, les discussions menées dans le cadre du nouveau programme de travail sur l’insécurité alimentaire offrent une occasion unique d’examiner la manière dont le système commercial multilatéral peut soutenir la résilience des pays les moins avancés et des PDINPA pour répondre à une grave instabilité alimentaire et aux chocs externes. Les disciplines actuelles de l’OMC ont été conçues à une époque où les marchés agricoles étaient caractérisés par des excédents de production et des prix en baisse sur le long terme. Aujourd’hui, les principaux défis concernent les perturbations des chaînes d’approvisionnement, les prix élevés, la volatilité excessive et la pénurie des ressources. Une partie de la discussion consiste donc à revoir certaines règles ou au moins à les compléter pour veiller à ce que les pays importateurs puissent compter efficacement sur les marchés internationaux en temps de crise, mais aussi pour développer des systèmes agricoles plus résilients face aux chocs extérieurs, notamment le changement climatique. Les questions pertinentes dans ce domaine comprennent les disciplines sur les restrictions à l’exportation imposées par les pays exportateurs nets de denrées alimentaires, les politiques de stock public pour garantir l’accessibilité et la disponibilité des denrées alimentaires, les politiques d’aide alimentaire et les mécanismes de financement pour garantir des importations normales de denrées alimentaires. La discussion devrait également répondre aux besoins essentiels en matière d’assistance technique pour mettre en place des chaînes d’approvisionnement régionales et nationales et les infrastructures connexes, augmenter la productivité agricole et développer des systèmes alimentaires résilients face au climat, notamment grâce aux nouvelles technologies.

En fonction de la volonté politique des membres, les discussions dans ces domaines pourraient déboucher sur de nouvelles disciplines sous la forme d’interdictions des subventions, d’engagements contraignants ou d’exigences renforcées en matière de transparence. Les membres devraient toutefois être ouverts à l’exploration d’autres types de résultats, allant des instruments juridiques non contraignants tels que des directives encourageant les bonnes pratiques, à des promesses unilatérales ou des engagements volontaires. Comme souligné ci-dessus, ces discussions ne doivent pas détourner l’attention des négociations agricoles en cours. Elles devraient les compléter et contribuer à catalyser les discussions sur la manière dont le commerce et les politiques commerciales peuvent contribuer à une approche plus intégrée pour favoriser la durabilité des systèmes alimentaires et agricoles, un sujet qui ne fera probablement que prendre de l’ampleur dans les années à venir. 
 


Christophe Bellmann est responsable de l’analyse et de la stratégie politiques au Forum sur le commerce, l’environnement et les ODD.

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