Un tribunal du CIRDI rend une décision provisoire sur la demande reconventionnelle de l’Équateur dans le cadre d’un différend de longue haleine

Perenco Ecuador Limited c. la République d’Équateur, Affaire CIRDIARB/08/6

Perenco Ecuador Limited (Perenco), une entreprise pétrolière et gazière française, et la République de l’Équateur s’affrontent dans un arbitrage depuis 2008 au titre du Traité bilatéral d’investissement (TBI) France-Équateur et de certains contrats de concession.Un tribunal arbitral du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) a rendu une décision provisoire sur la demande reconventionnelle relative à l’environnement (décision provisoire).

La décision provisoire invite notamment les parties à régler les questions au cœur du différend. Le tribunal du CIRDI y critique les experts des deux parties et suggère aux parties de recourir à un expert nommé par le tribunal. Le tribunal a refusé de se prononcer immédiatement sur les points soulevés dans la demande reconventionnelle, indiquant sa volonté de le faire plus tard, dans le cadre de la décision finale.

Le contexte

Perenco a été constitué au titre du droit bahaméen. Une participation majoritaire est indirectement détenue par les successeurs de feu Hubert Perrodo, un Français. Perenco et Burlington Resources, une entreprise pétrolière et gazière basée au Texas rachetée par la suite par le géant international ConocoPhillips, ont investi dans l’exploitation de deux blocs d’hydrocarbures par le biais de contrats de participation de droit équatorien.

Après un changement de gouvernement en Équateur, Perenco a été soumis à des taxes exceptionnelles progressives de 50 et 99 pour cent. Suite à l’imposition de la deuxième tranche, l’entreprise pétrolière nationale d’Équateur, Petroecuador, a pris le contrôle des deux blocs. En avril 2008, Perenco a déposé une demande d’arbitrage auprès du CIRDI contre l’Équateur et contre Petroecuador. Le contre-mémoire de l’Équateur, daté de décembre 2011, alléguait que les activités de Perenco avaient provoqué d’importants dommages environnementaux (demande reconventionnelle relative à l’environnement) et équivalaient au défaut de maintenance adéquate de l’infrastructure des blocs dans de bonnes conditions de fonctionnement (demande reconventionnelle relative à l’infrastructure).

Dans une décision de septembre 2014 sur les questions en suspens relatives à la compétence et à la responsabilité, le tribunal confirmait sa décision précédente sur la compétence au titre du TBI et des contrats de participation. Il déterminait également que l’Équateur devait indemniser Perenco au titre de ces instruments juridiques.

La décision de 2014 précisait que les parties s’étaient convenues d’un délai pour le dépôt des mémoires, distinct de l’audience pour les demandes reconventionnelles de l’Équateur. L’Équateur alléguait que Perenco avait laissé derrière elle une catastrophe environnementale et demandait une compensation d’environ 2,5 milliards USD pour les opérations requises de réhabilitation environnementale. Perenco arguait que sa responsabilité en la matière n’excédait pas 10 millions USD. Le tribunal a maintenant rendu une décision provisoire.

Les experts des parties n’avaient pas les mêmes objectifs

Après examen des pièces, le tribunal nota avec satisfaction que Perenco reconnaissait sa responsabilité pour au moins une partie de la pollution. Néanmoins il remarqua également que chacun des témoins experts des parties « essayaient d’obtenir le meilleur résultat pour la partie dont ils recevaient les instructions et franchissaient la frontière entre l’analyse professionnelle objective et la représentation des parties ». Ils n’avaient « dans les faits pas le même objectif ce qui rendait le travail de ce tribunal fort compliqué » (para. 581).

Dans ce contexte, le tribunal détermina que la seule solution équitable s’agissant des problèmes de pollution consistait à demander à un autre expert d’examiner les échantillons existants ; si les problèmes étaient jugés suffisamment graves pour exiger une réhabilitation au vu des circonstances pertinentes, Perenco, son prédécesseur Petroamazonas, ou les deux pourraient être tenus responsables prima facie des coûts de réhabilitation. Ce n’est que lorsque que cette procédure et d’autres seraient finalisées que les parties seraient en mesure de trouver un règlement négocié ou que le tribunal pourrait rendre une décision finale sur les dommages dus par Perenco à l’Équateur.

La responsabilité pour faute est applicable pendant la période initiale d’investissement

Après avoir examiné les mémoires écrits et oraux des parties, ainsi que les pièces présentées par les experts, le tribunal arriva à une série de conclusions quant à la demande reconventionnelle et à la situation du différend.

S’agissant de la pollution supérieure aux normes et survenue entre le 4 septembre 2002 (lorsque Perenco a acquis les droits des blocs) et le 19 octobre 2008 (lorsque la Constitution actuelle de l’Équateur a été promulguée), le tribunal détermina qu’un régime fondé sur la faute devait être appliqué. Cependant, la responsabilité pour la pollution excessive survenue après le 20 octobre 2008 devait être évaluée sur la base de la responsabilité absolue, conformément aux dispositions de la Constitution de 2008 relatives aux dégâts environnementaux.

Le tribunal définit la relation entre les réglementations environnementales et les « valeurs générales »

Le tribunal a examiné la relation entre la Constitution de 2008 et les réglementations environnementales nationales, première des deux questions majeures dont la résolution permettra de réduire les besoins d’analyse postérieurs. Il détermina que la Constitution de 2008 était le cadre juridique suprême de l’État dans lequel s’inscrivaient les autres réglementations spécifiques aux hydrocarbures.

L’Équateur avait affirmé que son régime réglementaire relatif aux hydrocarbures devait céder la place aux « valeurs générales » prévues par la Constitution, telle que l’entière réparation de la pollution. Après un examen attentif des arguments et des preuves, le tribunal détermina qu’il ne pouvait accepter cet argument. Si rien n’empêchait l’Équateur de promulguer des réglementations soumettant les opérateurs pétroliers à des normes environnementales plus strictes, la seule Constitution de 2008 ne remplaçait pas de telles réglementations.

Pour le principe, le tribunal chercha également à déterminer si les dispositions de la Constitution de 2008 relative à la responsabilité absolue pouvaient s’appliquer aux activités menées par Perenco avant 2008. Jugeant que la Constitution de 2008 ne pouvait en elle-même établir de normes techniques, le tribunal détermina qu’il devait étudier les réglementations spécifiques promulguées par le gouvernement avant et après 2008.

Le tribunal réserve sa décision sur la demande reconventionnelle relative à l’infrastructure

Finalement, le tribunal nota qu’il était opportun et constructif de rendre d’abord sa décision sur la demande reconventionnelle relative à l’environnement afin qu’un nouvel expert puisse être choisi, nommé et mandaté, et enfin qu’il puisse commencer à travailler. Le tribunal souligna en outre qu’il pourrait certainement tirer parti des pièces présentées plus tard portant sur les opérations de Perenco. Il choisit donc d’examiner la demande reconventionnelle relative à l’infrastructure plus tard au moment de déterminer le montant des dommages et intérêts.

Remarques : Le tribunal était composé du Juge Peter Tomka (président, nommé par le président du conseil administratif du CIRDI, de nationalité slovaque), de Neil Kaplan (nommé par le demandeur, de nationalité britannique) et de Christopher Thomas (nommé par le défendeur, de nationalité canadienne). La décision provisoire sur la demande reconventionnelle relative à l’environnement du 11 août 2015 est disponible sur http://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw6315.pdf


Matthew Levine est avocat au Canada et contributeur du programme Investissement étranger et développement durable de l’IISD.