Conférence de haut-niveau de la CNUCED sur les AII : poursuivre l’examen des Accords internationaux d’investissement d’ancienne génération

Introduction

Du 9 au 11 octobre 2017, plus de 300 experts, notamment des négociateurs de haut-niveau d’accords internationaux d’investissement (AII) et des représentants d’organisations intergouvernementales, de la société civile ainsi que des secteurs universitaires et privés se sont réunis à Genève pour la Conférence annuelle de haut-niveau de la CNUCED sur les AII.[1] Grâce aux outils développés par la Conférence des Nations Unies pour le commerce et le développement (CNUCED) – la Feuille de route pour la réforme du régime des AII[2] et les 10 options d’action pour la phase 2[3] – les experts ont dressé le bilan de la réforme des AII en faveur du développement durable (phase 1 de la réforme des AII) et discuté des alternatives politiques visant à moderniser le stock d’AII d’ancienne génération en vigueur (phase 2).

Entre séances plénières et en petits groupes, la réunion a offert un forum de dialogue inclusif, constructif et générateur de connaissances sur la phase 2. En partageant leurs expériences, en identifiant les bonnes pratiques, en abordant de nouvelles idées, et en analysant les pours et les contres de divers options d’action, le groupe a tracé la voie à suivre pour la phase 2 et réaffirmé le rôle de la CNUCED en tant que seul agent intergouvernemental permettant un débat inclusif sur l’élaboration de politiques internationales d’investissement pour un développement durable. Le présent rapport résume les principaux points abordés lors de cet évènement.

Dresser le bilan de la réforme des AII et avancer

Au cours des séances plénières d’ouverture et de clôture, les participants ont exprimé leur engagement en faveur de la réforme des AII. Un large consensus s’est dégagé sur le fait que la réforme des AII axée sur le développement durable fait maintenant partie de l’élaboration régulière des politiques internationales en matière d’investissement. De nombreux délégués ont partagé l’expérience de leur pays lors de la révision de leurs réseaux d’AII, de la refonte de leur modèle de traité et de la négociation d’AII de nouvelle génération, souvent fondés sur les publications de la CNUCED, la Feuille de route pour la réforme du régime des AII et le Cadre de la politique d’investissement pour un développement durable.[4] La plupart des pays ont reconnu qu’il était temps de mettre l’accent sur la manière de moderniser le stock de traités d’ancienne génération en vigueur (phase 2).

En général, les participants ont reconnu que le régime des AII est devenu bien trop complexe pour être réglé par une seule institution ou groupe de pays, et qu’une collaboration multilatérale serait essentielle. Il a souvent été dit que la CNUCED devrait continuer d’offrir un forum d’engagement collectif et inclusif et, conformément à son mandat, agir comme coordonnateur au sein des Nations Unies pour les questions liées à l’investissement international et au développement durable. Plusieurs intervenants ont souligné l’importance d’impliquer toutes les parties-prenantes concernées dans la conception de nouvelles approches pour les AII. Divers experts ont également salué les services de renforcement des compétences, d’assistance technique et de recherche sur les politiques offerts par la CNUCED.

Les séances en petits groupes

Les séances en petits groupes étaient conçues pour permettre aux experts de prendre part à des discussions profondes, créatives et axées sur la recherche de solutions sur les 10 options d’action de la CNUCED. Les experts ont échangé leurs points de vue sur les pours et les contres, les enseignements tirés et les défis pratiques des différents options de réforme. Au cours de la séance plénière du dernier jour, les rapporteurs désignés ont fait état des discussions et des résultats de chacune des séances suivantes.

1. Mettre l’investissement au service des ODD : la dimension AII

Les experts ont discuté de la manière dont les AII pourraient être exploités aux fins de mobiliser l’investissement nécessaire à la réalisation des Objectifs du développement durable (ODD). Cette discussion a soulevé plusieurs questions, par exemple comment « traduire » les objectifs du développement durable en des dispositions de traité réalisables. Les experts ont également échangé leurs vues sur la question (empiriquement non-concluante) de savoir si les AII jouent un rôle dans l’attrait et la rétention de l’investissement direct étranger (IDE).

