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Policy Analysis

Le Cadre économique indopacifique pour la prospérité : une nouvelle approche du commerce et de l’engagement économique

La nouvelle initiative du Cadre économique indopacifique pour la prospérité entre les États-Unis et 13 autres pays aspire à une économie connectée, résiliente, propre et juste. Emily Benson et Grant Reynolds du Centre pour les études stratégiques et internationales présentent un aperçu de l’accord, ainsi que les résultats concrets et les prochaines étapes pour les pays membres.

Par Emily Benson, Grant Reynolds on 25 septembre 2022

Initialement conçu en octobre 2021, le Cadre économique indopacifique pour la prospérité (IPEF en anglais) a été officiellement lancé à Tokyo en mai 2022 par les États-Unis. Contrepartie économique de leurs efforts en matière de sécurité dans la région, cette initiative offre aux États-Unis l’occasion de regagner en influence dans une région d’importance géostratégique croissante. Malgré un lancement fort en mai qui a vu une participation plus importante que prévu, des signes inquiétants indiquent déjà que l’enthousiasme pour l’initiative pourrait s’estomper parmi les partenaires, remettant en question à la fois la capacité du cadre à obtenir des concessions de la part des partenaires et la durabilité de l’initiative dans son ensemble.

Aperçu de l’IPEF

L’IPEF compte 13 autres membres fondateurs : l’Australie, le Brunei Darussalam, la Corée du Sud, les Fidji, l’Inde, l’Indonésie, le Japon, la Malaisie, la Nouvelle-Zélande, les Philippines, Singapour, la Thaïlande et le Vietnam ont annoncé leur intérêt pour l’IPEF et ont signé le cadre. Ensemble, ces pays représentent plus de 40 % du PIB mondial. L’IPEF est divisé en quatre piliers :

  1. Économie connectée : questions liées au numérique, à l’environnement et au travail
  2. Économie résiliente : coopération et coordination de la chaîne d’approvisionnement
  3. Économie propre : décarbonisation et développement des infrastructures
  4. Économie équitable : fiscalité et lutte contre la corruption.

La représentante des États-Unis au Commerce (USTR) supervisera le premier pilier, et le ministère étasunien du Commerce supervisera les autres. L’administration Biden a conçu l’IPEF comme un arrangement flexible et ouvert, permettant aux pays partenaires de rejoindre l’un des quatre piliers sans avoir à s’engager sur l’ensemble des quatre.

L’administration Biden a conçu l’IPEF comme un arrangement flexible et ouvert, permettant aux pays partenaires de rejoindre l’un des quatre piliers sans avoir à s’engager sur l’ensemble des quatre.

L’administration Biden, et en particulier la représentante des États-Unis au Commerce, Katherine Tai, n’a pas caché sa nouvelle approche de la politique commerciale. Décrivant l’IPEF, Mme Tai a déclaré : « Nous devons repenser ce que la politique commerciale peut être au 21ème siècle, et songer qu’elle doit profiter à davantage de personnes. Pendant des décennies, la politique commerciale a souvent été réduite à un jeu à somme nulle qui a laissé pour compte bon nombre de nos travailleurs ».

Cette nouvelle approche du commerce mondial a jusqu’à présent évité la libéralisation des droits de douane, en grande partie par crainte d’un retour de bâton de la part des groupes d'intérêts syndicaux et environnementaux, qui se sont opposés avec véhémence aux précédents accords commerciaux tels que l’Accord global et progressif pour le Partenariat transpacifique. L’IPEF ne vise donc pas à assouplir les droits de douane ou à améliorer l’accès au marché, ce qui signifie que le cadre ne constitue pas un accord de libre-échange traditionnel.

l’on ne sait toujours pas quels pays adhéreront à quels piliers de l’accord. L’on ignore si l’Inde adhérera au pilier commercial, par exemple.

