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Policy Analysis

Le développement durable et l’accord de libre-échange Nouvelle-Zélande-UE : un pas de plus vers la responsabilité

Le nouvel accord de libre-échange entre la Nouvelle Zélande et l’UE créé des précédents audacieux s’agissant des objectifs environnementaux. John Ballingall, associé d’un cabinet de conseil économique, offre son point de vue sur le nouvel accord, et examine ses implications pour l’avenir de la politique commerciale de la Nouvelle Zélande (et d’autres pays).

Par John Ballingall on 15 janvier 2023

Lorsque je parle à mes clients de l’industrie néo-zélandaise de la viande, j’ai tendance à taire deux choses plutôt gênantes. Premièrement, je suis végétarien. Deuxièmement, malgré les résultats très modestes en matière d’accès au marché pour les exportateurs de bœuf néozélandais, je pense que l’accord de libre-échange entre la Nouvelle-Zélande et l’Union européenne (ALE NZ-UE) est un bon accord.

Mon point de vue est en partie influencé par la mesure dans laquelle les priorités de la politique de durabilité et climatique ont été intégrées dans l’ALE. Cet article présente les dispositions les plus innovantes de l’ALE NZ-UE en matière de durabilité, et propose quelques réflexions sur leurs implications pour l’avenir de la politique commerciale de la Nouvelle-Zélande (et d’autres pays).

Un joyau de la couronne

Conclu fin juin 2022, l’ALE NZ-UE comble l’une des trois grandes lacunes du vaste réseau d’ALE de la Nouvelle-Zélande (les autres étant les États-Unis et l’Inde). De nombreux Néo-Zélandais, moi y compris, étaient sceptiques quant à la possibilité de conclure un jour un ALE.

Sur le plan économique, un ALE avec la Nouvelle-Zélande ne rendra jamais personne riche. Notre population est similaire à celle de l’Irlande ou de la Slovaquie, notre PIB représente environ 1,5 % de celui de l’UE et il nous reste très peu de droits de douane significatifs. Les résultats de la modélisation économique ont nécessité plus de deux décimales pour enregistrer les gains de PIB de l’UE résultant de l’ALE d’ici 2035.

Du point de vue de l’économie politique, les négociations comportaient de nombreux points sensibles. Pour l’UE, l’amélioration de l’accès au marché pour les exportations de produits laitiers et de viande bovine de la Nouvelle-Zélande a toujours été le principal obstacle à tout ALE. Les préoccupations croissantes concernant la souveraineté alimentaire de l’UE à la lumière du conflit en Ukraine ont exacerbé la situation.

Conclu fin juin 2022, l’ALE NZ-UE comble l’une des trois grandes lacunes du vaste réseau d’ALE de la Nouvelle-Zélande.

Pour la Nouvelle-Zélande, l’armoire de négociation était vide. Les ambitions de l’UE en matière d’indications géographiques posaient des problèmes majeurs. L’extension des droits d’auteur suscitait peu d’intérêt. Et les politiciens ne donnaient absolument aucun mandat aux négociateurs pour avancer sur l’extension de la durée des brevets.

Malgré ces défis et ces contraintes, un ALE de grande envergure et tourné vers l’avenir a finalement été conclu. Les considérations géostratégiques de l’UE auront influencé les choix des décideurs, mais la capacité des deux parties à présenter l’ALE comme étant très ambitieux et progressiste sur les questions environnementales aura également contribué à un résultat positif.

Outrage inversé : les réactions des exportateurs néozélandais ont été inhabituellement mitigées

Normalement, lorsqu'un ALE est annoncé en Nouvelle-Zélande, les résultats sont loués par les exportateurs du secteur primaire et critiqués par les écologistes. Les choses ont été différentes avec l’ALE NZ-UE.

Les exportateurs de viande et de produits laitiers ont été extrêmement déçus, mais sûrement pas surpris, que l’UE ne propose pas d’améliorations commercialement significatives de l’accès au marché pour les principaux produits d’exportation pastoraux de la Nouvelle-Zélande. Les exportateurs de produits horticoles et de fruits de mer étaient beaucoup plus satisfaits.

Et il a été généralement admis (ou du moins, aucune protestation contraire similaire à celles qui ont eu lieu après l’adoption du Partenariat transpacifique) que les dispositions de l’ALE en matière de durabilité et de climat étaient un cran au-dessus de ce qui avait été fait auparavant.

Joindre le geste à la parole : sanctions commerciales potentielles en cas de non-respect des objectifs de l’Accord de Paris

Une grande partie de l’intérêt pour l’environnement concerne le chapitre sur le commerce et le développement durable (CDD) de l’ALE NZ-UE. Les principales dispositions concernent les normes de travail, l’égalité des sexes, le changement climatique, l’échange de droits d’émission, les biens et services environnementaux, les forêts, les subventions à la pêche et la réforme des subventions aux combustibles fossiles.