La séance a mis l’accent sur le rôle des Partenariats public-privé (PPP) dans la promotion et le financement d’investissements favorables au développement durable. À cet égard, les experts ont mis en avant les bénéfices potentiels des PPP, en particulier le développement d’infrastructures liées aux ODD, mais ont également exprimé la nécessité d’équilibrer les droits et les obligations des investisseurs, de préserver le droit de l’État de réglementer, de tenir compte des normes sociales et environnementales, et d’établir une structure de contrôle appropriée pour les PPP. Les experts ont discuté des bonnes pratiques en la matière, et ont appelé la CNUCED à mener d’autres recherches et à offrir des conseils sur les politiques en ce qui concerne la manière de concentrer l’investissement étranger dans les secteurs des infrastructures et des services publics, et au final de maximiser la contribution de ces investissements en faveur du développement durable.

2. Clarifier et modifier le contenu du traité

Les experts ont également partagé les expériences de leur pays en matière d’interprétations conjointes et d’amendements, dans le cadre de leurs efforts de modernisation des traités d’ancienne génération.

De nombreux participants ont indiqué que la sauvegarde du droit de réglementer et la promotion du développement durable étaient des objectifs politiques prioritaires dans leurs efforts de réforme des AII. S’agissant des dispositions de fond du traité, divers experts ont identifié les définitions de « l’investisseur » et de « l’investissement »,[5] le traitement juste et équitable (TJE) et la Nation la plus favorisée (NPF) comme prioritaires pour la phase 2. Ils ont également souligné l’importance de consulter les parties-prenantes, d’avoir une coordination interministérielle ainsi qu’une communication transparente.

Pour ce qui est d’améliorer le contenu substantif des anciens traités, plusieurs délégués ont mentionné les avantages des interprétations conjointes, privilégiant ces dernières au détriment des amendements, car plus faciles à émettre. Toutefois, certains ont souligné que ces interprétations conjointes ont une portée limitée, en expliquant qu’elles permettraient de préciser les choses, sans toutefois donner un sens entièrement nouveau à la disposition. En discutant les contres de telles voies de réforme, il a aussi été dit qu’il n’est pas toujours chose aisée d’identifier des similarités dans les objectifs de tout projet d’interprétation conjointe ou d’amendement.

3. Consolider le réseau d’AII

Afin de moderniser le stock de traités d’ancienne génération en vigueur et de réduire la fragmentation de la gouvernance des AII, l’on peut choisir de remplacer les traités obsolètes, de consolider le réseau d’AII ou de gérer les relations entre traités coexistants. Compte tenu de leur expérience nationale et régionale, plusieurs experts considéraient que le plus efficace pour réduire la complexité et la fragmentation générales était de remplacer les nombreux anciens accords par un nouvel AII (multilatéral).

Une attention particulière a été portée aux situations spécifiques de l’Union européenne, qui fait actuellement évoluer sa politique en matière d’AII, ainsi qu’à l’Afrique et à ses efforts d’intégration régionale. Sur ce dernier point, les discussions ont été approfondies dans le cadre d’un évènement parallèle intitulé « Le code panafricain de l’investissement et le chapitre sur l’investissement de l’Accord de libre-échange continental (ZLEC) : possibilités de rationaliser la réglementation de l’investissement en Afrique », organisée par la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique (CEA). Les discussions ont évalué la manière dont les initiatives continentales telles que le Code panafricain d’investissement (PAIC) et le projet de chapitre sur l’investissement de la ZLEC pourraient contribuer au renforcement de l’environnement réglementaire de l’investissement en Afrique.

Les discussions en petits groupes ont aussi reconnu les défis posés par cette consolidation, notamment l’identification de partenaires motivés, la mobilisation de ressources humaines et financières dans les différents services gouvernementaux concernés, et le temps nécessaire à la réalisation de la consolidation.

Quelques experts ont affirmé que la gestion des relations entre les traités coexistants était le moyen d’action le plus ardu. Il a été suggéré ici de s’appuyer sur la Convention de Vienne sur le droit des traités pour avoir une indication de l’accord devant prévaloir, dans le cas où des traités coexistants n’auraient pas abordé la question.

4. Les conséquences d’une sortie du régime des AII

Les experts ont examiné la possibilité de sortir du régime des AII, en abandonnant les anciens traités non-ratifiés, en résiliant les anciens traités en vigueur et en se retirant des traités multilatéraux. Certains délégués ont affirmé que leurs pays avaient pris des mesures pour résilier leurs anciens traités sans remarquer de réduction des volumes entrants d’IDE. Certains ont souligné qu’en plus de résilier leurs anciens traités, ils renouaient avec l’élaboration de politiques d’investissement en développant un nouveau modèle pour leurs futures négociations d’AII ou par le biais de la législation nationale. S’éloignant de cette position, d’autres ont affirmé que les AII jouaient un rôle important dans l’attrait et la rétention de l’IDE. Plusieurs experts ont fait remarquer que les résiliations unilatérales pouvaient avoir des conséquences négatives sur le climat des affaires dans ces pays et sur leurs relations bilatérales. Les voies bilatérales ou multilatérales telles que la renégociation ou le remplacement d’un traité ont été jugées préférables à toute action unilatérale.