Après la réunion ministérielle inaugurale de mai 2022, les parties se sont réunies virtuellement à la fin juillet pour une deuxième réunion ministérielle, qui a donné des résultats mitigés. Début août, l’on ne sait toujours pas quels pays adhéreront à quels piliers de l’accord. L’on ignore si l’Inde adhérera au pilier commercial, par exemple, et bien que le pays ait pris part au lancement initial, un ancien secrétaire au commerce indien affirme que le pays n’a participé qu’en tant qu’observateur à la réunion ministérielle de l’IPEF, ce qui pourrait indiquer que l’Inde ne poursuivra pas les négociations.

Principaux résultats de la réunion ministérielle de juillet

La deuxième réunion ministérielle de l’IPEF s’est tenue virtuellement les 26 et 27 juillet, avec la participation des 14 membres. Le premier jour était consacré au pilier commercial et était dirigé par l’USTR, tandis que les discussions du deuxième jour étaient axées sur les trois autres piliers du cadre et étaient dirigées par le ministère du Commerce. À l’issue de la réunion ministérielle, les parties n’ont toutefois pas réussi à produire une déclaration commune. Au lieu de cela, l’USTR et le ministère du Commerce ont publié un résumé de la réunion, offrant peu de détails. Ils ont plutôt déclaré que « les ministres ont eu des discussions positives et constructives et ont réaffirmé leur objectif collectif de poursuivre un cadre économique de haut niveau et inclusif », sans préciser quels étaient ces objectifs ni comment ils seraient atteints.

Un thème récurrent de cette réunion ministérielle de deux jours aurait été la nécessité de prévoir des périodes de transition pour tout engagement contraignant. Il s’agit d’un signe potentiellement inquiétant indiquant que les pays sont déjà réticents à l’idée de signer des normes plus élevées et qu’ils ont des réserves quant au respect de ces normes, qu’elles soient politiques ou pratiques. La Malaisie, par exemple, a été l’un des principaux promoteurs de la nécessité de prévoir des périodes de transition et des délais de grâce, mais elle n’était pas la seule parmi les nations asiatiques à faire cette demande. Le Japon a également soutenu l’idée, soulignant qu’il était important de rendre la participation au cadre facile et réalisable pour cet ensemble varié de pays.

Il s’agit d’un signe potentiellement inquiétant indiquant que les pays sont déjà réticents à l’idée de signer des normes plus élevées et qu’ils ont des réserves quant au respect de ces normes, qu’elles soient politiques ou pratiques.

L’importance d’inclure le secteur privé a également été soulignée dans les jours qui ont suivi la réunion ministérielle. Le gouvernement sud-coréen a organisé une réunion stratégique public-privé afin de coordonner les intérêts dans l’IPEF et a déclaré que l’un des objectifs du pays était la participation continue de l’industrie aux discussions de l’IPEF. Le premier jour de la réunion ministérielle, la sous-secrétaire des États-Unis au Commerce international, Marisa Lago, a également indiqué que la participation du secteur privé étasunien et la volonté d’investir dans d’autres pays de l’IPEF constituaient des incitations importantes à la participation à l’IPEF.

Les membres de l’IPEF devraient se réunir à nouveau ce mois-ci. À ce moment-là, les parties prenantes et les observateurs espèrent obtenir des détails supplémentaires, notamment une éventuelle déclaration ministérielle, ainsi que des précisions sur les pays qui participeront à tel ou tel pilier spécifique du cadre.

Perception et politique de l’IPEF

De nombreux membres de l’IPEF ont félicité les États-Unis pour l’accélération de leurs ambitions dans la région indopacifique. Cependant, certains participants et parties prenantes du secteur privé ont critiqué l’administration Biden pour ne pas avoir négocié la libéralisation tarifaire, ce qui réduit effectivement la crédibilité du cadre car cela indique que les États-Unis ne sont pas disposés à faire des concessions importantes.

Mme Tai a souligné que les taux moyens des droits de douane sur les importations en provenance de la région sont généralement faibles, bien que des pics tarifaires de près de 40 % existent sur des biens importants pour la région, notamment les textiles et les chaussures en provenance du Vietnam. Ces pics tarifaires soulignent que l’administration conserve un certain poids dans les négociations et pourrait demander des concessions à ses partenaires, par exemple, sur les initiatives numériques, en échange d’une réduction des droits de douane appliqués par les États-Unis. L’administration ne semble toutefois pas intéressée à utiliser ce levier.