La nouveauté réside dans le fait que l’ensemble du chapitre sur le CDD est soumis aux dispositions de l’accord relatives au règlement des différends et est donc juridiquement contraignant.

Ce chapitre représente la première fois que l’UE s’engage dans un ALE à s’abstenir d’accorder ou de maintenir des subventions à la pêche préjudiciables. Il contient également le tout premier article d’un ALE de l’UE sur la réforme des subventions aux combustibles fossiles.

Dans l’ensemble, le contenu du chapitre sur le CDD n’est pas particulièrement novateur, puisque des dispositions similaires figurent dans de nombreux ALE conclus précédemment par la Nouvelle-Zélande et l’UE. Les deux parties sont de fervents promoteurs d’initiatives de développement progressif et durable.

La nouveauté réside dans le fait que l’ensemble du chapitre sur le CDD est soumis aux dispositions de l’accord relatives au règlement des différends et est donc juridiquement contraignant.

Plus particulièrement, les engagements des parties à « s’abstenir de toute action ou omission allant à l’encontre de l’objet et du but de l’Accord de Paris » sont soumis à un règlement des différends et potentiellement à des sanctions commerciales en cas de violation. La possibilité d’appliquer des sanctions commerciales aux violations liées à l’objet et au champ d’application de l’Accord de Paris est une première pour les deux pays.

Il s’agit du premier ALE pour les deux parties dans lequel les engagements en matière de genre sont exécutoires.

Les autres dispositions du chapitre (par exemple, le commerce et l’inégalité entre les sexes, les subventions à la pêche) peuvent être soumises au règlement des différends dans le but d’obtenir une décision mais ne sont pas « sanctionnables ». Cela représente malgré tout une nouveauté et une ambition relatives pour un ALE. Par exemple, il s’agit du premier ALE pour les deux parties dans lequel les engagements en matière de genre sont exécutoires.

Dans l’ensemble, le chapitre sur le CDD de l’ALE NZ-UE représente une avancée significative dans la manière qu’ont les partenaires de l’ALE de se tenir mutuellement responsables sur les questions clés de durabilité.

Il reste à voir si l’ALE portera ses fruits s’agissant de la réduction de l'empreinte carbone

Ce que cela signifie en pratique n’est pas encore clair, mais on peut imaginer – et en dernier recours – que cela pourrait conduire à la suspension d’obligations contenues dans d’autres parties de l’accord (par exemple, les réductions tarifaires) si un groupe spécial de règlement des différends estime qu’une partie a introduit des mesures politiques ou réglementaires qui vont « matériellement » à l’encontre des objectifs de l’Accord de Paris.

Ces objectifs sont très larges, puisqu’il s’agit de maintenir l’augmentation de la température mondiale « nettement en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels », d’intensifier les efforts d’adaptation sans menacer la production alimentaire, et de fournir un financement climatique pour soutenir un « profil d’évolution vers un développement à faible émission de gaz à effet de serre et résilient aux changements climatiques ».

On ne sait pas exactement comment un groupe spécial pourrait évaluer objectivement si l’action ou l’omission introduite par une partie contredit ces objectifs généraux. Une telle démarche serait sans aucun doute une source inépuisable d’excitation (et d’heures facturables) pour les avocats spécialisés dans le commerce et l’environnement.

L’ALE NZ-UE a créé un précédent audacieux s’agissant des questions de durabilité pour les futures négociations d’ALE

Mais en tant que signal pour les autres pays que la Nouvelle-Zélande et l’UE sont ambitieuses dans les domaines de chevauchement entre la politique commerciale et la politique climatique, ces dispositions envoient un message fort : nous sommes prêts à aller au-delà du dialogue, de la coopération et des meilleurs efforts et nous nous engageons à faire face à d’éventuelles sanctions commerciales si nous ne remplissons pas nos obligations clés en matière d’environnement (et de travail).

L’ALE NZ-UE a donc créé un précédent audacieux s’agissant des questions de durabilité pour les futures négociations d’ALE. Il sera intéressant de voir comment les autres pays avec lesquels l’une ou l’autre des parties cherche à négocier perçoivent ce précédent. Les pays en développement s’attendront-ils à ce que la responsabilité commune mais différenciée s’applique aux dispositions relatives au développement durable des futurs ALE avec la Nouvelle-Zélande ou l’UE, par exemple ? Et comment les États-Unis pourraient-ils réagir, compte tenu de leurs difficultés politiques en matière de politique climatique ?

Un dialogue tourné vers l’avenir

Un autre aspect novateur de l’ALE NZ-UE est son chapitre de coopération sur les systèmes alimentaires durables. Dans ce chapitre, les parties ont convenu « d’établir une coopération étroite pour s’engager conjointement dans la transition vers des systèmes alimentaires durables ». Ces systèmes « garantissent l’accès à des aliments sûrs, nutritifs et suffisants tout au long de l’année, de telle sorte que les bases économiques, sociales, culturelles et environnementales permettant d’assurer la sécurité alimentaire et la nutrition des générations futures ne soient pas compromises » (article X.3.2).