En général, compte tenu des difficultés rencontrées par les pays désireux de sortir du régime, les experts ont largement salué la possibilité d’échanger les données d’expérience et opinions sur la question dans un cadre multilatéral.

5. Vers des efforts globaux de réforme : l’élaboration de principes

Dans le cadre des efforts en cours de réforme des AII, les principes peuvent être un point de référence important pour la négociation de nouveaux AII et la modernisation de ceux en vigueur. De nombreux délégués de pays ont mentionné avoir pris part à des initiatives régionales ou multilatérales portant sur l’élaboration de principes sur les politiques d’investissement. Certains délégués considèrent que des efforts multilatéraux inclusifs en vue de développer des principes sur les politiques d’investissement sont désirables pour éviter ainsi toute redondance et incohérence ; d’autres ont dit que différents groupes de pays devraient être encouragés à formuler des ensembles distincts de principes.

Plusieurs délégués ont souligné la nécessité d’aborder ces principes dans le cadre d’une approche inclusive qui tienne compte des besoins et circonstances spécifiques des pays en développement. Quelques experts ont également fait allusion aux avantages d’avoir des principes sur les politiques d’investissement servant de base à une transition progressive vers une nouvelle gouvernance des AII, ainsi qu’au potentiel qu’ont ces principes de créer des liens avec d’autres domaines du droit et d’élaboration de politiques, tels que le développement durable, les droits humains, la santé et l’environnement.

6. Vers des efforts globaux de réforme : améliorer le règlement des différends relatifs aux investissements

Si les experts ont largement reconnu la nécessité de réformer le mécanisme de règlement des différends – élément essentiel d’une réforme complète et coordonnée d’un régime actuel des AII multidimensionnel et multifacettes – leurs opinions divergeaient davantage sur l’ampleur et l’intensité de ces efforts de réforme. Plusieurs intervenants ont souligné la nécessité de renforcer les mécanismes alternatifs de règlement et de prévention des différends, en plus ou en lieu et place du mécanisme de Règlement des différends investisseur-État (RDIE), et de renforcer les capacités des tribunaux nationaux à examiner les recours d’investisseurs et à faire respecter les obligations de ces derniers. D’autres ont indiqué qu’une révision des dispositions de fond était également nécessaire pour garantir des décisions équilibrées et cohérentes dans les affaires de RDIE.

S’agissant des propositions portant sur la création d’un tribunal multilatéral des investissements, de nombreux délégués se sont dits favorables à une telle initiative et désireux d’envisager la création d’un mécanisme d’appel. Des idées similaires ont également été abordées dans un évènement parallèle organisé par la Commission européenne. Intitulé « Réformes multilatérales du RDIE : voies possibles », l’exposé mettait l’accent sur le contexte et sur la nécessité de mener une réforme multilatérale du RDIE, sur les objectifs d’une telle réforme, sur ses éventuelles caractéristiques et sur les étapes suivantes. Lors de cet évènement, les experts ont examiné les difficultés liées à la création d’un tribunal multilatéral, ainsi que sa structure institutionnelle, son financement et les possibilités d’extension et d’exécution des sentences. En outre, certains se sont dits préoccupés par les questions de la souveraineté de l’État et du risque de politisation des différends.

Les discussions ont également abordé la possibilité de s’abstenir d’inclure des dispositions RDIE dans les traités d’investissement, un choix politique mis en place par certains AII récents. À cet égard, l’on a souligné l’importance d’avoir des mécanismes efficaces permettant de prévenir et d’éviter les différends, ainsi qu’un système judiciaire national performant (et les efforts connexes de renforcement des compétences des tribunaux nationaux).

7. Vers des efforts globaux de réforme : faire référence aux normes mondiales

Les normes et instruments reconnus au niveau multilatéral peuvent soutenir la cohérence et améliorer les interactions entre les AII et d’autres domaines du droit international ou de l’élaboration de politiques. Plusieurs délégués ont mentionné une tendance émergente dans les nouveaux modèles et traités consistant à faire référence aux normes mondiales. Les experts ont considéré que le fait de faire référence aux normes mondiales pourrait intégrer des objectifs politiques plus larges aux AII, préciser les termes du droit de réglementer, et encourager l’équilibre et la cohérence d’ensemble du régime des AII.