Un autre élément qui a réduit la crédibilité de l’IPEF en tant qu’architecture commerciale durable est la décision de l’administration de mener des négociations et de conclure un arrangement sans le consentement du Congrès. Cette décision signale en outre que les États-Unis n’ont pas l’intention de faire eux-mêmes des concessions importantes, et affaiblit genéralement la perception de l’accord parmi les partenaires étrangers.

Résultats tangibles

Les recherches du CSIS, ainsi que les déclarations publiques des dirigeants régionaux, ont démontré à plusieurs reprises le désir des parties prenantes privées et publiques de voir l’administration produire des « résultats tangibles » grâce aux négociations de l’IPEF. Toutefois, il faudra encore déterminer ce que ces résultats pourraient impliquer si les États-Unis ne sont pas prêts à offrir des concessions en échange de changements de politique intérieure dans les pays étrangers, s’agissant en particulier des normes numériques et des efforts coûteux de décarbonisation.

Un débat est en cours sur la question de savoir si les États-Unis doivent chercher à conclure un accord numérique séparé à titre de « récolte précoce » dans les négociations, étant donné que plusieurs pays de l’IPEF ont signalé leur intérêt à se joindre à un effort qui codifierait plus officiellement les normes numériques américaines dans toute la région. Sans l’inclusion de l’accès au marché, le commerce numérique est probablement l’une des caractéristiques les plus attrayantes du pilier commercial.

Aussi, si l’administration Biden souhaite encourager la participation au pilier commercial au-delà des pays développés partageant les mêmes idées, il est probablement dans l’intérêt des États-Unis de maintenir les composantes du commerce numérique intégrées au pilier commercial plus large. En d’autres termes, étant donné que le commerce numérique reste l’un des principaux domaines d’influence pour les négociateurs étasuniens, il est très peu probable que les États-Unis poursuivent une telle initiative de rupture.

Les dirigeants de l’IPEF ont l’occasion de promouvoir des changements politiques conséquents et durables dans une région d’importance stratégique croissante.

Dans l’ensemble, l’IPEF est un cadre ambitieux, dont le lancement a dépassé les attentes, tant en raison du grand nombre des partenaires fondateurs que de leur diversité. Alors que les parties peaufinent les détails de l’arrangement, les dirigeants de l’IPEF ont l’occasion de promouvoir des changements politiques conséquents et durables dans une région d’importance stratégique croissante.

Les prochaines étapes

S’il ne vise pas explicitement à contrer l’influence de la Chine dans la région, l’IPEF offre aux États-Unis la possibilité de réaffirmer leur influence dans une région d’une importance économique et sécuritaire cruciale. En effet, le cadre offre aux États-Unis la possibilité de fournir une expertise et une assistance technique dans des domaines tels que la décarbonisation industrielle profonde, la résilience des chaînes d’approvisionnement et les normes numériques. Même s’il n’est pas traditionnel, cet arrangement économique large et flexible pourrait aider les pays à aligner leurs objectifs et contribuer à créer de nouvelles opportunités de croissance nationales et à l’étranger.

Alors que les partenaires de l’IPEF cherchent à élaborer un programme affirmatif et durable, il incombe aux pays participants de veiller à ce que l’élan de ces efforts soit maintenu dans une arène diplomatiquement encombrée. Comme le dit le vieil adage diplomatique, un observateur peut en apprendre beaucoup sur l’état des négociations en voyant quels ministres s’inscrivent à la troisième réunion ministérielle.

S’agissant de l’IPEF, les deux premières réunions ministérielles, ainsi qu’une réunion parallèle organisée à Paris en amont de la 12ème conférence ministérielle de l’Organisation mondiale du commerce à Genève, ont connu une participation enthousiaste. Il reste à voir si tous les pays, et leurs ministres de haut rang, participeront aux futurs sommets.


Emily Benson est chercheure auprès de la Scholl Chair in International Business du Centre pour les études stratégiques et internationales (CSIS) à Washington. Grant Reynolds est stagiaire auprès de la Scholl Chair in International Business du CSIS.

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Sujet
Trade
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Economies