La diversité des arbitres dans un régime de RDIE réformé : l’OMC est-elle un bon modèle pour les pays en développement ?

En 2017, le Groupe de travail III de la CNUDCI a reçu un large mandat pour œuvrer à une éventuelle réforme du RDIE. Les délégations des États membres de la CNUDCI examinent actuellement des solutions aux problèmes identifiés lors des étapes précédentes, qui incluent des propositions pour un organe d’appel permanent et un TMI à deux niveaux. Lors de la 38ème session du groupe de travail à Vienne du 20 au 24 janvier 2020, l’un des points à l’ordre du jour portait sur la nomination et la sélection des arbitres. L’intervention suivante a été réalisée par la Professeure Jane Kelsey et saluée lors des débats par les représentants de six États (l’Afrique du Sud, la Chine, la Guinée, l’Indonésie, le Nigeria et le Pakistan) et par le United States Council for International Business (USCIB).

Tout au long du processus de ce groupe de travail, les pays en développement n’ont cessé de demander une plus grande diversité parmi les arbitres. La diversité, pas seulement géographique, mais particulièrement en termes de développement, n’est pas une fin en soi. Il ne s’agit pas non plus de multiplier les possibilités d’avancement personnel.

La diversité en termes de développement est un prérequis pour rendre justice. La diversité permet de veiller à ce que les connaissances du droit et une culture appropriées éclairent les faits au cœur du différend. Dans le contexte des différends relatifs à l’investissement, elle veille à ce que les arbitres interprètent les concepts juridiques fondamentaux à travers le prisme du développement, ce que l’on a rarement vu jusqu’à présent. Cela n’implique pas une absence d’impartialité et d’indépendance, mais offre plutôt un moyen d’apporter des points de vue plus complets à l’interprétation et aux décisions arbitrales. La diversité est également un prérequis à l’apport de légitimité à un système largement considéré comme étant biaisé en faveur des investisseurs étrangers et des pays exportateurs de capital.

Certains affirment que les réformes systémiques, notamment sous la forme d’un système d’appel à deux niveaux, peut offrir une diversité dans la désignation des arbitres. Mais il n’y a aucune garantie. L’OMC est souvent citée en exemple. Mais l’expérience à l’OMC montre que les engagements formels en faveur de la diversité ne sont pas suffisants. Le Mémorandum d’accord sur le règlement des différends de l’OMC (le Mémorandum d’accord) contient une exigence de diversité, et les membres de l’organe d’appel sont censés représenter largement les membres de l’organisation. Pourtant les membres de l’organe d’appel viennent en grande majorité des pays du nord[1]. Et il en va de même pour plus de la moitié des membres de l’Organe d’appel nommés jusqu’à ce jour[2]. Il s’agit d’une situation de longue date qui reflète les asymétries de développement dans les critères et procédures de nomination, la conception institutionnelle et le fonctionnement de l’organe de règlement des différends de l’OMC.

L’un des problèmes est que les critères traditionnels de nomination entraineront certainement la dominance continue d’une élite arbitrale, dans un cycle auto-entretenu. Cela serait encore plus problématique dans le cadre d’un tribunal permanent de l’investissement si les nominations portent sur des mandats de six ou même neuf ans.

Un deuxième problème est qu’un secrétariat n’ayant aucun compte à rendre a reçu trop de pouvoir[3]. Le secrétariat de l’OMC recommande les membres de l’organe de première instance, et les États au différend ne peuvent s’y opposer que pour des raisons contraignantes[4]. Les récentes recherches universitaires menées ont conclu que le secrétariat avait beaucoup plus d’influence sur la rédaction des rapports que les membres de l’organe eux-mêmes, ce qui affecte le rôle des précédents et limite les possibilités de contestation[5]. Les préoccupations des pays en développement quant au biais institutionnalisé au niveau du secrétariat ont été largement ignorées.

Un troisième problème institutionnel est que les pays en développement n’ont pas réussi à obtenir l’accord des membres de corriger le mécanisme de règlement des différends après la mise en évidence d’asymétries de développement fondamentales. Un processus d’examen a été inclus dans le Mémorandum d’accord. Mais il n’a pas été en mesure de respecter sa première échéance, ni la deuxième fixée au titre du Programme de Doha pour le développement en 2001[6]. L’examen demeure incertain compte tenu de l’absence de volonté politique dans un système fondé sur le consensus[7]. Maintenant, les États-Unis utilisent le processus décisionnel consensuel pour exiger des réformes, et prendre le système en otage, alors que les préoccupations des pays en développement demeurent irrésolues[8].

Si ces problèmes surviennent dans le contexte de l’OMC, qui est censée être une institution contrôlée par ses membres, comment la promesse de diversité, ou les nombreuses autres promesses faites aux pays en développement dans le cadre du groupe de travail seront-elles réalisées dans un TMI ou un mécanisme d’appel permanent ? Nous invitons les pays en développement à être conscients du risque de consentir à un tel système, dans l’attente des modifications majeures apportées au régime actuel de RDIE, sans être en mesure de le corriger si ces promesses ne sont pas réalisées.


Auteure

Jane Kelsey est Professeure à la Faculté de droit de l’Université d’Auckland, en Nouvelle Zélande. Elle a pris part à la 38ème session du Groupe de travail III de la CNUDCI sur une éventuelle réforme du RDIE en tant que consultante auprès de, et représentante de Third World Network.


Notes

[1] Johannesson, L. & Mavroidis, P. (2017). The WTO dispute settlement system 1995-2015: A data set and its descriptive statistics. Research Institute of Industrial Economics, Document n° 1148, p. 46, images 3, 4. http://www.ifn.se/wfiles/wp/wp1148.pdf

[2] Organisation mondiale du commerce. (2019). Membres de l’organe d’appel. https://www.wto.org/french/tratop_f/dispu_f/ab_members_bio_f.htm

[3] Monicken, H. (2019, 5 décembre). Appellate Body’s future could depend on whether its director keeps his job. Inside U.S. Trade. https://insidetrade.com/daily-news/appellate-bodys-future-could-depend-on-whether-its-director-keeps-his-job

[4] Organisation mondiale du commerce. (1994). Mémorandum d’accord sur les règles et procédures régissant le règlement des différends, article 8(6). https://www.wto.org/french/tratop_f/dispu_f/dsu_f.htm

[5] Pauwelyn, J. & Pelc, K. (2019). Who writes the rulings of the World Trade Organization? A critical assessment of the role of the secretariat in WTO Dispute Settlement. https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=3458872

[6] Organisation mondiale du commerce. (2003, 6 juin). Organe de règlement des différends. Session extraordinaire. Rapport du Président, M. l’Ambassadeur Péter Balás (TN/DS/9). https://docs.wto.org/dol2fe/Pages/SS/directdoc.aspx?filename=R:/TN/DS/9.pdf

[7] Organisation mondiale du commerce. (2019, 17 juin). Organe de règlement des différends. Session extraordinaire. Rapport du Président, M. l’Ambassadeur Coly Seck (TN/DS/31). https://docs.wto.org/dol2fe/Pages/SS/directdoc.aspx?filename=r:/TN/DS/31.pdf

[8] Raghavan, C. (2019, mars 25). WTO-MTS facing existential threat, needs political decisions. SUNS, #8873. https://www.twn.my/title2/unsd/2019/unsd190307.htm