S’agissant du RDIE, il a été noté que les références explicites aux questions d’intérêt public (par exemple la santé publique ou l’environnement) pourraient encourager les tribunaux arbitraux à les prendre en compte. Un expert a fait remarquer que le sens des normes mondiales n’était pas toujours suffisamment clair pour préciser d’autres dispositions des AII. À cet égard, plusieurs experts ont suggéré que le droit national pouvait être l’outil privilégié pour aborder les obligations des investisseurs, et que les institutions nationales devaient être désireuses et capables de les mettre en œuvre.

Conclusion : lancer la prochaine étape de la réforme des AII

Comme l’ont noté de nombreux participants, il est très difficile de se diriger vers un régime des AII plus axé sur le développement durable, cela implique de nombreuses questions complexes auxquelles les pays répondent avec une grande variété d’approches. Le développement durable devrait être un objectif fondamental de la réforme des AII, et il est indispensable de compter sur une collaboration multilatérale à tous les niveaux. Il faut, entre autres, centrer la réforme sur les interactions, la cohérence et l’harmonisation entre les échelons national et international de l’élaboration de politiques en matière d’investissement (c.-à-d. entre les politiques nationales en matière d’investissement et les AII), ainsi qu’entre les AII et d’autres politiques publiques. Ces deux défis pourraient être abordés au cours de la phase 3 de la réforme. Les plateformes et processus multipartites tels que la Conférence de haut-niveau de la CNUCED sur les AII, ses Réunions d’experts et le Forum mondial de l’investissement sont extrêmement utiles pour continuer la réforme. Nous vous invitons à poursuivre ces discussions multipartites lors du prochain Forum mondial de l’investissement de la CNUCED, qui se tiendra à Genève du 22 au 26 octobre 2018.

De plus amples informations ainsi que les documents de la Réunion d’experts – notamment une note conceptuelle, le résumé du président, les exposés et rapports des rapporteurs – sont disponibles sur http://investmentpolicyhub.UNCTAD.org/Pages/2017-edition-of-unctad-s-high-level-annual-IIA-conference-phase-2-of-iia-reform.


Auteurs

James Zhan est Directeur de la Division de l’investissement et des entreprises de la CNUCED, et éditeur en chef du Rapport sur l’investissement dans le monde. Moritz Obst est consultant auprès de la Section sur les Accords internationaux d’investissement de la CNUCED. Les points de vue exprimés dans cet article sont ceux des auteurs et ne reflètent pas nécessairement ceux de la CNUCED. Les auteurs remercient Melinda Kuritzky pour son appui dans la finalisation de cet article.


Notes

[1] La Réunion d’experts pluriannuelle sur l’investissement, l’innovation et l’entreprenariat pour le renforcement des capacités productives et un développement durable, Cinquième session se trouve sur http://unctad.org/fr/pages/MeetingDetails.aspx?meetingid=1438. Les conclusions et les documents de la conférence sont disponibles sur http://investmentpolicyhub.unctad.org/Pages/unctad-annual-high-level-iia-conference-phase-2-of-iia-reform.

[2] Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED). (2015). Rapport sur l’investissement dans le monde 2015 : réformer la gouvernance de l’investissement international. Chapitre IV. Genève : Nations Unies. Tiré de http://unctad.org/en/PublicationChapters/wir2015ch4_en.pdf ; CNUCED. (2016). Rapport sur l’investissement dans le monde 2016 : nationalité des investisseurs : enjeux et politiques. Chapitre III. Genève : Nations Unies. Tiré de http://unctad.org/en/PublicationChapters/wir2016ch3_en.pdf.

[3] CNUCED. (2017). Rapport sur l’investissement dans le monde 2017 : l’investissement et l’économie numérique. Genève : Nations Unies. Tiré de http://unctad.org/en/PublicationChapters/wir2017ch3_en.pdf. Voir également la note conceptuelle préparée par le Secrétariat de la CNUCED : http://unctad.org/meetings/fr/SessionalDocuments/ciimem4d14_fr.pdf.

[4] CNUCED. (2015). Cadre de la politique d’investissement pour un développement durable. Genève : Nations Unies. Tiré de http://unctad.org/en/PublicationsLibrary/diaepcb2015d5_en.pdf.

[5] CNUCED, 2016, supra note 2.