Rebeca Grynspan at UNCTAD15 Podium October 2021
Policy Analysis

Orienter une relance postpandémie plus inclusive : entretien avec Rebeca Grynspan de la CNUCED

Rebeca Grynspan a pris ses fonctions de secrétaire-générale de la CNUCED en pleine pandémie et s’est fixée pour priorité de veiller à ce que l’organisation contribue à un « relèvement plus inclusif suite à cette crise qui a causé d’importantes divisions ». Jennifer Freedman, éditrice en chef du magazine Trade and Sustainability Review, publié par l’IISD, s’entretient avec Mme Grynspan pour connaître ses priorités pour les années à venir.

Par Jennifer Freedman on 2 mars 2022

Rebeca Grynspan s’est déjà distinguée à la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED) en devenant la première femme, et la première personne originaire d’Amérique centrale, à occuper le poste de secrétaire-général de l’organisation. Et avec son nouveau mandat guidant les travaux de la CNUCED pour les quatre prochaines années, elle s’est fixée pour priorité d’aiguiller l’agence à travers la pandémie de COVID-19 et de susciter des changements qui auront de réels effets pérennes sur les pays en développement.

Rebeca Grynspan (on screen), Secretary-General of the United Nations Conference on Trade and Development (UNCTAD)
Rebeca Grynspan (à l'écran), Secrétaire générale de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED). Photo : UN Photo/Manuel Elías.

Économiste de formation et ancienne vice-présidente du Costa Rica, Mme Grynspan a pris ses fonctions au beau milieu d’une crise sanitaire qui a particulièrement dévasté les pays pauvres, et a initialement donné lieu à certaines des plus fortes baisses des échanges et des volumes de production que le monde ait connu depuis la Seconde Guerre mondiale. Et un mois à peine après sa prise de fonction, elle a reçu de nouvelles instructions dans le Pacte de Bridgetown, adopté à la 15ème conférence quadriennale de la CNUCED en octobre dernier.

Le Pacte de Bridgetown charge la CNUCED de « prendre la voie d’un monde plus résilient, plus numérique et plus inclusif de prospérité partagée : transformer les économies par la diversification, rendre les économies plus vertes et plus résilientes, améliorer les modalités de financement du développement, et redynamiser le multilatéralisme ». Cet appel à l’action décrit comment mener à bien chacune des stratégies pour nous rapprocher de la réalisation des Objectifs de développement durable. Il charge l’agence de jouer un rôle au moyen des trois piliers de son action que sont l’analyse, le renforcement des capacités et la formation de consensus.

Rebeca Grynspan prend ces instructions très au sérieux. Elle indique que c’est un « privilège » de diriger la CNUCED « en pleine crise mondiale, lorsque l’on nous demande d’intensifier nos efforts et de contribuer réellement à un relèvement plus inclusif suite à cette crise qui a causé d’importantes divisions ».

Répondre aux inégalités dans le cadre des échanges mondiaux postpandémie

« Je suis arrivée à cette institution dans une période trouble, mais qui présente également des opportunités », a-t-elle affirmé dans un entretien. « Le premier objectif de mon mandat sera de repenser le discours économique mondial pour amplifier les solutions avantageuses pour tous, rediriger les compensations et être réellement en soutien des pays en développement et les aider à accéder aux avantages du commerce mondial. Nous devons également intégrer les perspectives du développement liées à l’environnement et au changement climatique dans les travaux de la CNUCED ».

Je suis arrivée à cette institution dans une période trouble, mais qui présente également des opportunités.

Elle a indiqué qu’une autre de ses priorités consistait à garantir une meilleure coopération technique, plus large, mieux ancrée, et qui génère plus de financements et de projets adaptés aux besoins des économies en développement. Elle souhaite également « redynamiser » la sphère intergouvernementale et le pilier de la formation de consensus.

Je ne dis pas que la tâche sera facile, mais je suis convaincue que la CNUCED dispose de l’expertise, des connaissances et du leadership requis pour influencer significativement le paysage commercial mondial postpandémie.

La COVID-19 a exposé les profondes divisions entre les pays en développement et les pays développés, et exacerbé les problèmes qui frappaient déjà les pays les plus pauvres avant la crise, indique Mme Grynspan. La crise a également mis en lumière le « dysfonctionnement structurel » des chaînes d’approvisionnement de l’économie mondiale.

Je ne dis pas que la tâche sera facile, mais je suis convaincue que la CNUCED dispose de l’expertise, des connaissances et du leadership requis pour influencer significativement le paysage commercial mondial postpandémie.