Parmi les thèmes de coopération mentionnés figurent l’agriculture biologique et régénératrice, la réduction de l’utilisation d’engrais et de produits chimiques, veiller à la résilience des chaînes d’approvisionnement alimentaire en cas de crise, l’impact de la production alimentaire sur la biodiversité, l’empreinte carbone des consommateurs et les connaissances autochtones des systèmes alimentaires.

S’agissant d’un chapitre consacré uniquement à la coopération, on ne peut pas s’attendre à des résultats particulièrement importants des discussions des parties. Mais le signal est à nouveau clair : il existe une place explicite dans les ALE pour les dispositions qui encouragent le dialogue sur les questions importantes de durabilité intergénérationnelle, même lorsqu’elles concernent des domaines soumis à de fortes pressions offensives ou défensives de l’économie politique (comme l’agriculture).

Des cercles toujours décroissants

L’on peut estimer que la réalisation d’une action significative contre le changement climatique est une priorité bien plus importante pour la plupart des gens que la recherche de gains d’efficacité économique par la libéralisation des échanges. Par conséquent, si la politique commerciale dans son ensemble veut conserver un permis social d’opération et rallier toutes les parties prenantes, elle doit tenir plus activement compte des préoccupations de la société en matière de durabilité et de climat.

C’est justement ce que tentent de faire l’UE et la Nouvelle-Zélande à travers leurs initiatives Ensemble pour une croissance économique verte et juste et Trade for All, respectivement. L’ALE NZ-UE représente une évolution positive dans la manière dont les questions de politique commerciale et de durabilité sont traitées dans les ALE. Les concepts de durabilité ne sont plus traités du bout des lèvres pour être ensuite relégués dans des chapitres autonomes intitulés « Commerce et... », qui font un bel effet sur le papier mais n’ont pas d’implications matérielles dans la pratique.

Au contraire, ils sont présents dans de nombreux chapitres de l’ALE. Et le non-respect des principaux engagements environnementaux de l’ALE pourrait avoir des répercussions économiques importantes si des sanctions commerciales étaient invoquées.

À mon avis, cela met en évidence les domaines de plus en plus imbriqués de la politique commerciale et de la politique climatique. Un diagramme de Venn représentant l’intersection de ces politiques devient progressivement un cercle unique.

Négociateurs commerciaux = négociateurs climatiques ?

Nous nous dirigeons vers un monde de systèmes d’échange de droits d’émission liés et de tarification mondiale du carbone, de mécanismes d’ajustement carbone aux frontières, de « couloirs verts » à faibles émissions pour le transport aérien et maritime, et de marchés en expansion pour les biens et services produits de manière durable (pour n’en citer que quelques-uns). Tous ces éléments relèvent à la fois de la politique commerciale et de la politique de durabilité/climatique.

Cela signifie que davantage de négociateurs commerciaux devront approfondir leur compréhension de la politique de la durabilité et climatique. Ils devront accorder plus de poids aux résultats en matière de durabilité lors de l’élaboration de leurs positions de négociation et être plus conscients des implications de leurs approches en matière de politique commerciale sur le climat et le développement.

Davantage de négociateurs commerciaux devront approfondir leur compréhension de la politique de la durabilité et climatique.

Et les décideurs et négociateurs en matière de changement climatique devront être plus attentifs au rôle important que le commerce peut jouer dans la réduction des émissions mondiales et aux conséquences commerciales importantes de la fixation d’objectifs nationaux et internationaux d’émission ambitieux.

Enfin, ces chevauchements impliquent que les commentateurs, les chercheurs, les entreprises et les décideurs politiques devront peut-être repenser la manière dont les ALE doivent être évalués. Les résultats commerciaux et climatiques doivent de plus en plus être considérés dans leur ensemble. Comme indiqué ci-dessus, l’ALE NZ-UE n’est pas particulièrement ambitieux en matière d’accès au marché, par exemple, mais certains de ses aspects relatifs à la durabilité sont révolutionnaires. Le fait de trouver le juste équilibre deviendra sûrement un défi majeur pour les ALE à l’avenir.

Un travail bien fait

Il reste à voir si l’ALE NZ-UE sera plus bénéfique pour le bien-être de la société qu’un ALE plus agressif en matière d’accès au marché mais moins progressif en matière de durabilité. Mais pour l’instant, il semble juste de dire – avec mes plus sincères excuses à mes amis de l’industrie de la viande – que les deux groupes de négociateurs ont fait du bon travail en concluant un ALE très attendu et très ambitieux.


John Ballingall est associé chez Sense Partners, un cabinet de conseil économique basé en Nouvelle-Zélande. Il est spécialisé dans la modélisation économique des politiques commerciales et climatiques.

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Sujet
Trade
Région
New Zealand
Focus area
Economies