« La pandémie a souligné les disparités dans la résilience et la capacité des pays à faire face aux crises. Des disparités en termes de résilience. Des disparités en termes de capacité de faire face aux crises. C’est le meilleur enseignement que la pandémie nous ait donné. Le fait que les inégalités sont le terreau de la fragilité. Que plus les inégalités sont importantes, plus grand sera l’impact. La CNUCED continuera d’aider les pays en développement à atténuer ces risques », a-t-elle dit.

Le Pacte de Bridgetown est-il suffisamment ambitieux ?

Certaines critiques affirment que le nouveau mandat de la CNUCED ne fait pas suffisamment pour aider les pays en développement face à la pandémie.

« Il s’agissait de l’une des premières occasions pour la communauté internationale de prendre ses responsabilités pour éviter que des millions, peut-être même des milliards de personnes ne restent appauvries par le tsunami économique déclenché par la crise de la COVID-19 », a écrit Deborah James du Center for Economic and Policy Research. « Si aujourd’hui le mandat ne mentionne pas spécifiquement les multiples crises sanitaire, économique et sociale interconnectées auxquels les pays en développement font face, cela signifie qu’il n’est malheureusement pas à la hauteur ».

Mme James imputait le blocage de « ce qui aurait pu être un accord ambitieux pour renforcer le rôle de la CNUCED dans la conception d’un programme transformateur, qui réponde aux défis auxquels les législateurs du monde en développement font face » à « une poignée de pays développés », au premier rang desquels la délégation de l’Union européenne.”

Mais Mme Grynspan indique que les travaux futurs de l’agence sont fondés sur un « programme extrêmement ambitieux qui permettra à la CNUCED d’aborder de nombreuses questions liées au commerce et au développement, notamment la finance, l’investissement, la technologie, et l’entreprenariat, qui doivent être examinées dans le contexte de la pandémie ».

Selon Mme James, Mme Grynspan « a pris un bon départ » en identifiant certains des principaux problèmes des pays en développement, tels que les droits de tirage spéciaux, l’analyse de la durabilité de la dette et sa restructuration, l’arrêt de « l’hémorragie » causée par les flux commerciaux illégaux (comme ceux exposés dans les Pandora Papers), et en reconnaissant l’importance d’adopter des politiques basées sur la recherche et les preuves pour définir les piliers de la coopération technique et de la formation de consensus, notamment dans le cadre des travaux de la CNUCED sur le commerce et la technologie.

« Il semblerait également qu’elle donne un nouveau souffle à la collaboration de la CNUCED avec la société civile, ce qui permettra aux membres d’accéder plus facilement à cette expertise », a écrit Mme James.

La mise en œuvre du mandat

Mme Grynspan a offert plusieurs exemples concrets de la manière dont la CNUCED entend mettre son mandat en œuvre.

Nous nous efforcerons de mieux aider les pays en développement à accéder à l’investissement en faveur des échanges et de la résilience des infrastructures, nous plaiderons pour un mécanisme plus ambitieux de gestion de la dette et de financement de la relance, notamment grâce au recyclage des droits de tirage spéciaux, un domaine dans lequel la CNUCED jouit d’une expérience d’au moins 50 ans », a-t-elle dit.

Nous nous efforcerons de mieux aider les pays en développement à accéder à l’investissement en faveur des échanges et de la résilience des infrastructures, nous plaiderons pour un mécanisme plus ambitieux de gestion de la dette et de financement de la relance, notamment grâce au recyclage des droits de tirage spéciaux.

L’agence basée à Genève abordera également la nécessité d’atténuer la fracture numérique qui affecte les pays en développement, a dit Mme Grynspan. Il s’agira de « soutenir le renforcement des capacités en termes de commerce électronique, de création de valeur numérique, de gouvernance des données, et plus largement des capacités productives, ainsi que la diversification dans tous les secteurs ».

La CNUCED est « pleinement consciente » du fait que les effets combinés de la pandémie et du changement climatique créent des défis mondiaux qui exigent des solutions mondiales coordonnées.

« Il est évident que les Nations Unies et la CNUCED, avec leur capacité de rassemblement universel, sont le forum approprié pour un dialogue multilatéral sur le monde postpandémie que nous souhaitons », a dit Mme Grynspan. « Il ne s’agit pas là d’un programme de travail mineur ».

Jennifer Freedman est rédactrice en chef de IISD Trade and Sustainability Review.

Banner photo: UNCTAD Photo/Tim Sullivan CC BY-SA 2.0

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Sujet
Trade
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Economies